Pfoooo.
Force. Sheer force.
Je me souviens encore l'avoir découvert en salles, j'étais bien chaud parce que déjà fan de JFK, mais je le vénérais pas encore comme c'est le cas aujourd'hui. Et j'avais pas non plus vu un bon nombre des films de Stone, donc je n'avais pas d'anticipation particulière sur le cinéaste.
C'était déjà 6/6 à l'époque mais de vision en vision, je suis progressivement devenu ouf de ce film. C'est juste...une leçon.
Je me rappelle encore avoir écrit sur feu le forum Première (ou était-ce le premier forum de FDC?), après une énième revoyure, qu'autrefois on étudiait le montage d'Eisenstein et qu'aujourd'hui, il faudrait étudier le montage des films de Stone. Nordberg, Hutshing, Scalia...ils font absolument des merveilles sur les films de Stone. Et lui en fait sur sa réa.
J'ai rarement vu plus fou, plus nerveux, plus bouillant au niveau de l'union entre la mise en scène et le montage. Y a lui et y a Scorsese quoi... Ca pourrait aisément être grossier en plus...comme quand tel joueur foire un truc, que c'est la grosse déconvenue et que d'un coup t'as un plan aérien du stade avec en surimpression, face à face, les visages de Pacino et de Diaz en ralenti de post-prod...c'est le genre de plan que tu verrais dans Olive & Tom tsais...le truc surbourrin pour transmettre le sens...des fois c'est un gros travelling avant de fou sur Pacino et sa team, des fois c'est des jump cuts avec des ralentis de tournage sur Pacino qui hurle mais le son est celui d'un fauve...c'est n'importe quoi...ça tient presque de l'abstrait la manière dont Stone illustre la sensation interne d'un perso à l'image...ça tient de la projection mentale...pareil pour quand Quaid se blesse au tout début, qu'on lui amène un brancard et qu'on lui dit "t'as vraiment besoin d'un brancard? t'es aussi vieux que ça?" et là, boom, gros plan du visage de Quaid, en souffrance, qui écarquille les yeux et par-dessus, le seul son est celui des obturateurs super rapides des appareils photos que t'as vu genre 5min avant et qu'on te montre qu'après!! C'est comme le plan de l'orage dans JFK qui arrive en avance.
Le mec ose même les faux raccords dans les scènes de dialogue, et y a toujours un sens derrière, comme genre au début, lors de la première confrontation entre Pacino et Diaz : elle est debout face à lui qui se tient à un mur, ils s'embrouillent, il répond un truc énervé, cut sur lui qui lui tourne le dos agacé, elle répond, cut sur Pacino qui se tient à nouveau face à elle, la main sur le mur... le mec ose briser les règles pour signifier le côté fuyant du perso de Pacino à ce moment-là...et des trucs comme ça, il en truffe le film...
Les jumps cuts sur Pacino énumérant les tactiques à Foxx dans le couloir avant le dernier match, les jump-cuts et/ou raccords dans le mouvement à des axes différents mais à échelle similaire quand Quaid énumère ses blessures...ou encore tous ces montages parallèles entre le drame humain et ce que Stone choisit pour en illustrer la violence, comme une discussion qu'il entrecoupe de footballers se rentrant dedans ou d'un orage qui se prépare OU CARREMENT AVEC DES PLANS DE BEN-HUR...sans oublier le délire mystique semblablement hérité de Natural Born Killers avec toutes ces visions chelous de spectateur seul dans les gradins, tapi dans l'ombre, avec des chants indiens par-dessus...et ce plan de caméra de vidéosurveillance quand Woods et Diaz magouillent en secret...la parano...
C'est le film d'un malade mental...ce qui est génial, c'est ça évolue de film en film...quand ça apparaît pour la première fois dans l'oeuvre de Stone, c'est dans The Doors, où ce style s'apparente davantage à la représentation de l'esprit "sous l'influence de psychotropes" de Morrison...sur JFK, c'est tous les tenants et aboutissants de l'intrigue qui viennent parasiter de manière paranoïaque l'enquête de Garrison...sur Natural Born Killers, c'est prendre l'esthétique MTV naissante et la forme clippesque des années 90 et la pousser vers l'outrance la plus totale pour raconter l'épopée surréaliste de deux mass murderers (les images d'archives projetées sur les fenêtres tandis que les personnages regardent la TV, les parodies de sitcom, le dessin animé)...sur Nixon, on rejoint la parano de JFK avec un homme hanté par son passé...sur U-Turn, c'est à nouveau un mode plus Natural Born Killers, avec aussi une certaine imagerie publicitaire parodique servant la comédie noire (les flashbacks de Sean Penn jouant au tennis avec un sourire gogol quand dans le présent il se fait défoncer les doigts).
Ici, il suffit de voir comment il filme les matches...techniquement, on comprend QUEDALLE à ce qui se passe (surtout quand on connaît pas vraiment les règles) mais le jeu en soi intéresse peu Stone qui préfère en extraire la violence et la virtuosité pour mieux servir et souligner ses enjeux.
Oui parce que c'est pas que dans la forme que ce film est une bombe mais dans le fond aussi... En fait, c'est un peu son Wall Street version football, où comment prendre un autre symbole de l'Amérique pour mieux en démont(r)er les rouages, la politique, comment chacun y sacrifie sa vie (personnelle/sentimentale), l'usage qui est fait des noirs dans la League, la célébrité, etc. C'est pas pour rien qu'il est parti caster des rappeurs (LL Cool J, Puff Daddy qui devait initialement tenir le rôle de Foxx) et des comiques (Bill Bellamy, Jamie Foxx) pour jouer ses footballers stars... Tout comme il avait mélangé le livre de Marrs (Crossfire) au livre de Garrison (JFK) à sa propre enquête (la rencontre avec Mr. X à Washington), Stone mélange ici pas moins de TROIS scripts originaux : - Monday Night qu'il co-écrit avec Jamie Williams, ex-footballer, Richard Weiner, journaliste sportif - On Any Given Sunday de John Logan (Gladiator, Aviator) - Playing Hurt de Daniel Pyne (La Somme de toutes les peurs) Le résultat est une plongée épique dans le monde du football (dont j'avais pourtant a priori rien à foutre quand même) et tout y passe, le sport, la thune, la santé, les médias... Et vas-y qu'on caste Charlton Heston en patron de la League pour montrer que les esclaves d'autrefois sont devenus l'establishment d'aujourd'hui.
Les performances sont évidemment extraordinaires...Pacino est furieux, pas en mode cool comme chez Mann, juste en mode petit Napoléon vénère...Foxx est une vraie révélation...Diaz convainc en pute absolue, Eckhart est génial dans son mini-rôle et Woods encore plus...même les vrais joueurs de foot sont bons (le mec qui joue Shark).
Je m'en lasse pas de ce film...l'ambition paraît inférieure sur le fond à des films comme Natural Born Killers ou Nixon ou Alexandre...mais au final, j'ai beau aimer voire adorer ces 3 films (surtout Alexandre), je trouve Any Given Sunday plus abouti dans l'ensemble (peut-être justement parce qu'il vise moins haut en fait). Et même si je ne fais pas partie des détracteurs de Wolrd Trade Center et W., il faut avouer que ses derniers efforts sont tout de même décevants...à la base, les sujets sont en or mais Stone surprend par la manière dont il les aborde (une histoire de héros pour le 11 septembre, un regard sur l'homme pour Bush), du coup dans le fond ils ne sont pas aussi fous qu'on le voudrait, et dans la forme, malgré de très bonnes choses (la première heure de World Trade Center est une reconstitution bouleversante et W. contient quelques essais "parano" convaincants), ils s'avèrent à vrai dire bien plus sage que ses films des années 90.
J'ai peur pour Wall Street 2.
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