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MessagePosté: 12 Déc 2015, 04:33 
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Aaron Sorkin et Quentin Tarantino sont sans doute deux des meilleurs scénaristes - et dialoguistes - en activité. Il est intéressant de constater que tous deux ont choisi pour leurs oeuvres respectives de cette année 2015 d'opter pour une radicalisation théâtrale. Dans le cas de Sorkin, ce n'est guère surprenant étant donné que l'auteur vient de la scène. On pourrait dire que l'exercice de style n'est pas étonnant de la part de Tarantino non plus vu qu'il a souvent eu recours à des scènes de dialogue en espace fermé, où toute la tension est contenue dans l'échange verbal (avant l'inévitable explosion de violence). Quelques personnages sont emprisonnés dans une pièce. Un ou plusieurs d'entre eux cachent un secret. L'un d'eux cherche à le connaître. Et ça va forcément éclater. Dans tous les sens (du terme).

À l'instar de Sorkin, l'approche de Tarantino sur The Hateful Eight passe pour une exploration auto-réflexive presque méta. En gros, The Hateful Eight, c'est le premier chapitre d'Inglourious Basterds ou sa scène de la taverne (ou la deuxième heure de Django Unchained), mais étiré à un film entier. De trois heures.

Un véritable tour de force donc, auquel on ne peut nier quelques longueurs. Est-ce que le statut de Tarantino, sa célébrité, sa solvabilité, son égo, empêchent à ses collaborateurs, que ce soit le producteur Harvey Weinstein, clairement moins "Scissorhands" avec Quentin, ou le monteur Fred Raskin (qui remplace pour la 2e fois feu Sally Menke et n'a peut-être toujours pas trouvé ses marques), de le brider un peu pour le bien de l'oeuvre?
Quoiqu'il en soit, même si j'attends de le revoir sans être claqué après une journée à cavaler dans tout Paris suite à une nuit de 4h, je pense qu'il était vraiment possible de resserrer. Même si j'adore la présentation roadshow, avec une Ouverture et un Entracte musicaux.

Comme si cela ne suffisait pas, le metteur en scène a le "culot" de tourner le film non seulement en 70mm - splendide "meilleur des deux mondes", avec la netteté et la richesse de détails de la haute résolution numérique mais en gardant la chaleur et le poids de la pellicule - mais carrément en Ultra Panavision, format oublié depuis 50 ans et réservé aux fresques (principaux exemples : Ben-Hur, La Conquête de l'Ouest, Les Révoltés du Bounty, La Chute de l'Empire romain, La Plus Grande Histoire jamais contée). Un huis-clos dans une mercerie au ratio 2.76?

Et le pire, c'est que ça s'avère parfaitement justifié. Ce long rectangle, en plus de sublimer les vistas de l'Ouest enneigé durant les 15 premières minutes en extérieur, enferme encore davantage les personnages trois heures durant, mais d'une manière complètement différente d'un 4:3 type Le Fils de Saul. Le cadre écrase les protagonistes et ne leur laisse que des possibilités de fuite vers la gauche ou la droite. Le cadre est notre pièce, notre scène. Tu peux bouger, t'écarter, valser avec les adversaires mais tu ne peux pas t'échapper. La mercerie où sont retenus les fameux "salopards" est une pièce unique mais composé de plusieurs petits espaces et le 2.76 offre une vision panoramique en fin de compte pas si éloignée de la vision humaine, essayant de garder un oeil sur le maximum de suspects.

Oui, parce que The Hateful Eight est en réalité une sorte de remake de The Thing dans l'Amérique post-Guerre de Sécession.

De la présence de Kurt Russell au décor d'allure polaire en passant par la bande originale d'Ennio Morricone, que l'on aurait pu croire dans la veine de ses western spaghetti mais qui s'avère plus proche du film d'horreur, recyclant même des morceaux non-utilisés que le musicien avait composé pour Carpenter, tout transpire l'hommage.

Mais là où l'on a souvent accusé Tarantino de régurgiter ses influences sans les avoir digéré, ici il s'approprie complètement le matériau en lui conférant un sens autre, propre à l'histoire des États-Unis, passé et malheureusement présente, signant un huis paranoïaque sur la place du noir dans l'Amérique d'aujourd'hui. Creusant le même sillon que son précédent film, après l'esclavage, l'Amérique de la Reconstruction, l'auteur continue son évolution, toujours plus politique. De Reservoir Dogs (1992) à Kill Bill (2003/2004) inclus, Tarantino célébrait l'Histoire du cinéma. Dans Death Proof (2007), il s'essayait à une réflexion sur son propre cinéma. Dans Inglourious Basterds (2009) et Django Unchained (2013), il utilisait diégétiquement et extra-diégétiquement le pouvoir du cinéma pour revisiter (ou plutôt réviser) l'Histoire.

Dans The Hateful Eight, on n'est plus dans le wish fulfilment frontal - Tarantino semble commenter directement dessus, comme en témoigne "la lettre" - mais dans une allégorie où un simple lieu (la mercerie) devient le territoire américain tout entier (on le divise même en Nord et Sud), peuplé d'un "colon" (l'anglais Oswaldo, joué par Tim Roth), d'un mexicain, d'un noir et d'une femme - d'ailleurs, vu comme elle prend cher, le propos porte peut-être plus largement sur le rôle des "opprimés" - mais principalement d'hommes blancs, parfois carrément des Confédérés ou fils de Confédérés. Et dans cet Enfer blanc, l'homme noir fait tache. L'Enfer blanc le transforme en monstre.

Le film a d'abord vu le jour comme une suite littéraire de Django avant que Tarantino ne décide de transformer Django en un autre personnage pour ne pas avoir de centre de gravité morale. Par conséquent, le Major Marquis Warren interprété par Samuel L. Jackson est une sorte de Django vicié. Ce dernier terminait déjà son film contraint par l'Amérique raciste à devenir un criminel et The Hateful Eight adopte en partie le point de vue de ce "nouvel homme noir" émancipé et devenu un "salopard" comme les autres mais éternelle victime de ses oppresseurs. Tout le film ne raconte que ça, comment le noir restera à jamais aux yeux de l'Amérique un nègre. Comment chacun se méfie de l'autre. Comment chacun essaie de baiser l'autre. Comment la femme est maltraitée.
Notons toutefois ce dénouement plutôt surprenant et touchant. Je pensais vraiment que ça allait se finir en La Nuit des morts-vivants, avec le noir trahi et sacrifié, mais c'est plus optimiste qu'attendu, dans une sorte d'inversion de la fin de...The Thing.


Déchaînement de violence sale, The Hateful Eight cache derrière le genre un portrait sans concessions de l'Amérique dont les échos assumés avec l'actualité révèlent cette vérité : la période de Reconstruction n'est toujours pas terminée.

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MessagePosté: 12 Déc 2015, 09:40 
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MessagePosté: 12 Déc 2015, 11:10 
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Sir Flashball
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Mr Degryse a écrit:
Ton avis fait envie


Bof.
Marre de la "violence sale" de Tarantino, en ce qui me concerne.

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MessagePosté: 12 Déc 2015, 11:18 
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Castorp a écrit:
Marre de la "violence sale" de Tarantino, en ce qui me concerne.

T'as raison, vive la violence propre et aseptisée.


Sinon, le film c'est 6/6, un des meilleurs Tarantino. Huis-clos d'une maîtrise et d'une richesse exceptionnelle. Le rythme m'a pas gêné du tout. (pour moi, c'est "Django" qui souffrait d'un rythme un peu bancal, même si j'adore)


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MessagePosté: 12 Déc 2015, 11:33 
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Prout Man a écrit:
T'as raison, vive la violence propre et aseptisée.


Je la trouve surtout de plus en plus complaisante, sa violence. Déjà le derniers tiers de Django, c'est la boucherie idiote qui ne sert à rien.

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MessagePosté: 12 Déc 2015, 11:41 
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Ce n'est pas de la complaisance, Tarantino sait filmer la violence avec toute la fascination cinématographique qu'elle exerce et qu'il ne cherche absolument pas à refouler, car elle permet aussi de montrer la violence telle qu'elle est dans tout son réalisme et sa crudité .. C'est comme ça depuis Reservoir Dogs. C'est ce qui rend son style de violence à la fois passionnant et dérangeant dans son ambiguité (parce qu'il sait aussi la rendre jouissive). C'est une manière de jouer sur le fameuse différence de degré entre cinéma et réalité.


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MessagePosté: 12 Déc 2015, 11:45 
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Prout Man a écrit:
Tarantino sait filmer la violence avec toute la fascination cinématographique qu'elle exerce et qu'il ne cherche absolument pas à refouler, car elle permet aussi de montrer la violence telle qu'elle est dans tout son réalisme et sa crudité ..


Tu rigoles ? La violence chez Tarantino n'a jamais été réaliste, c'est du cartoon.
Mais plus on avance dans sa filmo, plus elle me semble être un automatisme plutôt qu'un propos. Django illustre ça très bien.

Du coup, pas chaud du tout pour celui-ci, mais on verra.

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MessagePosté: 12 Déc 2015, 11:49 
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Prout Man a écrit:
Ce n'est pas de la complaisance, Tarantino sait filmer la violence avec toute la fascination cinématographique qu'elle exerce et qu'il ne cherche absolument pas à refouler, car elle permet aussi de montrer la violence telle qu'elle est dans tout son réalisme et sa crudité .. C'est comme ça depuis Reservoir Dogs. C'est ce qui rend son style de violence à la fois passionnant et dérangeant dans son ambiguité (parce qu'il sait aussi la rendre jouissive). C'est une manière de jouer sur le fameuse différence de degré entre cinéma et réalité.


Il y a un monde entre la violence de Reservoir Dogs et celle de Django Unchained, enfin, celle de la deuxième, voire troisième, partie.

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MessagePosté: 12 Déc 2015, 12:09 
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Billy Budd a écrit:
Il y a un monde entre la violence de Reservoir Dogs et celle de Django Unchained, enfin, celle de la deuxième, voire troisième, partie.

Disons qu'on passe de la banalité d'un fait divers dans la réalité quotidienne (un mec qui reçoit une balle dans le ventre) à la violence exacerbée de la réalité historique (des massacres en masse avec le nazisme et l'esclavage). Simple question de proportions. Mais on reconnaît le même cinéaste derrière.


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MessagePosté: 12 Déc 2015, 12:26 
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Pas vraiment, non :





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MessagePosté: 12 Déc 2015, 12:46 
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Donc pour toi, la différence est juste dans le hors-champ?


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MessagePosté: 12 Déc 2015, 13:02 
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Prout Man a écrit:
(des massacres en masse avec le nazisme et l'esclavage).


dont il donne une représentation complaisamment cartoonesque et déréalisée.


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MessagePosté: 12 Déc 2015, 13:14 
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Caribou a écrit:
dont il donne une représentation complaisamment cartoonesque et déréalisée.

Une représentation cinématographique et stylisée, tout simplement.


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MessagePosté: 12 Déc 2015, 14:56 
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Sir Flashball
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Prout Man a écrit:
Caribou a écrit:
dont il donne une représentation complaisamment cartoonesque et déréalisée.

Une représentation cinématographique et stylisée, tout simplement.


C'est pas toi qui parlais de réalisme ?

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MessagePosté: 12 Déc 2015, 21:27 
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Castorp a écrit:
C'est pas toi qui parlais de réalisme ?

Mais c'est tout le débat : faire du réalisme juste pour faire réaliste, comme du mauvais cinéma-vérité? Ou créer tout un univers cinématographique avec ses propres codes de réalisme?
Le déchainement de violence sale est "réaliste" dans le cadre du film. C'est pour ça qu'il me paraît logique et que je ne le trouve pas complaisant. Et qu'au contraire, je le trouve même jouissif.
Quand je vois la boucherie de "Django", je me dis que tout prépare à cette explosion de "violence sale", on y croit très bien tout en sachant que ce n'est que du cinéma, du style parfaitement assumé avec des têtes qui explosent comme dans un film d'horreur. Mais c'est aussi une façon de transcender la violence du contexte de la scène.
Tu parlais de violence cartoonesque en sous-entendant que c'est de la violence gratuite, inutile, complaisante, qui ne sert pas du tout le film. C'est là qu'on diverge car tu veux de la violence aseptisée.


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