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Robot in Disguise |
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Inscription: 13 Juil 2005, 09:00 Messages: 36882 Localisation: Paris
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Zad a écrit: Citation: On en parle beaucoup, on les connait peu. Sans une lecture critique des médias, les passeurs sembleraient être les seuls responsables de la venue de millier de gens en Europe. Leur "fonction" est souvent associée aux mots exploitation, esclavage moderne, profit, sans scrupule, faiseurs d’illusion, racket, viol... On a oublié que fut un temps le passeur de juifs ou de résistants sauvait des vies en leur permettant de se mettre à l’abri. Etant donné les obstacles de plus en plus nombreux sur le chemin de l’exil, est-ce si surprenant que les demandeurs d’asile aient fait renaître le passeur ? Et ne peut-il y en avoir de plus régulier que d’autre ? L’un d’entre eux témoigne par Lily Boilet, envoyée spéciale (stagiaire "Leonardo" du Gisti) en GB Je suis érythréen, j’ai 28 ans, je suis l’aîné d’une famille de 10 enfants. Depuis que j’avais quitté l’école, j’étais soldat. Le service national dans mon pays est obligatoire pour tout le monde, homme comme femme. On nous dit au départ que c’est pour 18 mois avec l’entraînement compris, mais en fait on est mobilisé indéfiniment. On n’a pas le choix, sinon c’est la prison. J’ai été 10 ans soldat. Payé aux environs de 400 Nakfa par mois (monnaie érythréenne, ce qui fait à peu près 10 livres selon les témoignages) , on a le droit à une ou deux permissions dans l’année, de 20 jours, pour aller voir sa famille. Mais pour rentrer, le voyage me prenait 5 jours, donc 10 jours aller-retour. Alors j’ai dépassé souvent les délais, pour rester un peu, profiter de ma famille, aider ma mère, en travaillant un peu. Car mes frères et sœurs étant petits, personne n’étant déjà à l’extérieur du pays, comme en Europe ou aux Etats- Unis, la vie était très dure pour elle, et le salaire de soldat ne permettait pas de les faire vivre. Alors les soldats venaient me chercher à la maison et me mettaient en prison, on me considérait un peu comme déserteur. En tout, en 10 ans, j’ai dû être emprisonné une dizaine de fois, je me souviens plus très bien. Et parfois ça pouvait durer jusque 6 ou 8 mois. La prison en Erythrée, ce n’est pas celle que vous connaissez ici en Europe. La prison, c’est les travaux forcés, sans chaussures, par des températures de 40 ou 50 degrés. Il fait très chaud et on n’a pas d’eau. On a le droit à une douche par semaine ! Les habitations pour dormir sont faites en tôles de fer, alors ce n’est pas vivable, on ne dort pas à cause de la chaleur. Quand j’ai pris la décision de partir - ça a pas été facile, j’y ai pensé longtemps – c’était ça ou mourir. Je savais que si je me faisais attraper, si les gens de mon gouvernement comprenaient que je voulais m’enfuir, j’aurais droit à au moins 3 ans de prison et je serais torturé pour donner les autres ou parce que je serais considéré comme traître de mèche avec les ennemis du parti. Je savais que ça allait être dur et incertain car personne ne pouvait m’aider en me payant le voyage, je suis le seul de ma famille à être parti. A ce moment là, j’étais mobilisé à Sawa, un endroit connu pour être un grand centre d’entraînement militaire, c’est proche du Soudan, de la frontière. J’ai pris le temps de collecter toutes les informations, en écoutant les gens, en observant. La « voie », le passage, se fait comme pour l’import-export, avec les moutons ou le tabac qui viennent du Soudan. Je suis parti en février 2005 avec un ami qui depuis s’est décidé pour l’Afrique du Sud, grâce à l’argent de sa famille ailleurs dans le monde. Le passage a duré 3 jours et 3 nuits, sans eau ni nourriture, à pieds. On a atteint Wedi Sheriffe, un petit camp de réfugiés juste après la frontière. Là, on nous a envoyés à Taa Shrin, ça veut dire 26 en arabe, c’est un autre camp de réfugiés géré par le HCR, où on doit nous remettre une carte de réfugié et nous trouver une place ailleurs dans le monde. Mais ça, je le savais pas à l’époque. Et puis ça prend tellement de temps que beaucoup de monde part avant. J’ai écouté un peu les gens, et je suis parti aussi. J’ai atteint Khartoum et j’y suis resté 2 mois. Il y a deux ou trois endroits pour les Erythréens, comme des cafés ou des clubs. On ne se mélange pas trop à la population, surtout quand on n’est pas musulman, comme moi. Tout le monde loue des chambres et on vit tous là en partageant tout. Moi je n’avais pas d’argent alors c’est les amis qui m’ont permis de survivre. Il y a toujours quelqu’un pour partager un repas, une cigarette ou te donner un peu d’argent. Quand j’ai quitté mon pays je ne savais pas vraiment où j’allais, c’était sûrement l’Europe mais, comme je n’avais pas d’argent, je ne m’étais fixé aucun objectif, je verrais bien en cours de route. A Khartoum, j’ai utilisé mon temps à écouter les gens, observer, discuter avec tout le monde, surtout les gens importants. J’ai collecté des infos sur les différentes options : le Kenya, l’Afrique du Sud, l’Europe, Israël. Et sur les conditions : le tarif, le passage, le désert, la Libye, les conditions de vie. J’ai pris la décision de l’Europe par la Libye, car mes amis y allaient et voulaient bien m’aider. Normalement le tarif c’est 250 dollars pour la partie dont s’occupent les Soudanais, puis 300$ aux Libyens pour la première étape et encore 400$ pour l’autre étape jusqu’à Tripoli. Je n’ai pas payé aux Soudanais, on était 10 amis, on a négocié, c’était un peu un prix de gros ! Pour les Libyens, mes amis m’ont aidé. On est parti dans des Land Cruiser, à 40 par camions, il y avait 3 ou 4 camions. On a eu de la chance, personne n’est mort, mais ça arrive très souvent, on en parle tous à chaque étape pour dire qui n’a pas survécu et prévenir la famille. De Khartoum à Idabia, on a mis 10 jours, puis normalement de Idabia à Benghazi on met une journée, on aurait été à mi-chemin si on était arrivé jusque là. On a atteint Idabia, donc la Libye, mais la police nous a arrêtés. Ils nous ont enfermés 2 jours puis renvoyés sur nos pas, toujours en Libye, à Kufra, pour nous emprisonner. On est resté enfermés 3 semaines à Kufra. Il n’y avait pas de lit, pas de couvertures, il faisait chaud la journée, très froid la nuit. Et c’était infesté de puces, de poux et autres bestioles, elles couraient partout sur les murs, par terre, sur nous. Si je mettais ma main dans mon pantalon, j’en sortais une vingtaine à chaque fois ! C’était horrible. Puis les Libyens nous ont mis en relations avec des Soudanais qui nous ont dit que si on pouvait payer 150 $ ils nous prendraient en charge. On a été remis aux Soudanais qui ont payé les Libyens une dizaine de dinars pour chaque personne. Les Soudanais nous ont alors enfermés dans une maison, ils nous ont nourris avec des tomates et du pain, et nous ont demandé si on avait besoin d’appeler la famille pour avoir l’argent. Dans ce cas là, ils fournissent le téléphone et quand ils reçoivent l’argent ils s’arrangent pour que t’arrives à Tripoli. Mais moi je n’avais personne à appeler ! Ils m’ont gardé un mois puis, après, m’ont laissé partir parce que je leur coûtais trop cher en nourriture !! Je les ai fatigués ! Dans cette prison, j’ai rencontré des gens que j’ai aidés en France beaucoup plus tard, dans la jungle ! « crazy world » ! J’ai donc été libéré mais je me suis retrouvé coincé à Kufra parce que le tarif, après les 150$ pour être libéré, est de 300$ pour aller à Tripoli. Mes amis n’ont pas pu attendre. Je me suis retrouvé sans rien. Mais ça m’a permis d’apprendre à connaître les Libyens, à les comprendre. Et puis j’ai pu observer comment ça marchait le business, connaître des Libyens « importants ». Alors j’ai fait le « connecteur ». C’est-à-dire que je rassemblais les migrants érythréens pour préparer un voyage, j’étais comme un intermédiaire entre eux et les Libyens, qui n’ont comme ça qu’une seule personne à qui parler. Et puis les autres, ils viennent d’arriver, ils ne connaissent rien et n’ont pas de temps à perdre, ils sont pressés. Ça me payait le voyage. Les Libyens me laissaient passer. On est allé jusqu’à Benghazi comme ça. Là j’y suis resté bloqué 6 mois car il faut encore 150$ pour atteindre Tripoli. La vie à Benghazi pour moi, c’est la vie tous ensemble avec des gens qui passent. Je suis ami avec tout le monde. Je suis nourri par le « groupe ». Et puis, de toute façon, tout le monde vit sur l’argent des connecteurs. Ils partagent la nourriture, les cigarettes, tout, avec ceux qui n’ont pas d’argent, qui attendent là. Je fais le guide, je montre où et comment téléphoner, les endroits importants, les gens importants. Je me débrouille. Le connecteur prend 150$ et donne 50 au chauffeur. Tu peux débrouiller directement si tu connais les chauffeurs, si tu as le temps, alors tu ne paies que 50$ au chauffeur. J’ai à nouveau fait ça un moment, puis je suis parti aussi pour Tripoli, avec un peu d’argent pour vivre. A Tripoli, c’est très dur en général mais il y a un endroit nommé « Gordji », c’est un quartier mixte Libyens- migrants. Les Erythréens en général vivent à Gordji. La vie est très bon marché, là-bas. Les pains sont gros comme le bras et, pour 40 miches, tu paies 1 dinar !! Du coup avec 2 dinars tu vis une journée ! Les Libyens, s’ils ont du pain et des cigarettes, ils sont contents, ils vivent. Mais, quand ils voient les migrants chargés des courses pour tout le monde, ils les croient très riches et les rackettent avec des couteaux, parfois juste pour 25 centimes ! Le problème à Tripoli à l’époque c’était les connecteurs. Ils parlent beaucoup, affirment que c’est très dangereux à l’extérieur pour effrayer les migrants, parce que, s’ils connaissaient la réalité, ils choisiraient leur voie eux-mêmes, direct. Ceux qui sont vraiment dangereux, c’est les « mixtes », les migrants mais pas érythréens, comme les Egyptiens, les Tunisiens ou les Nigérians. Ils n’ont pas d’argent. Ils sont souvent drogués. Les filles sont prostituées, elles viennent du Maroc ou de Tunisie. Les purs Libyens, ils sont stricts, ils sont ok. Pour moi la Libye, ça allait, je sortais, je pouvais aller partout, boire, même la nuit, je rentrais en taxi. Mais je connais, j’y suis resté 2 ans !! De mon temps, les connecteurs pour les Erythréens étaient Soudanais. Maintenant, ça a changé, les connecteurs sont Erythréens, ça va mieux du coup. Avant, les migrants pouvais payer jusqu’à 5 000$ maintenant c’est aux alentours de 1 200. La première fois que j’ai essayé de passer en Europe, c’est deux copains, Dawit et Yonas, qui ont voulu m’emmener. Ils n’avaient pas eu d’aide eux non plus, ils avaient alors collecté les gens pour passer. Ils voulaient que je vienne, ils ont négocié avec les Libyens. Mais, devant le bateau, les passeurs ont dit qu’il y avait une personne en trop. On était 28, ils ont dit que le bateau ne pouvait supporter que 27 personnes. Mes amis voulaient laisser une de leur place pour moi, mais ce n’était pas juste, alors j’ai décidé de rester. Et puis je n’étais pas pressé. Je savais pas trop où j’allais. Ils sont partis. On n’a plus jamais entend parler d’eux. Jamais eu de nouvelle de ce bateau. Il n’est jamais arrivé. Ils sont morts, je le sais. 27 personnes. Ça m’a fait réfléchir. J’étais pas trop mal en Libye. Et puis je n’avais pas d’argent, donc je n’avais pas de « voie ». Je voyais tout le monde se battre avec la famille pour avoir de l’argent pour passer. Et, dans ce bateau, il y avait un petit cousin à moi, très riche, mais il est mort quand même. Argent ou pas. J’étais effrayé. Mais je faisais rien en Libye, je tuais le temps, c’est tout. Ça m’allait au début, ça me changeait de l’armée, mais au final tu construis rien. Et tout le monde pousse, tout le monde te demande ce que tu fais là, pourquoi tu ne continues pas, qu’il faut faire quelque chose de sa vie. Alors j’ai décidé de tenter la chance. Je connaissais bien tout le système. Je ne partirais que si c’était sûr, pas pour rien, pas pour mourir. Alors j’ai fait le rabatteur, j’ai préparé un voyage et je suis passé avec les gens que j’avais collectés, avec les bons Libyens, le bon bateau, la bonne voie. On a mis 35 heures pour traverser la Méditerranée. On est arrivé à Lampedusa, en août 2007. Très vite, on a été emmenés dans un autre camp à Crotone, j’y suis resté 4 mois et j’ai reçu un papier d’un an, le « sejorno ». Pour moi, le camp, c’était ni bien ni mal. Après 2 mois, on pouvait sortir dans la journée de 8h à 22h, pour aller à la laverie ou surfer sur internet. Les Italiens je les ai trouvés racistes, ils font des différences à la couleur de peau. Et, quand tu fais du grabuge dans le camp, ils te chopent et te font des injections qui rendent les gens bizarres pendant 2 ou 3 jours. C’est arrivé à 2 amis, que j’ai retrouvé aussi en France, puis ici. Quand j’ai eu les papiers, on nous a demandé où on voulait aller. J’ai choisi Rome car tout le monde allait là bas. On a été déposés à la gare et on nous a payé le ticket de train. A Rome, j’ai dû suivre le mouvement, car on s’est retrouvé tout seul, sans explication. Je pensais trouver un logement, j’ai trouvé un squat, Analina. J’ai voulu me débrouiller, j’ai pris toutes les infos et j’ai obtenu tout ce qu’il me fallait pour travailler : la carte d’identité, le code ficicale, une sorte de numéro qui permet à ton patron de te payer, quelque chose comme ça, même les documents de voyage. Pendant tout ce temps je dormais à Analina. C’est un grand immeuble qui n’appartient à personne, où tous les réfugiés ou les migrants vivent dedans. Je n’ai pas payé pour vivre dedans car je n’avais pas ma propre chambre puisque j’étais nouveau. Je dormais dans le couloir. Mais, si tu ne connais personne dedans, tu n’as pas de place, alors tu vis dehors, à la gare. Il n’y a pas d’électricité, pas d’eau, pas de toilettes car elles sont bouchées, alors tout le monde va dehors, tu ne te laves pas pendant des semaines. Tout le monde s’entasse là dedans, les femmes, les enfants, les femmes enceintes. Quand tes vêtements sont sales, tu vas dans une caritas voir s’ils peuvent t’en donner d’autres. Si vous voyiez Analina, vous perdriez la tête ! Il y a un deuxième squat à Rome, Corentina, celui là il est mieux, les gens s’organisent pour nettoyer, ce sont des gens qui travaillent, qui vivent en famille. Du coup, c’est beaucoup plus cher. Ceux qui partent vendent leur place au suivant. Je suis resté deux mois, je n’ai jamais trouvé de travail. Alors je suis parti à Milan, chez des amis qui pouvaient me loger. Ils vivaient là depuis un moment, ils travaillaient. J’y suis resté 6 ou 7 mois, j’ai fait toutes les villes du coin pour trouver du boulot parce que je payais pas le train. Quand tu reçois une amende, tu expliques que tu peux pas payer, généralement ils s’en foutent les contrôleurs, alors tu donnes les amendes à une sorte de caritas, peut être que le Vatican paie pour nos amendes, je ne sais pas. En tout cas, j’ai essayé et je n’ai jamais rien trouvé, pas de boulot. Il faut que j’aide ma famille. En tant que soldat j’ai jamais pu le faire, en plus je les embêtais tout le temps à avoir des ennuis avec les militaires, à me sauver, ou à boire, à tuer le temps. Depuis que je suis parti jusqu’en Italie, je n’avais pas pu les aider non plus, donc là j’avais atteint un but, il fallait que je travaille pour les aider. Mais rien n’a marché. Alors j’ai repris la route, après avoir écouté tout le monde. Je me suis dit que si l’Angleterre m’acceptait, c’était bien, sinon je m’échapperais et je travaillerais au noir. C’est pour ça que j’ai choisi l’Angleterre. Et puis la langue y est facile à apprendre. Et une fille qui venait juste de se faire déporter de là-bas, retentait le coup, et elle me plaisait bien, alors je l’ai suivie. Je suis arrivé à Paris en mai 2008, puis à LilleFlandres, puis à Calais, avec un gars rencontré dans le train. Dès l’arrivée, on a rencontré quelqu’un qui nous a montré ce qu’on appelle l’African Home, une espèce de grand hangar où tous les migrants dorment par terre et se cachent pour échapper à la police qui vient nous courir après avec du gaz qui pique les yeux et empêche de respirer. Tout le monde dit que c’est parce qu’on est illégaux, ou noirs ou musulmans… Je ne sais pas. Pour moi, c’était comme un retour aux pratiques découvertes pendant le voyage en Afrique. On m’a tout expliqué pour la nourriture, les douches, internet, la ville, les gens, la police et les voies de passage pour les Africains : le protocole, puis les parkings - payants - d’embarquement dans les camions. J’ai essayé 3 nuits par le protocole, c’est-à-dire le passage libre, sans payer. Tu te glisses toi-même comme tu peux sous un camion ou dedans si c’est possible de refermer derrière toi. Mais ça n’a pas marché et puis c’était dangereux. J’aurai pu tomber comme plein d’autres. Dans l’African Home, j’entends parler du business sur les parkings. Je me suis renseigné sur ce que ça voulait dire. Ouvrir, fermer des portes, ça n’avait pas l’air bien compliqué. Et puis j’avais besoin de travailler, d’argent, j’allais aussi en Angleterre, comme tous ceux qui faisaient ce travail-là en attendant de passer, pour économiser un peu et envoyer l’argent à la famille. Surtout pour tous ceux qui ont été fichés ailleurs , comme moi, en Italie ou autre, et qui n’ont pas pu s’y installer, qui n’ont rien trouvé pour commencer une vie, et qui sont expulsés à chaque fois d’Angleterre, c’est un bon moyen pour ne pas tout à fait perdre son temps, et on n’a pas beaucoup le choix. Alors j’ai discuté avec ceux qui s’occupaient de mettre les gens dans les camions à ce moment-là, pour savoir quand je pourrais le faire aussi. J’ai juste eu à attendre qu’ils décident de reprendre la route après avoir économisé assez. J’ai fait ce travail là 2 mois. C’est stressant la nuit sur le parking, on a toujours peur de la police, mais on est tous ensemble, entre frères et sœurs, on partage tout pendant la journée. On est entre nous et les Français sont super gentils, y a juste la vraie mafia qui est dangereuse, y en a toujours qui veulent reprendre le business pour qu’il soit plus rentable, et c’est toujours par la force. Entre nous, on s’arrange, on s’entraide, ceux qui n’ont pas d’argent passent quand même. J’ai fini par passer à l’automne. Il le fallait car, à la fin de 2008, la validité de mes papiers italiens allait prendre fin. Si ça ne marchait pas en Angleterre et qu’elle me renvoyait sur le continent, je pourrais toujours les faire renouveler. Dès qu’on est arrivés en Angleterre, la police nous a trouvés dans le camion. On a donc été interrogés, les empreintes ont été vérifiées. Ils ne m’ont rien dit. J’ai d’abord été placé en centre pour demandeurs d’asile, puis envoyé dans la ville où je suis encore aujourd’hui, dans ce qu’on appelle une sharing room. C’est une petite maison que je partage avec d’autres demandeurs d’asile. Je signe toutes les semaines au poste de police. Ils ne m’ont toujours rien dit, et je n’ai pas eu de rendez-vous pour le « grand entretien » qui permet d’avoir l’asile si tu le réussis. En ce moment, ils ne renvoient personne en Italie, mais ils ne donnent pas non plus de papier. Tu dois juste attendre chez toi. Et tu n’as pas le droit de travailler. (on observe effectivement une pause dans les déportations vers l’Italie en ce moment. Des requêtes auraient été déposées devant la haute court de justice, contre les conditions de vie des réfugiés, selon l’article 3 de la convention de Genève.) Mais, là au moins, je suis en sécurité. Rien à voir avec l’Italie où, dehors le soir, tu peux te faire attaquer parce que tu es noir, ou parce qu’il y a plein de drogués, de clochards. Je ne cherchais pas particulièrement l’Angleterre quand je suis parti de chez moi ou même quand je suis arrivé en Europe. Mais, en Italie, j’avais peur de tout ce que j’ai vu dans la rue, et j’y vivais quasiment, dans la rue ! Tandis qu’ici, j’ai un chez-moi. Je reste encore craintif vis-à-vis des autres, anglais ou étrangers. Et puis je ne comprend pas bien quand on me parle. Mais je peux aller voir des amis, je bouge un peu, puis à 20h je rentre dans ma chambre et je ne bouge plus, je suis bien, en sécurité. En France, j’ai rencontré ma copine, elle allait en Angleterre, elle n’avait pas d’empreintes enregistrées ailleurs, elle m’a conseillé, je l’ai suivie. J’ai laissé tomber un copain dans la même situation que moi, avec les mêmes interrogations, le même objectif de vivre heureux tranquillement quelque part, avec lequel on avait décidé de rester en France. Mais finalement j’ai suivi celle qui est maintenant ma copine. J’espère qu’on vivra ensemble. Ici sinon c’est difficile car tout est très cher. On a pas la possibilité de faire quoi que ce soit, juste rester chez soi ou aller chez des amis. J’ai déjà envoyé tout l’argent que j’ai gagné en étant passeur à ma famille. C’est beaucoup d’argent. J’espère être libéré de ça au moins 2 ans, sans avoir à leur envoyer mes économies. Eux, ils vont pouvoir mieux vivre parce que tout se raréfie en Erythrée, donc tout devient très cher, et ma mère ne peut pas travailler, il y a encore de jeunes enfants à la maison, et mes frères plus âgés sont au service national, comme moi avant. Et, par la forte solidarité qu’il y a chez nous, cet argent servira à beaucoup de monde. Je suis encore en contact avec beaucoup de ceux que j’ai fait passer. On a tous de bons rapports, si on a de bonnes raisons de s’entendre en dehors du passage ! On va chez les uns ou chez les autres. Les gens veulent passer. Si tu fais bien le travail, et que donc ils passent, il n’y a pas de raison qu’ils t’en veuillent, si tu ne leur fais pas d’ennui et si tu les traites bien. Chez les passeurs, il y a de tout, du bon et du mauvais. Mais, en tout cas, c’est juste un moyen de survie qu’on trouve pour pouvoir poursuivre son chemin quand il n’y a pas d’autres possibilités. http://emi-cfd.com/echanges-partenariat ... ?article89Oui c'est très intéressant. Moi ça me fait penser à ce texte de Vive le feu: Citation: Ce texte montre d’une part comment, du fait de certaines évolutions techniques et commerciales survenues au cours du XXème siècle, l’utilité des employés sommeliers a été progressivement remise en question dans la restauration et l’hôtellerie, jusqu’à entraîner la quasi-disparition de cette spécialité dans les années 1960 ; et d’autre part, comment, pour surmonter cette crise, les sommeliers ont réalisé un travail de redéfinition de leurs fonctions et de leurs compétences en profitant des opportunités offertes par le développement d’une nouvelle culture du vin, basée sur la dégustation et l’esthétisation du vin.
Les fonctions du sommelier jusqu’à l’entre-deux-guerre
Au début du siècle, les sommeliers remplissaient dans la restauration une triple fonction.
La première, qui a quasiment disparu aujourd’hui, consistait à veiller à la conservation et aux soins des vins entreposés dans les caves des restaurants. A cette époque en effet, les vins étaient encore très souvent commercialisés en barriques, parfois à des stades précoces de leur fabrication. Leurs acquéreurs devaient donc prendre en charge des opérations qui aujourd’hui incombent aux producteurs, telles que la mise en bouteilles, voire même, dans certains cas, telles que la filtration, le sulfatage, ou le collage. Les sommeliers devaient en outre être capables de faire face aux diverses maladies susceptibles de frapper le vin au cours de son stockage en barrique. Il leur incombait donc de les prévenir et, le cas échéant, de les repérer et de les guérir. Cela supposait qu’ils possèdent des connaissances, ou du moins un savoir-faire, de type œnologique, qui faisaient d’eux des ouvriers très qualifiés.
La compétence dégustative était d’ailleurs pour les sommeliers une dimension essentielle de leur bagage technique, puisqu’elle était le seul moyen d’évaluer le caractère “loyal et marchand” des vins. Comme il n’existait pas de formation scolaire en sommellerie, ils étaient principalement formés “sur le tas” au contact des plus anciens. Pour les Parisiens, existait cependant une association professionnelle, l’Union des sommeliers de Paris, fondée en 1906, qui dispensait chaque semaine des cours d’œnologie sous la responsabilité d’un ingénieur agronome, auteur de nombreux ouvrages sur le vin, Raymond Brunet. Enfin, les sommeliers pouvaient s’appuyer sur un ouvrage classique, édité pour la première fois en 1813, puis ré-édité (corrigé et augmenté) de multiples fois, en 1822, 1836, 1860, 1874, 1884 et 1922 : Le manuel du sommelier et du marchand de vin, qui constituait une somme du savoir technique nécessaire à leurs activités de cavistes.
Outre cette fonction de soins des vins, les sommeliers accomplissaient encore deux types de travaux : des tâches de manutention et le service des vins en salle. En ce qui concerne ce dernier aspect de leur métier, il est clair que le service des vins n’était pas tout à fait dans la première moitié du siècle ce qu’il est devenu aujourd’hui : les attentes des clients et les normes de la pratique professionnelle cantonnaient en effet étroitement le sommelier à la fonction de service proprement dite : déboucher les bouteilles et remplir les verres. Toute la partie “conseil aux clients” était quant à elle très peu développée. Comme nous le montrons ailleurs[1], le thème de l’harmonisation des saveurs des vins et de la cuisine ne s’est imposé comme norme gastronomique qu’au cours des années 1920-1930. Jusqu’alors, au lieu d’être considéré, à l’instar d’aujourd’hui, comme une activité créative, livrée à la recherche esthétique et destinée à pousser plus loin le raffinement gastronomique, le choix et le service des vins au cours d’un repas relevait plutôt de prescriptions strictes et rigides, dictées par les convenances et les usages établis. Il n’y avait donc pas à proprement parler chez la clientèle un besoin de conseil quant aux choix des vins, puisque ces derniers étaient pour ainsi dire imposés par l’usage. De la même façon, il semble que les attentes des clients par rapport aux sommeliers étaient moindre qu’aujourd’hui pour tout ce qui touche aux informations sur l’identité, la provenance, la fabrication ou le goût des vins consommés. Voici à cet égard le témoignage, donné en 1987, par Georges Sachet, qui évoque les débuts de sa carrière comme sommelier chez Marguery, en 1926 :
“[Autrefois] les gens étaient moins connaisseurs. Ils buvaient du vin, le meilleur parfois, sans avoir la moindre information sur le cépage, le terroir, la vinification, le clos ou le château. Mais ce qu’ils désiraient, ils le commandaient et n’en démordaient pas. Le sommelier devait bien servir le client, s’occuper de lui, lui être tout dévoué : le client exigeait un service impécable. Le sommelier n’avait pas besoin d’autant de connaissances qu’aujourd’hui”.[2]
Un métier en crise
A partir des années 1930 et jusqu’à la fin des années 1960, le métier de sommelier, tel que nous venons de le décrire, entre dans une période de crise. Il subit d’abord les effets de la dépression économique des années 1930. Dans ce contexte où les restaurants cherchent à réduire leurs coûts de fonctionnement, la question de l’utilité des sommeliers parmi le personnel des établissements commence en effet à se poser de façon pressante. Parmi les fonctions traditionnelles du sommelier que nous venons de rappeler, la manutention et le service en salle apparaissent comme des activités peu spécialisées et peu qualifiées qui peuvent donc aisément être prises en charge par d’autres employés. Commence alors un processus de substitution des sommeliers par des maîtres d’hôtel ou des garçons de salles, qui assurent un service polyvalent des mets et des vins.
La forte spécialisation du travail de caviste constitue cependant encore un obstacle à une complète substitution. Mais l’évolution des techniques de commercialisation après la guerre conduit aussi à une déqualification de cet aspect du métier. En effet, du côté des producteurs, l’habitude se généralise de vendre directement le vin en bouteille, de sorte que toutes les activités liées au stockage du vin en barrique sont désormais effectuées avant la vente des vins. Face aux autres professions de la restauration, face aux propriétaires des établissements, les sommeliers se retrouvent alors dans une position délicate où ils ne peuvent guère justifier l’utilité d’un employé spécialisé dans le vin. C’est ce que souligne le témoignage de Georges Sachet :
“Le personnel de cette époque [dans les années 1950-60] était très hostile à la fonction de sommelier. Il le considérait comme un employé superflu, sans fondement dans la hiérarchie de service et prélevant une part du tronc qu’il aurait préféré se réserver. (…) Pendant trop longtemps, nous avons été considérés comme des parias de la restauration. Pas uniquement par les patrons, qui ne comprennent toujours pas l’utilité d’un sommelier, mais aussi par certaines gens du personnel qui nous prennent pour des serveurs concurrents”.[3]
Cette crise d’identité professionnelle a des manifestations très concrètes. D’abord sur le plan des effectifs. Certes, il est très difficile d’évaluer leur évolution avec précision, puisque les sommeliers n’ont pas d’existence dans les nomenclatures statistiques officielles : ils ne sont pas recensés par l’INSEE et sont en fait confondus avec l’ensemble du personnel de la restauration. Cependant, selon le témoignage de certains sommeliers qui ont eu dans les années 1970-1980 des fonctions de représentation dans les organismes professionnels, la chute des effectifs est considérable. Dans la revue Bacchus International (publication de l’Union française de la sommellerie) de janvier 1973, le nombre de sommeliers dans les années 1930-1932 est estimé à neuf cents à Paris et à une centaine en province, soit environ un millier au total. Selon Paul Brunet, auteur en 1987 d’un manuel pour les apprentis sommeliers et qui retrace brièvement l’histoire de la profession, ce nombre est tombé à une cinquantaine dans les années 1960. En trente ans, se produit donc une chute des effectifs de 95%. Sur le plan institutionnel aussi, le déclin est sensible, puisque l’ancienne Union des sommeliers, créée en 1906, fusionne en 1961 avec la Mutuelle hôtelière, mettant ainsi fin à ses fonctions de formation des jeunes sommeliers et d’organisme de placement. A la fin des années 1960, la sommellerie apparaît ainsi comme une profession en voie de disparition, qui ne subsiste plus que sous forme d’ilôts dans quelques établissements de grand luxe.
Le renouveau de la profession à partir de la fin des années 1960
A la fin des années 1960 cependant, quelques sommeliers entreprennent de sauver le métier en tentant de redéfinir l’image et les fonctions de la profession. On peut décrire ce processus en s’appuyant sur la notion de professionnalisation. La professionnalisation, c’est-à-dire le processus par lequel un corps de métier revendique un champ d’activités particulier, passe par un travail d’argumentation auprès de différents publics, à commencer par les clients potentiels du groupe professionnel, visant à imposer une représentation du professionnel comme détenteur d’une compétence utile. Or, c’est un tel travail de professionnalisation, ou plutôt de re-professionnalisation, qu’entreprennent les sommeliers en cherchant à définir à quels besoins répond leur métier et sur quelles compétences il doit s’appuyer.
Tout d’abord, sur le plan institutionnel, des associations sont créées pour représenter les intérêts de la profession et les faire valoir auprès de différents publics. Les sommeliers se regroupent ainsi dans des associations régionales comme l’Association des sommeliers de Paris (ASP) ou l’Association des sommeliers de Lyon et de Rhône-Alpes (ALSERA) et toutes ces associations sont à leur tour fédérées au niveau national dans l’Union de la sommellerie française (UDSF). En 1973, cette union se dote d’une revue, Bacchus international, qui sert aux professionnels de forum de réflexion et de tribune où s’expriment leurs revendications. L’objectif explicitement posé est de définir la place des sommeliers d’une part par rapport aux autres professions de la restauration, d’autre part par rapport aux acteurs du monde du vin.
“L’objectif essentiel de cette revue est de nous permettre de mieux nous définir par rapport à l’ensemble des personnels de la restauration, de l’hôtellerie, des producteurs, des négociants en vins. (…) En même temps, nous voulons nous faire entendre des Pouvoirs Publics et affirmer notre originalité et notre volonté de croissance, sinon de survie, par rapports à nos collègues de la corporation hôtelière. (…) Nous avons pris notre indépendance parce que nous étions, nous sommeliers professionnels, noyés dans la masse : directeur, maître d’hôtel, chef de rang, fille de salle, femme de chambre, etc… ; sans possibilité d’action aucune”.[4]
En ce qui concerne la démonstration de leur utilité, les sommeliers des années 1970 prennent acte du déclin irrémédiable du sommelier-caviste. Ainsi, Gilbert Letort, président de l’UDSF, écrit-il : “Le côté manutention de la profession (mise en bouteille, traitement du vin) s’estompe peu à peu. Il n’est plus indispensable qu’un sommelier connaisse et sache soigner les maladies du vin en fût”. C’est plutôt sur le travail même de service des vins que l’accent est mis, mais un service enrichi, anobli, qui ne se limite pas à manipuler des bouteilles. En effet, l’idée développée par l’UDSF est que les clients, aujourd’hui, attendent un travail de conseil de la part du sommelier. C’est ce que souligne un professeur de sommellerie dans la préface d’un manuel destiné aux apprentis sommeliers :
“Restaurateurs, futurs restaurateurs, attention ! Au début du siècle dans les salons à la mode, les conversations portaient sur la littérature, le théâtre, la musique. Dieu merci, ces sujets de conversation existent toujours, mais il en est un nouveau qui prend chaque jour plus d’importance : le vin. Partout en France, des cours sont organisés ; les non-professionnels s’y précipitent et y travaillent sérieusement. Il y aura de plus en plus de clients qui souhaiteront parler de vin avec vous. Ne les décevez pas !”[5]
La restauration doit ainsi prendre acte de l’évolution des normes de la consommation de vin : le vin deviendrait pour un public croissant quelque chose dont on parle, un objet d'esthétisation. Même si tous les clients ne deviennent pas nécessairement des connaisseurs, les sommeliers, pressentant les modifications de la base sociale des consommateurs de vins fins et les transformations de leurs attentes, soutiennent qu’ils seront malgré tout de plus en plus nombreux à admettre que pour bien apprécier un vin, “il faut s’y connaître” et que, à défaut d’être soi-même compétent, il faut être assisté par les conseils de quelqu’un qui le soit. Celui qui sert le vin doit donc pouvoir renseigner (comment est fait le vin ; d’où il vient,…) et conseiller (accord des plats et des vins). Et, même lorsqu’il ne mobilise pas effectivement ses compétences techniques, il doit du moins faire autorité, c’est-à-dire manifester par son titre ou ses gestes qu’il est bien la personne consacrée et habilitée pour célébrer le culte du beau vin. Les sommeliers font donc valoir, aussi bien face aux concurrents des autres professions de la restauration que face aux patrons des établissements, que le service du vin ne peut être accompli que par un personnel qualifié et spécifique. C’est ainsi que se dessine une représentation du sommelier comme prescripteur, c’est-à-dire comme expert chargé d’orienter la consommation des clients.
Cette argumentation pour redéfinir la fonction du sommelier s’accompagne d’une redéfinition du bagage de compétences que ce dernier doit posséder pour la remplir. La profession, à travers ses organes représentatifs, commence ainsi, dans les années 1960, à militer pour que se mettent en place des institutions de formation spécifiquement adaptées à la sommellerie et qui attestent de sa compétence experte. Cette dernière doit comporter deux aspects : d’abord, une culture générale du vin, qui consiste en un savoir livresque comprenant la connaissance de la géographie viticole, des cépages, des procédés généraux de fabrication du vin et des usages typiques de chaque région. En outre, un sommelier se doit aussi —et surtout— de posséder une connaissance personnelle des vins et des vignerons, faite du contact direct avec les produits et les producteurs. En particulier, le sommelier doit avoir une vaste expérience dégustative.
Pour donner ces compétences aux sommeliers et pour convaincre le public qu’ils les possèdent bien, la profession va s’appuyer sur le mise en place de deux types d’institution : le concours de sommellerie et un enseignement professionnel spécifique.
S’agissant des concours, ils ont joué un rôle considérable dans la reconnaissance de la compétence et de l’utilité de la sommellerie. Le premier d’entre eux, celui de meilleur sommelier de France, est créé en 1961. En 1979, la maison de Champagne Ruinart parraine le lancement d’une nouvelle épreuve : le trophée du meilleur jeune sommelier de France. Puis, est mis en place un concours de meilleur sommelier du monde (1983) et un concours de meilleur sommelier d’Europe (1988). Tous ces concours sont plus ou moins organisés de la même manière et comportent des épreuves semblables. Dans l’ordre chronologique de déroulement, vient une épreuve théorique qui consiste à répondre à un questionnaire écrit sur les connaissances viti-vinicoles et l’œnologie. Les questions posées dans ces tests exigent des candidats une érudition considérable sur la géographie viticole, l’ampélographie, ou encore l’œnologie. Viennent ensuite des épreuves pratiques, en rapport direct avec la pratique professionnelle quotidienne des sommeliers, telles que la décantation d’une bouteille, la conversation dans une langue étrangère ou la correction d’une carte de vin erronée. Mais l’épreuve la plus connue, celle qui a sans doute fait le plus pour la reconnaissance du sommelier aux yeux du grand public, est sans doute l’épreuve de dégustation, où les concurrents doivent décrire oralement les caractéristiques d’un vin et tacher de l’identifier à l’aveugle. Par son suspense et par son caractère mystérieux aux yeux du public non-averti, cette épreuve de dégustation se prête en effet particulièrement bien à la dramatisation et donc à la médiatisation, bien plus par exemple que l’épreuve de correction d’une carte de vins erronée, qui ne peut intéresser que des spécialistes.
Au total, par la nature de leurs épreuves, ces concours de sommellerie remplissent plusieurs fonctions. D’abord ils mettent en scène les gestes traditionnels du sommelier et montrent l’attachement de la profession à un rituel de service très codifié, très solennel qui confère à l’acte de boire un caractère extra-ordinaire, sacralisé. Ensuite, ils remplissent des fonctions internes à la profession. D’une part, ils permettent d’élever le niveau réel de compétence des membres de la profession grâce au travail de préparation qu’ils exigent de la part des candidats. Pour les représentants de la profession qui l’ont institué, c’était d’ailleurs le principal objectif visé : permettre à la profession de s’auto-transformer en favorisant l’apparition de véritables spécialistes du vin et de la dégustation. Il semble d’ailleurs que l’objectif ait été atteint. Ainsi Jean Frambourt, président de l’UDSF en 1987, déclare-t-il : “Les concours ont marqué la profession. (…) Ils ont créé une émulation entre les sommeliers”.[6] Si cette formule du concours a connu un tel succès auprès des sommeliers, c’est sans doute aussi parce que ces derniers ont rapidement pu constater qu’elle générait des profits variés. La victoire à ces concours, largement relayée par les médias, spécialisés ou généralistes, donne en effet un prestige considérable aux vainqueurs et constitue un formidable accélérateur des carrières professionnelles. Les sommeliers primés sont ainsi très recherchés par les grands établissements de restauration (les étoilés Michelin, les palaces) qui y voient un gage de compétence professionnelle et un argument à faire valoir auprès de leur clientèle. De même, certaines entreprises de la branche “vin” (sociétés de vente, maisons de négoce, etc…), à la recherche de personnel qualifié, prennent peu à peu l’habitude de contacter les sommeliers consacrés et de les “débaucher” du secteur de la restauration pour en faire leur “responsable qualité” ou “leur responsable des achats”. De même encore, les revues vinicoles, qui à partir de la fin des années 1970, se spécialisent dans des activités de conseil d’achat développent une collaboration étroite avec les sommeliers réputés, parmi lesquels se trouvent de très nombreux anciens vainqueurs de concours.
L’autre axe du travail de construction de la compétence, c’est la tentative pour faire reconnaître par l’Education nationale une formation et un diplôme de sommellerie. Dans les années 1950-1960, des formations professionnelles aux métiers de l’hôtellerie, principalement des CAP, avaient été mises en place, mais aucun cursus n’était spécifiquement destiné au service des vins. Cependant, les sommeliers bénéficient dans les années 1960 d’un contexte très favorable pour faire entendre leur voix auprès des pouvoirs publics et pour faire admettre leur volonté de spécialiser leur formation. En effet, comme on le montre ailleurs[7], c’est l’ensemble des métiers du vin qui entreprennent à cette époque de modifier le contenu de leurs programmes de formation pour les adapter aux progrès qui ont affecté le savoir et les techniques œnologiques.
C’est dans ce contexte général d’institutionnalisation de l’enseignement de la dégustation que les sommeliers réclament eux-aussi la création d’une formation professionnelle leur permettant de participer au mouvement. Dès la fin des années 1960, les sommeliers obtiennent la mise en place dans les écoles hôtelières d’un cours d’initiation à la dégustation et, avec la collaboration de l’Institut technique de la vigne (I.T.V), font éditer un manuel, le Précis d’initiation à la dégustation[8], présentant à destination des élèves des écoles hôtelières un condensé vulgarisé des notions nouvelles. C’était un premier pas vers l’objectif visé par la corporation : l’établissement d’un cursus scolaire spécifique aux sommeliers.
Il faudra attendre cependant 1980 pour voir la création d’un CAP d’employé sommelier. Les textes officiels définissent alors le sommelier comme “un ouvrier qualifié dont l’activité essentielle est de mettre à la disposition de la clientèle des boissons correspondant à ses besoins” et précisent le contenu des programmes enseignés aux élèves-sommeliers : des cours d’analyse sensorielles doivent notamment leur permettre d’apprendre à “décrire un vin et déterminer ses défauts éventuels” ; des cours sur la géographie viticole et sur le processus de fabrication des vins doivent les aider à identifier la provenance et les caractéristiques des vins. Ces matières comptent pour le tiers de la note totale.
Bilan
Au total, on peut dire que ce processus de reprofessionnalisation fondé sur la revendication d’une compétence dégustative a permis à la profession sommelière de sauver un métier qui semblait vouer à disparaître. Aujourd’hui, les cours de sommellerie sont nombreux dans toute la France et fournissent un contingent annuel de quelques dizaines de jeunes diplômés. Preuve de l’attrait des formations de sommeliers, un nouveau diplôme a été créé en 1994 : il s’agit d’un Brevet de technicien sommelier (B.T), qui propose une formation plus poussée.
Malgré tout, il reste difficile d’apprécier l’ampleur exacte du renouveau de la profession. Au plan de l’image, image qui s’incarne dans l’élite professionnelle (vainqueurs des concours de sommellerie, chefs-sommeliers des grands établissements), il ne fait pas de doute que le personnage du sommeliers fait figure d’expert du vin et de la dégustation et apparaît aux autres acteurs du monde du vin comme un acteur important (au moins symboliquement) de la culture œnophile.
Si l’on sort cependant des hautes sphères de la sommellerie, porteuse de la représentation que la profession cherche à donner d’elle-même, il est plus difficile d’établir un bilan. Le CAP de sommellerie, formation spécialisée, a été un échec et a été remplacé dès 1985 par une “mention complémentaire d’employé sommelier”. Comme son nom l’indique, cette formation vient en réalité compléter une formation destinée aux employés de service de l’hôtellerie et de la restauration. Elle ne forme donc pas des sommeliers à proprement parler, mais des employés de service polyvalents ayant appris, entre autres, à servir du vin. On ne peut donc pas considérer qu’un diplômé de sommellerie est un sommelier : il est apte à remplir des fonctions de service du vin —ce qui est très différent. La création de diplômes de sommellerie n’a donc pas permis aux sommeliers de clore le processus de professionnalisation en instaurant une barrière à l’entrée de la profession. De fait, dans la restauration, les employeurs, hormis dans les hôtels et les restaurants de standing, ne recherchent pas de sommeliers spécialisés, des “experts du vin”, mais des employés de service polyvalents qui sont moins coûteux, puisqu’on peut leur faire faire plus de choses. Le fait de disposer d’une mention complémentaire de sommellerie est donc simplement un atout pour trouver un emploi, puisqu’elle garantit à l’employeur que son employé pourra aussi remplir des fonctions de service du vin, mais elle ne garantit aucunement une expertise dégustative et œnophile.
La frontière qui délimite la sommellerie est donc floue. Ceci dit, le Tigre avait aussi quelque chose de pas mal à dire là dessus: Citation: Vous trouvez ci-desous l'article publié en 2004 dans le mensuel Passionnément Chien, ainsi que le résumé de ma thèse de doctorat. Pour toutes personnes intéressées, j'envoie volontiers l'intégralité de ma thèse.
LEHOTKAY, R., 2004. L'attachement dans la relation entre le chien et son maître. Passionnément Chien, 2 (4), 7-9.
La relation que vous avez développée avec votre chien est certainement basée sur l'affection que vous lui portez, mais aussi sur l'amour qu'il vous démontre chaque jour! Vous ne le saviez peut-être pas, mais cet attachement réciproque fait l'objet de recherches scientifiques depuis plusieurs années maintenant. Cet article a ainsi pour but de vous informer sur les dernières découvertes faites dans ce domaine qu'est l'attachement dans la relation homme-animal de compagnie.
La relation homme-animal de compagnie est un phénomène ancien, particulièrement dans le cas du chien domestique (Canis Familiaris), qui vit parmi les hommes depuis environ 15’000 ans. Depuis ce temps cette relation a évolué, mais la raison principale qui nous pousse à adopter un animal de compagnie demeure l'attachement que nous développons pour notre animal. Considérant que l'attachement implique une relation entre un individu qui prodigue des soins et un autre qui les reçoit, la relation qui se développe entre une personne et son animal de compagnie est alors souvent considérée comme étant comparable à la relation présente entre une mère et son enfant. C’est sans aucun doute ce que vous-même vivez chaque jour avec votre animal.
Pour comprendre le phénomène de l’attachement entre l’homme et l’animal, il est essentiel de comprendre celui de l’attachement entre humains. Un brin de psychologie s’impose...
Au sens large, l’attachement fait référence aux sentiments qui unissent deux individus, habituellement de même espèce. En psychologie, la notion d'attachement est généralement utilisée dans le cadre de la relation mère-enfant, et plus particulièrement dans le contexte de la théorie de l'attachement de Bowlby. Ce dernier, un médecin anglais, a élaboré sa théorie dans les années 70 à partir des concepts et méthodes issus de l’éthologie, en s'éloignant ainsi de la théorie freudienne qui considère que l’enfant s’attache à sa mère parce que celle-ci satisfait son besoin primaire de l’alimentation. Bowlby considère que la recherche et l’approche de la mère par son jeune sont des comportements qui assurent la protection de ce dernier face aux prédateurs potentiels de l’espèce. Selon lui, le contact entre le jeune et sa mère est l'élément primordial qui permet le développement de la relation d'attachement. Ainsi, la théorie de l’attachement de Bowlby suppose que lorsqu’un enfant est éloigné de sa mère et éprouve de la détresse, il tend à rétablir le contact avec celle-ci. Mais comme vous le savez, deux individus réagissent différemment devant la même situation, et deux mères auront donc des réactions différentes face à la détresse de leur enfant. Il en résulte que l’enfant, suivant la réaction de sa mère, développera une façon personnelle de contrôler sa détresse, et donc un profil d'attachement différent. Dans cette optique, plusieurs méthodes ont vu le jour afin d'évaluer le profil d'attachement chez l'enfant et chez l'adulte. Ces méthodes d’évaluation ont permis de mettre en évidence une correspondance entre le profil d’attachement de l’enfant, évalué à l’aide de la Situation Étrangère de Ainsworth et le profil d’attachement de sa mère, évalué à l’aide d'un questionnaire. (Mary Ainsworth, collaboratrice de Bowlby, a développé une situation expérimentale où l'enfant est confronté à un étranger, d’abord en présence de sa mère, puis sans elle. C’est ce qu’on a appelé la « Situation Étrangère de Ainsworth »).
Passons maintenant à la relation que l'homme a avec son animal de compagnie, puisque c’est là le sujet qui nous intéresse. Dans ce domaine, les études faites sur l’attachement sont loin d’être aussi satisfaisantes dans la mesure où elles ne permettent que d'évaluer le niveau d’attachement de l’homme envers son animal à l’aide de questionnaires. Toutefois, utilisant le contexte de la théorie de Bowlby, une étude a établit que le chien manifeste des comportements d'attachement lorsqu'il est séparé de son maître qui sont similaires à ceux de l'enfant lorsqu'il est séparé de sa mère. À partir de ces résultats, et reprenant le parallèle fait entre la relation de l'homme avec son animal de compagnie et celle de la mère avec son enfant, nous avons posé l’hypothèse suivant laquelle les comportements d’attachement du chien sont également liés au profil d’attachement de son maître. Les comportements d'attachement des chiens ont été analysés à l'aide d'une version adaptée pour le chien de la Situation Étrangère de Ainsworth, alors que le profil d'attachement des maîtres a été établi au moyen d’un questionnaire mettant en évidence la manière dont ces derniers recherchent la proximité dans leur relations d'attachement en général.
Alors que retirons-nous de cette étude? Quelles sont nos conclusions?
Premièrement, nos résultats montrent que les chiens n’ont pas tous le même profil d’attachement vis-à-vis de leur maître. Deuxièmement, le profil d'attachement du chien correspond effectivement à celui de son maître, tout comme il a été démontré dans la relation mère-enfant. Ainsi, les personnes qui recherchent plus de proximité dans leurs relations proches possèdent un chien qui recherche également plus de proximité avec elles, alors que les personnes plus distantes dans leurs relations proches ont un chien plus distant avec elles.
Bien que ces résultats semblent surprenants, précisons que selon la théorie de l'attachement, le lien entre le profil d'attachement de la mère et celui de son enfant est modelé à travers leurs interactions. Étant donné que la plupart des personnes ont adopté leur chien très jeune, il est fort probable que leur manière d'interagir a influencé le comportement de leur chien. Ce dernier semble donc moduler son comportement en fonction de celui de son maître, tout comme le jeune enfant le fait envers sa mère. C’est certainement le cas de votre propre chien, sans même que vous vous en soyez rendu compte.
Quant au maître, nous remarquons que son profil d'attachement influence les interactions qu'il a avec son chien. La plupart des propriétaires d'animaux considèrent leur animal comme un ami ou un membre de la famille. Ces dernières descriptions faisant davantage référence à un humain, il est possible qu’une personne projette effectivement une identité humaine sur son chien, ce qui expliquerait le fort attachement qu'une personne peut avoir pour son animal. Il se peut que vous vous reconnaissiez dans cette description. Vous comprendrez alors mieux certains comportements.
Certes, les comportements d'attachement que le chien manifeste à l'égard de son maître sont similaires à ceux que le chiot démontre envers sa mère, mais cela n'implique pas forcément que le chien adulte considère son maître comme sa mère. Nous savons aussi que, dans une meute de chiens sauvages, les individus adultes dont le rang est inférieur expriment leur soumission au chef de meute par des comportements infantiles. Le chien semblant considérer l'humain comme un congénère, il est possible que les comportements d'attachement du chien domestique envers son maître soient pareillement un indice de soumission. Par conséquent, il demeure difficile de savoir exactement si le chien domestique voit son maître comme son chef de meute ou comme sa mère. Alors que les raisons de l'attachement d'une personne pour son chien demeurent multiples, l'attachement du chien domestique pour son maître peut également avoir plusieurs sources.
Et vous? Pensez-vous que les comportements d'attachement que votre chien démontre à votre égard correspondent à votre manière d'aborder vos relations d'attachement en général? © 2006 Lehotkay
L'attachement dans la relation entre le chien domestique (Canis Familiaris) et son maître. Extrait de ma thèse de Doctorat en Psychologie (Ph.D.) présentée en 2003 à l'Université du Québec à Montréal, Canada (Mention d'excellence)
Résumé
Bien que la relation homme-animal de compagnie constitue un phénomène ancien, l'intérêt pour en faire l'étude scientifique n'a débuté qu'à partir du moment où des recherches ont démontré un effet physiologique sur l'humain lié à la présence d'un animal de compagnie. La grande majorité des recherches se sont alors intéressées aux bienfaits psychologiques associés d'une part à la présence d'un animal de compagnie à la maison, et d'autre part à l'attachement pour celui-ci. Cet intérêt pour l'attachement que le maître a pour son animal a conduit à l'élaboration de plusieurs échelles évaluant le niveau d'attachement.
Alors que l'attachement entre un maître et son animal semble être réciproque, il est intéressant de noter que dans le domaine de la relation homme-animal, seul le maître est examiné. Néanmoins, certains auteurs notent cet aspect de réciprocité, considérant même la relation homme-animal comme étant quelque peu similaire à celle qui se développe entre une mère et son enfant.
Considérant que l'attachement implique une relation entre un donneur de soins et un individu qui reçoit les soins d'une part, et que les différentes activités impliquées dans la construction et le maintien des attachements chez les humains peuvent également être présentes dans la relation homme-animal d'autre part, il est possible de penser que la relation d'attachement présente entre un animal et son maître puisse être semblable à celle qui se développe entre un enfant et sa mère. Par conséquent, nous pouvons supposer que la théorie de l'attachement de Bowlby (1969) puisse être appliquée à l'étude de la relation homme-animal, puisqu'elle considère justement les deux individus de la dyade, c'est-à-dire le donneur de soins et celui qui reçoit les soins.
Bien que l'attachement du maître pour son animal ne corresponde pas nécessairement à l'attachement d'une mère pour son enfant, il semble que l'attachement de l'animal pour son maître puisse effectivement être comparé à celui que l'enfant démontre pour sa mère. Il a ainsi été démontré que les comportements du chien, lorsqu'il est séparé de son maître, sont similaires à ceux de l'enfant lorsqu'il est séparé de sa mère.
L'objectif général de la présente thèse consiste donc à étudier la relation homme-animal de compagnie par le biais de la notion d'attachement telle que proposée par Bowlby (1969). Dans ce contexte, les résultats obtenus dans le domaine de la relation mère-enfant suggèrent qu’il y a une relation entre le patron d’attachement de l’enfant et celui de sa mère. De façon plus spécifique, la présente thèse vise donc à vérifier s'il y a une correspondance entre le patron d'attachement du maître et les comportements d'attachement de son chien. Considérant que l'animal de compagnie est plus souvent vu comme un ami, et que l'attachement que nous voulons évaluer chez la personne adulte ne s'intègre pas exactement dans un contexte de relation parent-enfant, nous avons choisi une méthode d'évaluation plus appropriée à la relation homme-animal, c'est-à-dire qui considère l'attachement dans une relation davantage amicale. Ainsi, nous avons évalué le type d'attachement du maître avec le "Relationship Questionnaire" (ou RQ) de Bartholomew et Horowitz (1991), qui permet de mettre en évidence les deux dimensions de l'attachement que sont l'anxiété face à l'abandon et l'évitement de la proximité. Nous avons ensuite comparé les résultats issus de ce questionnaire avec les comportements d'attachement du chien, observés dans la Situation Étrangère telle qu'adaptée par Topàl et al. (1998). Cette procédure consiste en 7 épisodes de 2 minutes dans lesquels la réaction du chien est examinée en présence de son maître ou en présence d'une personne étrangère.
Cinquante-trois dyades maître-chien ont participé à cette étude. De manière générale, nos résultats sont semblables à ceux obtenus par Topàl et al. (1998). Les analyses suivantes démontrent que les 53 chiens observés peuvent être divisés en trois groupes, qui se distinguent en fonction des comportements de recherche de proximité et de contact avec leur maître, ainsi qu'avec l'étrangère. Les résultats obtenus quant aux réponses dans le RQ révèlent que les maîtres peuvent également être divisés en trois groupes, qui se distinguent en fonction de leur niveau d'évitement et de leur niveau d'anxiété. L'analyse suivante montre qu'il y a effectivement une relation significative entre les trois groupes de maîtres et les trois groupes de chiens. En ce qui concerne l'évitement, nos résultats démontrent que les maîtres les moins évitants ont un chien moins évitant avec son maître, les maîtres moyennement évitants ont un chien moyennement évitant avec son maître, et les maîtres plus évitants ont un chien plus évitant. Pour ce qui est de l'anxiété, les résultats sont moins clairs mais n'infirment tout de même pas la présence d'une relation positive.
L'interprétation de cette correspondance entre le profil d'attachement du chien et celui de son maître met l'accent sur l'origine de l'attachement qui unit un chien à son maître. Mais mon message n'était pas complet si je ne citais ce texte de Joelle Aubron juste avant que le crabe ne gagne son bras de fer. Citation: Ce projet a eu plusieurs vies; il s’est réincarné sous de multiples visages. Il me semble pertinent de retracer les diverses péripéties et métamorphoses qui ont accompagné mon travail de thèse et mené à la forme finale qu’elle a prise. Ce retour sur mon parcours permettra, je crois, de mieux situer le cadre pluriel de référence théorique auquel j’adhère, de préciser ma perspective de travail en tant qu’anthropologue de la musique et de décrire la démarche méthodologique que je privilégie dans mes recherches ethnographiques. La voie dans laquelle je compte poursuivre dans l’avenir mes recherches prolongera, en les approfondissant, les perspectives mises en œuvre dans cette thèse.
Si je pouvais résumer en trois mots les thèmes et les questions qui m’ont préoccupée depuis le début de mes études supérieures, je le ferais en accolant les uns aux autres trois mots : « musique », « appartenance » et « errance ». Sans avoir pu l’articuler aussi clairement durant ma maîtrise, mon mémoire qui portait sur la musique contemporaine palestinienne, posait d’emblée la question suivante : comment appartenir ou comment exprimer son appartenance à un monde dans lequel se sont effrités en grande partie les repères qui ont permis de nous situer en tant qu’individus et sociétés à l’ère moderne?
Cette question découle d’une conviction personnelle profonde qui va à l’encontre de certaines théories contemporaines de l’identité et de l’appartenance. Nous avons besoin, me semble-t-il, en tant qu’êtres humains, en tant que sujets essentiellement sociaux, d’appartenir à un groupe qui puisse servir de lieu d’identification, soit en s’y ancrant soit en s’en détachant. À l’encontre de certaines prétentions qui sacralisent la pluralité des appartenances de pair avec l’individualisme absolu – deux marqueurs de l’identité contemporaine, du moins dans les sociétés occidentales – je persiste à croire que l’inscription dans un lieu, l’ancrage dans une histoire et l’appartenance à un groupe continueront à s’imposer comme une réalité primordiale incontournable. Aussi longtemps que le besoin d’appartenir persistera, il est certain que les individus et les sociétés tendront à se construire autour de certains points d’ancrage et à s’orienter à partir de balises fixées dans des espaces déterminés, comme autant de repères et de points de butée face aux dérives que la multiplicité des références entraîne inévitablement.
Dans les cas où ces points d’ancrage primordiaux disparaissent ou s’affaiblissent, les personnes sont bien sûr conduites à se donner de nouveaux repères, à mettre en place d’autres balises. Une telle stratégie entraîne inévitablement, pour les individus comme pour les groupes, des conflits sur le plan identitaire qui génèrent de l’ambiguïté dans les systèmes de sens et qui produisent des recompositions des codes sur les plans politique, culturel, etc. Je crois légitime de parler, dans ce contexte, de « défis de l’appartenance ». Mais comment entamer une réflexion qui permettrait de rendre compte de manière empirique de ces défis de l’appartenance? Travailler où? Sur quel objet? Et pourquoi donc?
1.2 Appartenir à quoi au juste?
Dans mon mémoire, j’ai examiné cette problématique à travers une étude de l’usage et de la valorisation des instruments par les musiciens palestiniens dans le contexte de l’affaissement du mouvement nationaliste en Palestine. J’ai postulé que la musique instrumentale incarnait l’ambivalence palestinienne parce que les instruments ont toujours occupé une place marginale dans la tradition musicale arabo-musulmane qui est essentiellement vocale et parce qu’ils ont toujours été associés, selon les canons de la tradition arabe, à des musiques « douteuses » au plan de leur authenticité, et de leur valeur esthétique et morale (El-Ghadban 2003). En tant qu’objets porteurs d’ambivalence, ils permettent aux musiciens palestiniens d’exprimer leur propre ambivalence identitaire surgissant de leur position de marginalité dans le monde et de leur transnationalité. J’ai défendu l’idée que les musiciens palestiniens utilisent les instruments comme des « agents de médiation » entre les différentes facettes de leur identité. J’ai postulé que la « dé-territorialité » est devenue pour ces musiciens un cadre de référence identitaire légitime. Cette position interprétative concordait parfaitement, à travers la place donnée à un troisième espace identitaire, avec les nouvelles théories de l’hybridité, du métissage, de la créolité et du cosmopolitisme (Bhabha 1994; Young 1995; Martin 1999; Breckenridge, et al. 2002). Elle était néanmoins aussi fondée sur la définition classique du « territoire » en tant que lieu physique et espace géopolitique de la construction identitaire. Même dans un cas comme celui de la Palestine imaginaire, dont rêvent depuis toujours les Palestiniens en diaspora, le territoire « mythique » renvoie à un lieu réel, à une terre bien concrète, qu’on peut localiser à un endroit précis sur une carte (sans s’entendre nécessairement avec les voisins sur ses frontières ou son histoire).
Cela étant dit, une thèse qui place la dé-territorialité au cœur de l’identité sous-entend que les gens n’ont plus besoin d’appartenir que d’une manière temporaire et stratégique. Comme l’ont noté Ulf Hedetoft et Mette Hjort, cette thèse repose sur une conceptualisation utopiste et utilitariste du cosmopolitisme identitaire
Voilà je pense que tout est dit maintenant.
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