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A Paris, la réalité a dépassé la fiction : récit en coulisses d’une campagne folle
L’équipe d’Anne Hidalgo a-t-elle joué un rôle pour pousser Villani à être candidat en solo ? Agnès Buzyn a-t-elle jamais cru en sa capacité à faire la différence ? Comment Rachida Dati a réveillé la droite parisienne ? Nos révélations.
Anne Hidalgo est arrivée très largement en tête au second tour des élections municipales, ce dimanche à Paris, au terme d’une campagne très animée.
Anne Hidalgo est arrivée très largement en tête au second tour des élections municipales, ce dimanche à Paris, au terme d’une campagne très animée. LP/Olivier Corsan
Par Marie-Anne Gairaud
Le 29 juin 2020 à 12h57, modifié le 29 juin 2020 à 13h13
Ce lundi 10 décembre 2018, à la buvette du Conseil de Paris, les discussions vont bon train. En cette fin d'année, les élus macronistes se sentent pousser des ailes. L'année a été rude pour la maire de Paris : polémique sur la piétonnisation des voies sur berge, le service Vélib' déraille, Autolib' mis à l'arrêt. Et pour couronner le tout, la démission de son premier adjoint Bruno Julliard.
« Tous les voyants sont au vert pour une alternance à Paris mais il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Anne Hidalgo est une redoutable politique et elle n'a pas encore dit son dernier mot », tempère, à l'époque, Eric Azière élu centriste parisien rompu aux élections municipales. Il ne croyait pas si bien dire!
VIDÉO. Anne Hidalgo, largement réélue : «Vous avez choisi un Paris qui respire»
En l'espace de onze petits mois, de juillet 2019 à juin 2020 l'élection municipale à Paris aura connu plus de rebondissements que n'importe quelle autre élection municipale parisienne et le raz de marée LREM annoncé des mois à l'avance a viré… à la débandade pour le parti présidentiel.
La candidature de Villani appuyée par l'entourage d'Hidalgo
« La politique est aussi une affaire d'alignement de planètes », note un collaborateur de cabinet. Et, en la matière, entre la dissidence du député LREM Cédric Villani, la candidate LR Rachida Dati qui a réimposé la droite dans le débat parisien et l'épidémie de coronavirus, Anne Hidalgo aura bénéficié d'un réalignement imprévisible et propice à sa réélection.
Son savoir-faire en politique n'y est évidemment pas étranger. La maire sortante sait s'entourer. Elle doit une fière chandelle à son adjoint chargé de l'urbanisme, Jean-Louis Missika. La candidature de Cédric Villani dans les pattes de Benjamin Griveaux? Selon plusieurs sources, il n'y est pas étranger. Jean-Louis Missika connaît bien le mathématicien. C'est lui, d'ailleurs, qui l'avait encouragé à présider le comité de soutien d'Anne Hidalgo en 2014.
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« Quand on se demandait si Anne serait en capacité de se représenter, Jean-Louis s'est dit : Quitte à ce que ce soit un candidat LREM qui l'emporte à Paris, autant le choisir », rapporte un adjoint d'Anne Hidalgo. « Il a beaucoup flatté Villani, et appuyé sa candidature », rapporte un Marcheur. Et de fait, la dissidence du médaillé Fields va très vite saper la campagne de Benjamin Griveaux, principal adversaire de la maire de Paris.
La dissidence de Cédric Villani va très vite saper la campagne de Benjamin Griveaux. AFP/Joël Saget
La dissidence de Cédric Villani va très vite saper la campagne de Benjamin Griveaux. AFP/Joël Saget
L'épisode de la désignation à l'unanimité en juillet 2019 de Benjamin Griveaux par la commission nationale d'investiture a été mortifère pour LREM. « Villani avait été humilié, il s'est senti instrumentalisé. Et son désir de revanche était grand », se souvient un villaniste.
Il faut dire que Benjamin Griveaux n'a rien fait non plus pour apaiser le climat. L'homme, sûr de lui, se montre souvent arrogant en entretien, voire méprisant, vis-à-vis de ses concurrents. A peine intronisé, un papier du Point révèle d'ailleurs les propos peu amènes qu'il tient à l'encontre des autres postulants à la mairie de Paris : « abruti… fils de p… »
« Plutôt que de vous inviter à le rejoindre, il vous fait mettre un genou à terre », regrette Gaspard Gantzer, candidat à la mairie de Paris qui finira par rallier les troupes LREM après l'abandon de Benjamin Griveaux.
« Nous étions sans cesse rattrapés par la dissidence de Villani »
Même au sein de son équipe, le candidat LREM a du mal à être apprécié. Avec sa porte-parole Marie-Laure Harel, ex-LR passée chez En Marche et élue à Paris depuis 2008, le courant ne sera jamais passé. « Il m'a toujours tenue éloignée de son cercle de confiance. Pourtant j'étais sa porte-parole et je devais le défendre, lui, ainsi que son programme. Mais j'ai presque toujours tout appris dans la presse : les sondages qu'il commandait, le projet de Center Park à la place de la gare de l'Est… » soupire l'élue.
L'automne durant, le candidat Griveaux, peine à parler de son projet. « Nous étions sans cesse rattrapés par la dissidence de Villani », soupire un membre du QG. « On tend tellement la main à Villani qu'on finit par en attraper des crampes », rient jaune les Marcheurs sur les boucles WhatsApp.
Dati fait mouche
A droite, la fusée Dati, elle, est lancée. Après un automne à croiser le fer avec ses détracteurs au sein même de son parti, la maire LR du VIIe finit par avoir ses 17 têtes de liste. Propreté, sécurité, Rachida Dati martèle des thématiques chères à son électorat et fait mouche. A tel point que dans les sondages, elle ravit la seconde place à Benjamin Griveaux.
Le candidat, lui, se refuse à toute autocritique. « Lorsque le premier sondage donnant Dati devant Griveaux est sorti, ceux qui avaient balancé le sondage sur la boucle WhatsApp se sont fait engueuler », se souvient un référent d'En Marche. « C'était un sérieux avertissement mais il n'était pas question d'en parler », s'étonne encore Marie-Laure Harel. Les Marcheurs commencent à avoir le moral dans les chaussettes et… ils ne sont pas au bout de leur peine.
La chute du candidat Griveaux
Le 13 février 2020 au soir, les portables vibrent dans les poches. Une sextape circule sur les réseaux sociaux. En sortant de leur réunion de campagne dans leurs arrondissements, les têtes d'affiche découvrent les images. « Il ne nous a rien dit alors que le matin même nous étions en conférence de presse à ses côtés pour présenter le programme », s'étouffe Eric Azière, tête de liste dans le XIVe. Le lendemain matin, Benjamin Griveaux, livide, annonce à la télévision qu'il se retire de la campagne.
VIDÉO. La campagne municipale infernale de Benjamin Griveaux
« Il y avait une telle haine entre le camp Villani et le camp Griveaux que le jour où la vidéo fuite, on a même cru que c'était les villanistes qui étaient derrière le coup », se souvient-on au QG de David Belliard, le candidat écologiste à la mairie de Paris. L'histoire montrera que le coup avait bien été préparé, mais pas par les villanistes. Dans le camp Hidalgo, la consigne est de ne surtout pas commenter cette affaire sordide. Il faut dire que pour le moment, la campagne lancée tardivement en janvier se passe plutôt bien.
L'image clivante de la maire sortante? Depuis plusieurs mois l'élue a limité les sorties médiatiques et laissé son nouveau premier adjoint Emmanuel Grégoire monter au front. Et les journalistes sont soigneusement tenus à distance. Anne Hidalgo déroule ainsi tranquillement ses propositions et donne le tempo de la campagne. Après la sortie de la sextape, à l'Hôtel de Ville on attend donc qu'une fumée blanche sorte des rangs de la macronie.
Agnès Buzyn tente d'imprimer sa marque
Tout le week-end, les conciliabules s'enchaînent pour trouver un(e) remplaçant(e) à Griveaux. Encouragée par tous, Agnès Buzyn alors ministre de la Santé accepte de reprendre le flambeau. Le dimanche soir une première rencontre avec les militants est organisée dans un café du IXe. Les Marcheurs sont regonflés à bloc. Ils attendent avec impatience leur nouvelle championne. A l'arrivée d'Agnès Buzyn… une énorme averse leur tombe dessus. Mauvais présage ?
Avec cette nouvelle candidate, c'est une autre campagne qui était censée s'écrire. Elle n'arrive pas à convaincre Villani de la rejoindre mais attrape au passage Gaspard Gantzer, l'ex-communicant du président Hollande qui avait tenté jusque-là une candidature hors partis. Oublié le projet tant décrié de Central Park gare de l'Est de Benjamin Griveaux, Agnès Buzyn tente d'imprimer sa marque et regagne quelques points dans les sondages. Mais un tsunami va bientôt s'abattre sur la France. Le coronavirus progresse.
Négociations et confinement
Du gel hydroalcoolique est distribué dans les bureaux de vote en ce dimanche 15 juin pour éviter les contaminations, mais les électeurs ne sont pas nombreux à se déplacer. Surprise générale : Anne Hidalgo arrive en tête au premier tour avec une large avance (29,33 %) devant Rachida Dati (22,72 %) et Agnès Buzyn (17,26 %).
Très vite le pays se confine. Sauf… les élus. Le second tour n'est pas encore annulé et les tractations pour fusionner les listes entre les deux tours n'attendent pas. Entre écologistes et socialistes notamment. « Nous nous sommes retrouvés du côté de l'Hôtel de Ville, dans une petite pièce pour parler des places, des postes, du programme tout en partageant un bol d'amandes », raconte un des participants.
Les négociations sont douchées quand Anne Souyris, adjointe chargée de la Santé, entre dans la pièce, et annonce le visage blême que la ville est priée de trouver des tentes pour dresser des morgues provisoires. Chacun regagne ses pénates et les pourparlers ne reprendront pas avant plusieurs semaines, puisque le second tour est reporté.
Le tsunami qui s'abat sur la France? Agnès Buzyn confie à une journaliste du Monde qu'en tant que ministre de la Santé elle l'avait vu venir et parle de « mascarade » en évoquant les élections. Panique à bord à LREM. Consigne est donnée d'expliquer que la candidate est fatiguée et que ses mots ont dépassé sa pensée.
Une « campagne sordide »
A l'annonce de l'organisation du second tour le 28 juin, l'équipe de la candidate s'interroge sur ses capacités à repartir en campagne. Victime de menaces durant le confinement, Agnès Buzyn qui bénéficie d'une protection rapprochée hésite d'ailleurs elle-même. D'autant que les Marcheurs lui en veulent pour les propos qu'elle a tenu sur le maintien des élections. Les dignitaires de la Macronie cherchent même un plan B… jusqu'à ce que la candidate (qui avait renfilé sa blouse de médecin pendant le confinement) décide finalement de reprendre la bataille des municipales. Au grand désespoir de plusieurs référents de la campagne qui préfèrent se mettre au vert ou restent confinés pour certains en province.
Au QG dans le quartier Montparnasse, ils ne sont plus très nombreux à s'affairer pour la campagne. Agnès Buzyn elle-même n'est pas très encline à s'exposer. « Au départ, elle avait très peur d'être interpellée par les électeurs sur la crise sanitaire… et elle voulait limiter les sorties au XVIIe où elle est candidate. Et puis après être allée dans le VIIIe avec le député Sylvain Maillard, puis avec moi sur le marché Anvers, elle s'est détendue », rapporte Delphine Bürkli, maire du IXe arrondissement.
Mais plus personne ne se fait d'illusion sur l'issue de la campagne. « Je ne serai pas réélue au Conseil de Paris… et je l'ai compris avant même le premier tour », admet Marie-Laure Harel qui compte bien prendre ses distances avec le milieu politique après cette « campagne sordide ».
Et Agnès Buzyn ? Arrivée troisième au second tour avec 13,3 % des voix, elle citait Nietzsche ces derniers jours « tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». En campagne pour sa réélection à la tête de l'Hôtel de Ville Anne Hidalgo, réélue dimanche avec 49,5 % des voix, l'avait promis : « Vous avez aimé la saison 1, vous allez adorer la saison 2. » Agnès Buzyn, elle, ne figurera même pas au casting.