Quelle affiche quand même...Précision : j'ai vu le film une fois dans chaque version.
Vers 15 ans, dans sa version d'origine (153min), sur Arte avec ses sous-titres jaunes. Pas accroché plus que ça.
À 18 ans,
Redux (202min), au Gaumont Grand Écran Italie, impressionné mais sans attache supplémentaire, et la longueur m'avait un peu gavé (la plantation française, Zzzzzz).
Hier, le
Final Cut (182min), aux 3 Luxembourg.
L'intro te met bien direct.
A posteriori, ça pourrait presque être un cliché un peu forceur, la zique planante des Doors pour un film vaguement psyché sur le Vietnam, et quelque part, ça annonce aussi la couleur d'un film beaucoup plus démonstratif que les précédents Coppola. Là où les
Parrain et
Conversation secrète témoignent de retenue, même pour la fresque familiale, ici c'est plus expressionniste.
Et ça commence donc avec cette entrée en matière qui m'a rappelé les
"Overture" des fresques d'autrefois, quand on commençait un film avec de la musique sur fond neutre (écran noir/carton
"Overture"/logo), avec ce long plan, tout d'abord fixe, de la jungle qui paraît déjà fumante à cause de la poussière secouée par les hélicoptères (et leur bruit de pales reproduits au synthétiseur qui sonne comme un rire sordide), avant de s'embraser.
Pas de générique en surimpression,
just vibes.
Dans l'ensemble, je trouve le film meilleur quand il donne dans l'immersion fiévreuse et opératique.
L'aspect bourrin fonctionne moins avec la présentation de Willard, je trouve, la séquence filmant Martin Sheen bourré faire n'importe quoi dans sa chambre étant un poil
too much. Je m'interroge sur le bien-fondé de le montrer déjà vrillé par la guerre avant sa mission, avec ce voyage au bout de l'enfer (vous l'avez?). J'étais un peu réfractaire aussi à la voix off très cash au début, qu'on croirait sorti d'un film noir, mais elle devient indispensable par la suite pour mythifier Kurtz, du moins en faire une énigme dans l'esprit de Willard, même si je m'attendais à ce qu'on ressente une obsession mais ce n'est sans doute pas le but.
La progression est vraiment habile parce que dans un premier temps, Coppola (et Milius) dissimulent ça derrière de l'humour, avec le cultissime personnage de Robert Duvall, le Colonel Kilgore. On pourrait croire que ce cow-boy qui ne pense qu'au surf est un homme d'un cynisme achevé mais le voir à plusieurs reprises faire preuve d'humanité envers les locaux, qu'il s'agisse d'un enfant ou d'un Viêt-cong blessé, apporte une certaine complexité. Le gars n'est pas aussi nihiliste qu'on peut le croire, il a juste atteint ce que Kurtz expliquera plus tard : il se défait de la peur du jugement. Mais tout comme Kurtz, c'est déjà un symbole de l'impérialisme américain, la manière dont il appelle à raser un pan entier de la plage est sans équivoque.
D'ailleurs, je me demande si on pourrait faire ce film aujourd'hui (cf. la controverse vis-à-vis du tournage de
Mad Max Fury Road en Namibie). L'entreprise en soi n'est pas moins révélatrice du dédain de l'occident, Coppola cramant des hectares de jungle (et sacrifiant moult buffles) pour son film sans le moindre état d'âme. Quand il avait dit que son film n'était
"pas un film sur le Vietnam, c'est le Vietnam", il avait tapé juste.
Mais on va pas se mentir, le résultat est incroyable. L'échelle rend parfaitement état de la folie de la machine de guerre. Tu vois le film et t'es pas étonné d'apprendre que le tournage est passé de 4 mois à un an (PS : à ce sujet, le documentaire
Hearts of Darkness est vraiment bien?).
J'avais oublié à quel point le film était épisodique. En fait,
Saving Private Ryan c'est l'anti-
Apocalypse Now. C'est la même structure avec une durée similaire et le même principe avec une équipe qui va chercher un gars perdu dans la guerre mais pour le sauver et non le tuer. Inaltérable Spielberg...
Et je trouve ça plus inégal par la suite même si j'aime bien la scène du USO Show avec ses soldats en manque qui finissent par envahir la scène (et même si elle était sympa, Coppola a eu raison de couper la deuxième scène avec les Playmates, rajoutée pour la
Redux) et que j'ai même apprécié cette fois la scène de la plantation française (raccourcie d'environ 5 minutes quand même, ceci explique peut-être cela). J'ai davantage apprécié sa cohérence politique cette fois-ci, avec ce discours illusoire sur la colonisation. Ça m'a rappelé la scène chez Michael Lonsdale dans
Munich (auquel j'avais également pensé pendant
Conversation secrète pour un plan large de Hackman penché au balcon d'un immeuble et pour la scène où il retourne son appartement à la recherche d'un micro comme Avner retournant sa chambre à la recherche d'une bombe).
En fait, les scènes en soi sont bien mais je trouve qu'on a pas un vrai crescendo vers l'horreur, ça s'accentue seulement une fois qu'ils massacrent les passagers du bateau.
Mais bon, le dernier tiers est incroyable, cette fois, Virgile est arrivé au dernier cercle de l'Enfer, passant des vastes plages clairsemées et de la jungle luxuriante et du jour aux pièces obscures d'un temple, et se retrouve face à cet homme qui a décidé de se défaire du jugement, statut réservé au Seigneur, et le film embrasse enfin pleinement son récit d'un homme qui va tuer un Dieu. Fini les larges vistas filmées depuis les airs, place aux gros plans sur le visage de Brando à moitié dans la pénombre. La mise en scène ramène le spectacle de la guerre à l'intime. Il n'y a plus d'hélicos, il n'y a plus de napalm, plus de M60. Il n'y a plus que l'homme, face à sa part sombre. Et un sacrifice à faire. Mais quel est-il? C'est là que l'ironie du titre est génial. "Apocalypse" a été galvaudé pour signifier "fin du monde" mais à la base, ça veut dire "révélation" et la fin du monde en question se fait au profit de l'avènement du royaume de Dieu. Or, voilà les dieux que nous donne à voir le film, des hommes qui perdent leur âme. Lourd.
Parmi les films sur le Vietnam réalisés par de grands auteurs américains (avec
Voyage au bout de l'enfer,
Platoon,
Outrages et
Full Metal Jacket) c'est nettement celui que je préfère.