[Critique qui survole un peu, mais sans trop de spoilers. Difficile d'aller dans le détail sans révéler certaines surprises de l'intrigue]
Difficile d'appréhender le film sans connaître les conditions de production, sans comparer à la version précédente, ou même à ce qui se fait en face, chez Marvel. Difficile de voir le film pour ce qu'il est, et non pour ce qu'il aurait pu être il y a trois ans. Difficile aussi de savoir ce qu'il serait devenu si Snyder avait eu les mains libres dès BvS, tant ce nouveau Justice League tente de raccrocher les wagons un à un, notamment en ce qui concerne les fameux rêves de Wayne (le "Lois is the key"). Oublions donc l'historique et les "et si", d'autant que le champion de la Bob's School y excelle bien plus que moi, et prenons le film pour ce qu'il est. Sur FB, je disais à un ancien foruméen que c’était de base un film intéressant. Après l’avoir vu, je confirme : oui, c’est un film intéressant. Sa genèse, son résultat, sont au minimum intéressants. C’est un collage, qui sent le rafistolage, l’accrochage aux branches, le feu de tout bois, Snyder ne pouvant pas faire non plus comme si les deux précédents films n’existaient pas, mais qui ne prend jamais l’eau. Il doit, avec le matériau en sa possession, refermer les portes qu’il a lui-même ouvertes dans BvS. Reconnaissons-lui par contre la riche idée d’avoir évacué les scènes les plus nulles de la V1.
C’est un objet admirable, mais informe, décousu, dont la construction en épisodes permet bien des digressions. On passe d’un personnage à l’autre, d’un lieu à l’autre, sans forcément beaucoup de logique, mais sans jamais perdre le fil non plus. On aurait peut-être pu structurer un peu mieux les épisodes, leur donner à chacun un point de vue plus pertinent, celui d’un personnage par exemple, mais cette version est vraiment pensée pour la télévision, presque même pour les coupures pubs. Ce qui ne passerait pas sur un film plus ramassé, se révèle ici plus fluide, parce que Snyder prend le parti d’étirer, et de naviguer d’une scène à l’autre. Parfois de façon maladroite (on se demande ce que fout tel ou tel personnage pendant que les autres discutent ou se battent), mais globalement, malgré la structure foutraque, avec beaucoup de légèreté, d’aisance.
On peut justement remarquer la profondeur laissée à chaque personnage, aussi bien dans l’histoire, où chacun a son importance, son passé, ses enjeux, ses doutes, que dans les scènes d’action. Forcément, Cyborg y gagne le plus, en intensité, en émotion, son personnage étant ici central, essentiel. Même Flash, qui a pour lui plusieurs moments, paraît moins gratuit dans son humour : c’est souvent par lui que les doutes sur le plan des héros sont levés, par lui que les incompréhensions, les incohérences, sont expliquées. Finalement, il n’y a bien que la pauvre Wonder Woman qui se traine les scènes les plus pathétiques. Non seulement le personnage est nul (alors que j’aime bien le premier film solo), mais le jeu de l’actrice est franchement embarrassant, et, incompréhension totale, chacun de ses moments de bravoure est accompagné d’un ralenti et… d’un chant affreux, risible au bout de la deuxième fois, alors imaginez à la quinzième fois. Je n’exagère pas, je ne comprends absolument pas ce choix. Notons au passage que le thème de ce personnage se fond mal dans l’ambiance musicale du film (peu marquée, d’ailleurs, aucun thème principal qui ressort).
Le film prend son temps, je l’ai dit. Les quatre heures, on les sent passer. Sans doute moins que dans un Edward Yang, mais quand même. Il prend son temps, explique, surexplique, parfois sans véritable raison (le plan, c’est bon, on l’a compris, alors quand en plus c’est pour ne pas le suivre, on se dit qu’on aurait pu gagner un quart d’heure). Il prend son temps pour ce qui n’est au final qu’une recherche de boites magiques (ça, on est d’accord, c’est complètement con). Il se permet même un épilogue de trente minutes, pas forcément aisé à suivre, mais dont je ne me remets pas (enfin… je ne m’en remettrais pas s’il n’était aussi redondant avec le rêve Darkseid de BvS). Introduit des réalités parallèles, des personnages supplémentaires (le martien), consacre plusieurs scènes à Martha… Snyder a une liberté totale, il fait ce qu’il veut, il fait son Citizen Kane, s’en donne à cœur joie, et en donne parfois trop, sans beaucoup d’équilibre, n’étant ni Orson Welles ni Herman Mankiewicz. Mais dans un sens il a raison, j’avais la sensation d’assister à un spectacle unique, à l’opposé du côté mécanique d’un Marvel, et qui tente systématiquement le contrepoint de ce qu’on attend de lui, au point d’attendre 2h30, soit trente minutes de plus que la durée totale de la version précédente, pour faire apparaître Superman ! Le film me poursuivra, pas autant que MoS ou BvS, que j’adore sincèrement, mais comme un objet indéfinissable, un plat trop gras, pas toujours digeste, mais qui laisse une empreinte.
Du gras, donc, il y en a. Déjà, si on éliminait la moitié des ralentis, qui n’ont plus ici aucun sens et ne soulignent pas non plus des actions inédites, on gagnerait près d’une heure. J’exagère à peine. Mais là-aussi, on pardonne, parce qu’il y a un sens de l’épique, de la mise en scène, de l’icône, de la grâce, chez Snyder. Il faut voir l’enchaînement majestueux de plans lors des retrouvailles entre Superman et sa mère. Le genre de montage que je ne comprends pas, qui me dépasse. Ça dure quelques secondes, mais si j’étais aspirant réalisateur, ça me déprimerait au plus haut point. Il faut voir à quel point chaque scène d’action surpasse aisément le climax du premier Avengers, malgré la photographie immonde (reconnaissons à Snyder l’honnêteté d’avoir conservé ses ciels noirs et/ou rouges, alors qu’il aurait pu les colorer comme tous les fans le lui demandaient), malgré un méchant moins intéressant qu’un Thanos, mais tout simplement parce que chaque personnage a ici quelque chose à jouer (pas de Hawkeye à la con avec son arc et son pauvre carquois), et qu’il y a derrière chaque plan un cinéaste qui ne vient pas de la télé. Snyder, c’est la jonction parfaite entre Whedon et Bay. Il arrive juste dix ans trop tard. Il faut voir comme certains traits d’humour sont accompagnés d’un mouvement de caméra qui immédiatement le désamorce au lieu de le souligner (le chapeau qui flotte dans l’air, après l’explosion de la banque). Comme le ton léger de certaines répliques est assombri par la violence de certaines scènes. Snyder, je l’aime d’amour (enfin, je dis ça, mais je déteste 300 ou Sucker Punch). Même si, pas de bol, il ne va pas aussi loin dans l’iconique que les deux précédents films, sans doute freiné dans son élan par les producteurs. Pas de scène à-la-Juarez ici (rappelons qu’il monte ici ce qu’il a pu tourner - les miracles sont donc rares).
Qu’est-ce que je jette, du coup ? Comme Karloff, la trame principale, moins intéressante que la somme de ses composantes, surtout après quinze ans de Marvel qui a déjà exploité tout ce qu’il était possible d’exploiter autour du concept d’artefact. Une bonne partie de la BO (les musiques impersonnelles, les thèmes de WW) ? Les ralentis ? Globalement tout ce qui tourne autour des Amazones ? Je regrette aussi de ne pas avoir vu ce qu’est un monde sans Superman (je pensais vraiment que cette idée serait conservée et approfondie dans cette version - à croire qu’elle venait de Whedon). Mais je retiens, je me répète, un objet absolument unique, quatre heure de super-héros qui discutent, s’opposent, se rejoignent. Un projet magnifique, au résultat certes imparfait, irrégulier, décousu, mais qui prend son temps. Il y a quatre ans, on est vraiment passé à côté d’un grand film. Aujourd’hui, il en reste ces bribes, dont certaines sont superbes. J’en veux terriblement à Warner d’avoir à ce point saccagé leur univers…
Man of Steel : 5.5/6 Batman v Superman : 5/6 Justice League (2021) : 4/6 Justice League (2017) : 2.5/6
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