Mais du coup, Castorp a toujours pas regardé ?
J'ai suivi au rythme de diffusion à partir de la saison 4, après avoir bingé les 3 premières à l'époque. Je garde un excellent souvenir de la saison 1 et son côté
whodunit pas toujours très habile mais bien menaçant, qui installe rapidement l'insécurité chez le spectateur face à la duplicité et l'ambivalence permanente des intriguants.
Passée cette entrée en matière, ça devient un gimmick qui nécessite au fil des saisons toujours plus d'outrance pour continuer à fonctionner. Et au revisionnage, il apparaît finalement que chaque mort de personnage principal, aussi choquante qu'elle ait pu être à chaud, arrivait à point nommé car il ou elle avait épuisé tout intéret narratif, et se trouvait déjà depuis quelques épisodes, voire plus dans certains cas (Robb, par exemple), en sursis scénaristique. Et avec le recul des années, j'ai du mal à ne pas y voir un certain cynisme meta dans le rapport à l'effet produit par la fiction sur le public, qui semble être la marque de fabrique des créateurs de série qui se revendiquent, avec l'ostentation du converti à casserolles, comme progressistes (cf. les morts soudaines de persos "importants" chez Joss Whedon).
Cynisme qui fait aussi écho aux motivations de Martin dans son projet littéraire ouvertement anti-Tolkien. Tolkien qui a écrit un roman hommage à la littérature médiévale "européenne", apocalyptique, référencé à l'extrême, profondément chrétien (que ça plaise ou non) donc très allégorique, voire même carrément naïf, en tout cas dépourvu de toute once de nihilisme post-moderne. Martin, qui est intarissable à ce sujet, et dont les réflexions sont incroyablement idiotes, n'a que "oui mais et la politique fiscale d'Aragorn ? Hein ?" à la bouche... Et, pour y répondre, il pond cette série de romans en obésité morbide, surchargés de descriptions physiques, de tenues, de bannières et de blasons, avec ce style absurde
médiéval affecté, équivalent littéraire d'un américain qui s'amuse à prendre l'accent britannique mais sur 3000 pages.
Romans qui hurlent "regardez comme Tolkien se trompait, regardez comme le Moyen Âge c'était de la merde, avec toute cette guerre et ces viols" tout en s'inscrivant dans le format pléthorique de l'héroic fantasy, mais en cherchant constamment à en éviter les poncifs, tout en s'épuisant à en garder le souffle épique mais en évitant l'engagement (confondu bêtement avec de l'absolutisme) moral au coeur des influences de Tolkien et de son travail, compensé par la multiplication limite tumorale des "points de vue" et de la "psychologie" pour faire passer au forceps un relativisme d'une facilité accablante qui finalement interdit tout propos d'ensemble sous prétexte de rendre ses personnages attachants (pire fin en soi en fiction) tout en gardant la menace fantastique à distance puisqu'elle risque d'exiger de lui le retour de la morale... Bref, le beurre et l'argent du beurre. La gymnastique impossible. La pirouette qui finit de travers avec un pet foireux. Tom Segura qui se casse une jambe et un bras en jouant au basket (
https://youtu.be/0ry5FJpOPRU?t=77). La longueur de ses romans, outre ses descriptions d'un systématisme qui confine à l'auto-parodie, s'explique aussi par le fait qu'il s'agit finalement d'une énorme digression de la part d'un auteur qui s'est très certainement rendu compte en cours de route qu'il se trompait, et que la subversion puérile ça ne marche que sur du format court.
C'est pour ça qu'il ne finira jamais, pour unifier tout ça il faut qu'il ait recours à ce qu'il trouve si pénible, et sans y comprendre grand chose, chez Tolkien. Que la série ait bouclé le truc avant lui, c'est ce qui lui est arrivé de mieux. Il a juste à faire semblant de continuer, tout en multipliant frénétiquement les side-projects dans un des recours les plus criants à la politique de l'autruche de l'histoire de la culture, comme ça il aura jamais à admettre quoi que ce soit.
Bref, série bien superieure à son matériau d'origine, qui a coupé dans 50 tonnes de gras inutile (Joffrey meilleur méchant, rien dans la version littéraire ne présageait une telle efficacité à l'écran... Bronn pareil, et j'en passe). Tous ceux ici qui n'ont jamais touché aux bouquins ne ratent rien. Nique sa mère GRR Martin.