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MessagePosté: 19 Sep 2019, 09:23 
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Antichrist
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1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d’épouse en refusant de poser. Marianne va devoir la peindre en secret. Introduite auprès d’elle en tant que dame de compagnie, elle la regarde.

Il a été beaucoup question, aux Etats-Unis et aussi en France, dans la foulée du mouvement #MeToo et du collectif 50/50 qui réclame plus de parité dans le milieu du cinéma de «Male Gaze», que l'on pourrait traduire par le regard insistant masculin porté par de nombreux cinéastes hommes sur les femmes. Au Festival de Cannes, où Portrait de la jeune fille en feu a été projeté pour la première fois, de nombreux critiques ont érigé le nouveau film de Céline Sciamma comme un étendard féministe, comme s'il fallait à tout prix opposer le désir fétichiste des mâles à celui des femmes. Bien sûr, on ne peut écarter d'un revers de la main l'aspect politique d'un film qui a reçu la Queer Palm sur la Croisette : on ne filme pas un monde sans homme (le premier arrive à 5 minutes de la fin), une femme artiste (ce qui n'était pas si rare au 18e siècle avant qu'elles ne sombrent dans l'oubli), un avortement (sublime scène sur le droit de toutes les femmes à disposer de leur corps) et bien sûr une passion lesbienne par hasard. Mais ce n'est pas, à nos yeux en tout cas, le discours le plus intéressant du film.


Dans un récent tweet, un internaute démontrait avec habilité à quel point les femmes cinéastes étaient systématiquement ou presque oubliées en cas de co-réalisation. Les noms d'Ágnes Hranitzky, Kátia Lund ou Cristina Gallego ne sont pas parvenus à vos oreilles cinéphiles et pourtant elles sont créditées à la réalisation du Cheval de Turin, de La Cité de Dieu et du récent Les Oiseaux de passage. Au Male Gaze s'ajoute la politique des auteurs-réalisateurs rois, surtout en France, qui fait du metteur en scène le Dieu monothéiste du plateau de cinéma. Ce n'est pas le cinéma que défend Céline Sciamma, pour qui l'acte de création est collectif, à part égale entre celui ou celle qui regarde et celui ou celle qui est regardé. Cela remet ainsi en équation toute l'histoire masculine du cinéma de la deuxième partie du 20e siècle en perspective. Le Mépris est-il l'oeuvre du seul Jean-Luc Godard ou une oeuvre à partager entre Jean-Luc Godard et ses acteurs, en premier lieu Brigitte Bardot ? Les films d'Alfred Hitchcock, une influence claire de Portrait de la jeune fille en feu sont-ils uniquement les siens ou sont-ils façonnés par la réponse des actrices à son désir ? Il ne s'agit pas que de genre, ici, mais d'une réflexion plus globale sur la création cinématographique, de la revendiquer comme une oeuvre collective et non individuelle.

Cruelle ironie : le jury d'Alejandro Gonzalez Inarritu a répondu à sa manière en donnant le prix du scénario à la seule Céline Sciamma, prix doublement absurde. Déjà car il va à l'encontre du discours du film, comme nous l'avons précédemment souligné, mais aussi car il récompense ce qui nous semble être son point faible, tant l'évolution de la relation entre les personnages est prévisible, ce qui rend la longue exposition d'autant plus inutile. C'est plus la mise en scène que l'on admire ici, la manière dont les regards et les sourires se superposent aux dialogues, parfois pour les contredire, comment Céline Sciamma et sa directrice de la photographie Claire Mathon jouent avec l'imagerie du cinéma romantique tout en y apportant de la modernité - magnifique scène de la balade nocturne rythmée par un choeur féminin (ou plutôt coeur féminin). C'est d'autant plus remarquable que le genre du film en costume parait suranné aujourd'hui, comme lessivé par des années de (télé)films académiques avec feu de cheminée et partie de cartes.

4/6


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MessagePosté: 19 Sep 2019, 09:32 
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Karloff a écrit:
un avortement (sublime scène qui revendique le droit des femmes même les domestiques à disposer de leur corps)

:?:


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MessagePosté: 19 Sep 2019, 09:49 
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Antichrist
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Inscription: 04 Juil 2005, 21:36
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bmntmp a écrit:
Karloff a écrit:
un avortement (sublime scène qui revendique le droit des femmes même les domestiques à disposer de leur corps)

:?:


oui, c'est mal formulé.


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MessagePosté: 19 Sep 2019, 15:50 
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Robot in Disguise
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Inscription: 13 Juil 2005, 09:00
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J'aime l'esthétique à la fois épurée et vivante du film. Ses cadres fixes, simples, et en même temps ses paysages, son (tout petit) jeu sur les éléments. C'est vraiment clair, en terme de sens comme en terme d'image. Dès les deux premières scènes, superbes, le film est .

Ce qui n'aurait pu être qu'un film d'amour lesbien en costumes de la fin des années 90 trouve une valeur ajoutée dans l'absence presque totale d'hommes (à l'époque, il y aurait eu genre Alan Rickman qui traîne dans le coin pour mettre la pression) et des petits détails revendicatifs comme les poils sous les aisselles ou autre. A cela s'ajoute évidemment le jeu sur le regard: regard de Merlant sur Haenel, d'Haenel à Merlant, et surtout bien sûr de Sciamma sur Haenel, mais bon c'est presque tellement présent que ça en devient un peu programmatique.

J'ai apprécié pas mal de plans bien composés, des mouvements élégants (comme ce plan de profil génial où les mouvements de Merlant révèlent ou pas Haenel en mode jumpscare derrière), de rupture surprenantes ou au contraire évocatrices. Toutefois, le film a parfois un côté un peu "sec", retenu, français, à l'image de son jeu (car tu comprends, c'est un film d'époque donc on doit tout retenir, tout comprimer. A ce titre, la scène de jeu de cartes est une vraie respiration.). Merlant reste quand même vraiment bien, avec son visage qui oscille entre "Bon OK, je daigne rester dans ce plan" et "Je me liquéfie d'émotion".
J'aurais préféré que le dernier plan (en mode BIRTH...) soit sur elle.

_________________
Liam Engle: réalisateur et scénariste
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MessagePosté: 19 Sep 2019, 21:16 
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Antichrist
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Inscription: 04 Juil 2005, 21:36
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Bien vu, Birth. Tout le monde parle de cette fin, alors que cela trouve pas si réussi.


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MessagePosté: 25 Sep 2019, 08:00 
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Inscription: 14 Oct 2007, 11:11
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Pour moi ce film c'est la découverte de Merlant que je ne connaissais pas du tout. Le film tourne autour du portrait d'une femme et pourtant chaque fois qu'on la quittait j'avais qu'une hâte c'était qu'on revienne sur le visage de la peintre. En effet tout le film se joue sur l'échange de regard entre les deux protagonistes (rompu dans ce dernier plan en effet qui détruit une fois pour toute la relation des deux femmes), c'est peut-être trop insistant mais ça m'a beaucoup touché.

Pour être honnête le côté féministe ne m'a même pas traversé l'esprit tant j'étais concentré sur ce duel, trouvant même le troisième personnage parasitant au fur et à mesure qu'elle prenne de la place avec sa grossesse, même si elle permet une belle scène au coin du feu. Cela dit le film est assez épuré et j'ai trouvé ça appréciable qu'il soit aussi concentré en terme d'espace (globalement il y'en a deux: la maison et la plage) et de personnages. J'adore les films très resserrés comme ça, qui cherchent l'intime, à la Rohmer.

Sinon Karloff, je pinaille et ça ne change pas le propos mais là dessus:

Citation:
on ne filme pas un monde sans homme (le premier arrive à 5 minutes de la fin)


Dès le premier plan on voit des hommes sur le radeau, que Merlant quitte après quelques minutes. Quel est le lien que tu fais avec Hitchcock sinon ?


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MessagePosté: 25 Oct 2019, 00:04 
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Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
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Sciamma a sans doute présente à l'esprit La Leçon de Piano de Jane Campion (qui nous avait valu la meilleure scène du Christophe Honoré de l'an passé) voir certains Akerman (la Prisonnière).
Malheureusement, j'ai beaucoup 000ppensé au trio über-opopomaxien et pata-durassien du Doutage des Inconnus dont ce film semble la version redux de luxe, voire à Pardaillac pour les anachronismes en bois (raie de côté d'Haenel en plein 18ème siècle, la langue française hyper-contemporaine que l'on s'efforce de vieillir par une diction évoquant autant la DRH en train d'annoncer un licenciement collectif que la méthode Victor d'apprentissage des langues étrangères, la maison sur la plage toujours propre avec une seule domestique, qqui finit par prendre un côté catalogue La Roche-Bobois) voire à leur version de la Clinique de la Forêt Noire ( la peintre qui doit se faire expliquer trois fois que la sœur s'est suicidée malgré de lourdes allusions, ses dialogues avec Valeria Golino très Qu'ai-je donc fait donc ?).
En un sens c'est involontairement très drôle. Haenel souvent très intéressante est ici très apprêtée. L'actrice qui joue la peintre est bonne, mais elle aussi bridée par les situations très stéréotypées et prévisibles.
Je l'ai vu à La Haye dans la seule salle d'art et d'essai de la ville, moderne et complètement museifiée (le genre de musée où la collection est elle-même devenue l'annexe du restaurant chic), devant un public subjugué. Apparemment il s'agit d'une sorte de chaîne genre Starbuck culturel semi-public, car on trouve le même bâtiment avec la même programmation un peu plus loin dans la très belle mais très bourgeoise Delft. Le cinéma ne va pas bien.
Non mais putain c'est vraiment et cruellement cela :
https://youtu.be/dW-MnaT2hK8

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
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Jean-Paul Sartre


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MessagePosté: 25 Oct 2019, 06:57 
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Mickey Willis a écrit:
Quel est le lien que tu fais avec Hitchcock sinon ?


On peut vaguement penser à Rebecca pour la domestique voire à Notorious pour la mère, même si la situation est inversée (elle ne doit pas tomber amoureuse, passer pour une espionne et utiliser le désir d'un tiers comme masque et prétexte, là où il est le sens dissimulé chez Hitchcock)

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MessagePosté: 30 Oct 2019, 16:45 
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tape dans ses mains sur La Compagnie créole
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Profondément séduit par ce nouveau Sciamma, à mes yeux son plus beau/grand film.
Esthétiquement c’est une splendeur, la mise en scène est très travaillée, inventive mais toujours sensée, pleine de grâce sans non plus être show-off.. La quasi-absence de musique renforce en intensité les rares moments musicaux (la scène de l’affiche et la toute fin). Le scénario est exemplaire lui aussi. Savamment dosé, le film arrive à conjuguer pur mélo et vrai discours social (sans que celui-ci ne gâche la fête). Et j’ai rarement vu un « slowburner » aussi gratifiant. C’est « lent » et « retenu » mais la montée en puissance est ininterrompue et le tout explose dans ce dernier quart d’heure d’émotion pure (putain les sanglots). Les deux actrices principales sont formidables, Adèle Haenel n’a jamais été aussi sublime que dans ce film-ci.
Au-delà de ça, il s’agit aussi d’un magnifique film sur le regard, le regard dans l’Art, le regard en Amour, et tout le film est passionnant rien que de ce point de vue-là.

Que ce film n’ait pas marché plus que ça me fend le cœur. Le film est sans doute perçu comme trop froid et cérébral (ce qu’il est assurément) mais il reste très accessible, d’une beauté dingue, d’une grande richesse, avec un cœur incandescent...

Je n’ai pas vu plus beau cette année

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Ed Wood:"What do you know? Haven't you heard of suspension of disbelief?"


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MessagePosté: 04 Juin 2021, 20:58 
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Je l'ai enfin découvert hier soir, 15 ans après tout le monde, parce que le sujet et le décorum me rebutaient puissance 4000 donc j'y allais tel l'Antagoniste dans Tenet et j'ai été séduit dès les premiers plans par les choix de mise en scène de Sciamma, se focalisant sur le regard, de femmes qui plus est. Tout le film est contenu dans ces prémisses.

Depuis son tout premier film, la question du regard prédomine dans le cinéma de Sciamma et n'a jamais été autant au cœur du projet qu'ici où elle habite donc une mise en scène sublime et porteuse. C'est le regard d'une peintre sur son modèle, d'une femme libre sur une prisonnière des conventions et vice versa, le regard sur les femmes en général... Et donc tous ses plans, de dos, de biais, ses vues subjectives, jusqu'au dernier, qui dure, qui n'a même pas besoin d'un contre-champ tant son existence et sa durée parlent d'elle-même, unissent les deux femmes, celle qui regarde et celle qui est vue.

Après, je mentirais si je disais que je m'étais pas un peu ennuyé au milieu face à un récit somme toute cousu de fil blanc, à l'exception du très beau segment concernant la domestique, illustrant une sororité inattendue et réjouissante malgré la dureté de l'épisode vécu.

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MessagePosté: 28 Nov 2021, 01:28 
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Inscription: 16 Aoû 2012, 12:19
Messages: 1663
Pas grand chose à ajouter.
J'ai aussi beaucoup aimé le jeu sur les regards et points de vue, et la manière dont la mise en scène se teinte progressivement de fantastique. Le mystère entretenu au début sur la jeune fille (bien aidé par les compositions en Rückenfigur, qui à la fois empêche de voir le visage du sujet et sert de point d'entrer dans l'image) et le romantisme des apparitions prémonitoires à la fin sont très beaux.
D'ailleurs j'aurais presque aimé que le film aille plus franchement dans cette esthétique.


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