Ahlala par où commencer…
En subissant
The Amazing Spider-Man 2 l’autre jour, je me suis fait la réflexion suivante : en plus d’être mauvais, c’était le seul film de super-héros de 2014 à ne rien proposer d’autre qu’une formule mille fois vue - ne serait-ce qu’au sein de la même franchise - là où les autres représentants de cette année mélangent les genres.
Captain America : The Winter Soldier est un thriller d’espionnage,
Guardians of the Galaxy est un space opera et
X-Men : Days of Future Past flirte ouvertement avec plusieurs genres.
Concrètement, c’est le cinquième film de la saga principale, le septième si l’on compte les deux
spin-off (eux-mêmes des exemples, bien qu’imparfaits, de la volonté de changer de registre au sein d’une même franchise, surtout
The Wolverine), et si l’on retrouve évidemment des ressorts narratifs ou dramaturgiques par moments similaires, il s'agit quand même d'une des rares séries contenant autant d'épisodes à avoir su constamment se renouveler, pour ne jamais proposer deux fois la même chose.
Je sais que je suis dans la minorité mais l’une des raisons pour lesquelles je préfère
X2 à
Spider-Man 2, c’est parce que le Singer me fait moins l’effet d’un (excellent)
remake du premier volet.
Singer était déjà plus ou moins de retour sur la franchise avec
X-Men : First Class - il en avait signé le traitement et devait le réaliser - mais je serai curieux de savoir qui est à l'origine de la décision d'adapter cette célèbre intrigue (qui ne dure que le temps de deux numéros) du
comic book. Matthew Vaughn, crédité ici à l'histoire avec sa co-scénariste Jane Goldman, a quitté le projet juste après que cela fut annoncé. Peut-être l'envie de réunir le casting de la préquelle avec celui de la trilogie originale était influencé par le succès de
The Avengers mais je ne serai pas étonné de découvrir qu'il s'agit d'un choix de Singer. Après avoir loupé le coche sur
First Class mais surtout sur
X-Men : The Last Stand, quelle meilleure manière de se réapproprier le bébé qu'une histoire de voyage dans le temps?
Il y a une nature presque méta qui traverse toute l'entreprise étant donné que le postulat du film permet donc à Singer de corriger les "erreurs" du passé, en effaçant de la continuité tous les films à l'exception de
First Class et
Days of Future Past. L'attitude ne consiste plus à dire
"on va faire comme si The Last Stand et X-Men Origins : Wolverine n'avaient pas existé", c'est désormais littéralement le cas. Et ce n'est pas du bête
fan service - après tout, Singer efface également ses deux premiers chapitres - mais une façon poétique de donner à la saga la conclusion qu'il n'avait pas pu donner lui-même en ne réalisant pas le troisième film tout en asseyant le statut de
First Class comme un
reboot qui ne dit son nom. [D'ailleurs, malgré ses promesses, Singer ne réconcilie pas
toutes les petites erreurs de continuité de la saga, à quelques détails près.
Mais à vrai dire, on s'en fout.]
C'est donc l'histoire de
First Class que Singer continue d'écrire ici, exploitant une fois de plus à merveille LA trouvaille du précédent : la dramaturgie liée au trio Xavier/Mystique/Magneto. Ceux qui se plaignaient du trop-plein de personnages, parfois par conséquent sacrifiés, dans les épisodes antérieurs peuvent se réjouir. Singer garde ceux qu'il faut et donne un rôle adéquat à chacun. On n'a même pas de personnages secondaires servant à étoffer l'équipe ou à amener du
comic relief, à l'exception de Quicksilver mais justement, Singer a l'intelligence de faire appel à lui le temps d'une séquence uniquement, sans que cela ne fasse
guest en mode gratuit, et l'on oublie tout de suite son look à la con tant l'illustration de son pouvoir donne naissance à une vignette plutôt marrante. Quant au casting de la trilogie originale et les nouveaux mutants qui les entourent, ils ne sont que dans les segments du futur qui consistent en deux scènes d'action, bien vénères, au début et à la fin [si vous avez peur qu'Omar soit ridicule, rassurez-vous, il n'a que deux répliques].
Contrairement à ce que vend la promo, Wolverine n'est pas le protagoniste du film.
Contrairement à ce que vend la promo, Mystique est le personnage le plus important du film.
Grâce à la réinvention offerte par
First Class, dans lequel l'arrogance et l'hypocrisie de l'idéaliste Xavier lui font perdre celle qui l'aimait au profit de Magneto qui l'accepte et l'émancipe mais donc va la radicaliser,
Days of Future Past transcende le matériau de base en apportant un ancrage émotionnel au simple
high concept.
Dans le contexte post-
First Class, l'intrigue devient en somme la bataille pour l'âme de Mystique, livrée entre Xavier et Magneto. Le simili-
bad guy du film, Trask, livre plutôt bataille pour son corps.
Je dis simili-
bad guy pour la simple et bonne raison qu'il n'y a finalement pas vraiment de méchant dans ce film.
Trask n'est pas aussi développé que l'était Stryker dans
X2 et, certes, avec Magneto, moins central ici que dans
First Class, il y a toujours des questions d'allégeance changeante, il va pas rester gentiment dans son coin, comme l'ont montré
X2 et
First Class - les meilleurs volets sont ceux qui savent exploiter les différentes facettes de ce personnage - mais j'aime beaucoup comme finalement, ce qu'il faut vaincre dans ce film, c'est son propre trauma. Singer avait déjà flirté avec cette notion dans
X2 avec Logan donc et un peu via cet échange entre Nightcrawler et Storm où le premier oppose le pardon à la colère du second.
Ici, c'est LE thème du film. C'est le thème qui dicte la dramaturgie : il faut guérir les personnages (Mystique donc mais aussi le vrai protagoniste du film, Xavier) afin de gagner. [ça m'a un peu rappelé
Inception (en moins littéral évidement) où la résolution de l'enjeu narratif (inceptionner Fischer) passe en gros par de la psychanalyse (le réconcilier illusoirement avec son père)]. C'est même le thème qui dicte le genre : le voyage dans le temps servant à "guérir" l'Histoire, en somme. Il suffit de voir les tout premiers plans du film, qui renvoient directement à ceux du tout premier film : on est passé d'un Holocauste à un autre. La boucle est tristement bouclée. L'Histoire ne cesse de se répéter et c'est ça qu'il faut changer. On est vraiment dans l'idéalisme politique singerien de la saga.
Il existe un adage en écriture que je considère essentiel qui est
"Always write to theme". C'est précisément ce que Kinberg fait ici et ça donne au film une cohérence thématique béton (tout l'inverse d'un
The Amazing Spider-Man 2 par exemple qui, n'ayant pas de
theme, se perd complètement dans l'écriture). Magneto aussi est caractérisé par un trauma, bien que lui semble incurable.
Et, évidemment, Wolverine est le plus grand traumatisé de tous. J'aurai bien aimé d'ailleurs que le script exploite davantage une idée, tout juste effleurée dans le film fini, concernant le personnage.
Après, le film part du principe que Logan est guéri justement. C'est aussi pour ça qu'ils le renvoient.
On pourrait croire que Wolverine est réduit à un rôle relativement passif ce coup-ci mais le scénario propose quelque chose de plus malin.
Singer avait conclu l'arc du personnage en deux films. A la fin d'
X2, Logan choisit d'abandonner (la quête de) son passé au profit d'une famille d'adoption. L'un des soucis de
The Last Stand, c'est justement qu'ils n'ont pas réussi à trouver quelque chose à raconter avec son personnage. On passe de
"j'aime Jean" à
"je vais devoir la tuer" sans que l'enjeu n'ait été réellement incarné dans le récit.
Singer ne crée pas un nouvel arc pour Logan comme l'a fait Mangold sur
The Wolverine mais lui donne un rôle dans le récit autre que
"il a le pouvoir de se régénérer donc c'est le seul qui peut tuer Jean". Ce qui est intéressant, c'est qu'ici aussi c'est "le seul" capable d'accomplir la mission grâce à son pouvoir mais si physiquement, il n'y a personne d'autre, mentalement, il n'est pas forcément le choix idéal pour cette mission. Et voir Logan endosser le rôle du vieux sage qui doit convaincre le jeune nihiliste Xavier de rejoindre la cause est assez pertinent. Les histoires de voyages dans le temps sont souvent des histoires de boucles et de renvois et cette inversion des rôles par rapport au tout premier film, c'est parfaitement cohérent. Tout comme son positionnement en tant que témoin des événements, lui, le témoin de l'Histoire, qui a traversé toutes les époques, toutes les guerres, qui a tout vu.
Beast est sans doute plus fonctionnel, mais sa place au chevet du Xavier déprimé est logique, tout comme sa place dans la bataille pour l'âme de Mystique, et son rôle est assez touchant du coup même s'il aurait gagné à bénéficier d'une scène dédiée, surtout qu'au niveau des pouvoirs, c'est pas le plus intéressant.
A ce titre, le film regorge une fois de plus d'idées dans l'utilisation des pouvoirs et, comme les autres volets de la saga, préfère nettement les
set pieces où ces pouvoirs sont utilisés intelligemment et de façon visuellement intéressante à des scènes d'action dans le sens conventionnel du terme. La densité du film est là aussi. On passe de la séquence conceptuelle à quelque chose de plus humoristique à des combats plus bruts à du gros
money shot spectaculaire, etc.
L'intro est un vrai morceau de bravoure. Si on m'avait dit que le pouvoir de Blink aurait été aussi excitant, tant dans l'écriture que dans la mise en image, je ne l'aurai pas cru. Ça rivaliserait presque avec l'ouverture d'
X2. Les scènes dans le futur témoignent d'ailleurs d'une putain de violence que je n'attendais pas dans un tel film. Elles rigolent pas les Sentinelles. Le double-climax est assez impressionnant aussi. Singer trouve toujours une nouvelle manière d'exploiter le pouvoir de personnages qu'on a pourtant déjà vu se bastonner dans 3 ou 4 films.
Mais je crois que ce que je préfère, ça reste les détails, notamment tout ce qui touche au pouvoir de Magneto. Ca reste le plus
badass. Et là y a de quoi faire.
Days of Future Past est plus épique que tous les autres opus, son ampleur s'étendant littéralement sur une cinquantaine d'années, tout en gardant ce côté intimiste qui reste le cœur de la série. A part peut-être un léger coup de mou aux deux-tiers, le rythme est tenu tout le long des 2h03 de métrage. Il se passe un nombre incroyable de trucs, de revirements, de retournements, et en l'espace de très peu de temps diégétique, à l'image des deux autres Singer. L'autre grande idée de ces préquelles, c'est d'avoir situé l'action dans une réalité historique connue. La saga a toujours été ancrée dans réalité socio-politique, le thème de la série étant étroitement liée à des questions de droits civiques, et a pour habitude de prendre les Présidents (fictifs) des Etats-Unis carrément comme personnages (dans
X2 et
The Last Stand). C'est le cas une fois de plus, sauf que là c'est un vrai Président, en la personne de Nixon. La Guerre du Vietnam est en fond tout le long, d'abord en décor où l'on voit des mutants être emprisonnés, puis évoquée comme la raison pour laquelle l'école de Xavier a été déserté, les mutants ayant tous été circonscrits, ou par Trask pour convaincre Nixon de ne pas perdre la guerre à venir contre les mutants, et enfin au travers des Accords de Paix de Paris. Contrairement à la Crise des Missiles Cubain de
First Class, ici le conflit est davantage une métaphore de la réalité des mutants, substituant tantôt les noirs ou les communistes aux mutants.
A l'instar de
First Class, le film s'amuse avec l'imagerie d'époque. On troque les années 60 pour les '70s et, outre la dominante brune de la photo et de la déco, le ton est donné dès la première scène en 1973 où Jackman canalise Eastwood à donf dans une sorte de mini-film de gangsters d'une séquence avant de passer ensuite au thriller post-Watergate à base d'infiltration dans le Pentagone & Cie. Singer rend hommage à ses modèles, tout comme il cite directement les deux références en matière de voyage dans le temps,
Terminator, dont il reprend presque à l'identique la première scène, et
Retour vers le futur sur la fin.
Le film possède à la fois cette dimension folle de film de voyage dans le temps et le rythme speed d'un film d'action avec un
ticking time bomb scénaristique, tout en laissant respirer le récit et vivre les personnages, qui continuent de débattre à longueur de temps, conférant au film le bon
gravitas qui m'est si cher. Putain c'est CA un film incarné, bordel! A la fin, j'en avais presque les larmes aux yeux.
Tout en étant excité pour la suite. Parce que voilà un putain d'exemple de film qui parvient à accomplir plusieurs tâches vis-à-vis de la franchise en l'espace d'un seul épisode : continuer les arcs de
First Class, conclure la trilogie originale et annoncer le prochain volet...
Oui. Il y a un post-générique. Et je suis super curieux de voir où va aller la saga à partir de là. Est-ce qu'
X-Men : Apocalypse sera la conclusion de cette nouvelle trilogie? Quels seront les personnages? Et surtout, qu'est-ce que ça va raconter?
En tout cas, vu son retour en force avec
Days of Future Past, j'espère vraiment que Singer pourra rempiler. Je le suce déjà ici, je veux bien le sucer dans sa piscine.