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MessagePosté: 10 Juil 2019, 18:16 
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Je ne vais rien spoiler à proprement parler mais je conseille à quiconque veut rester 100% vierge de ne pas lire ce texte où je vais décrire des séquences même si elles ne sont pas dans le dernier tiers du film.


"Nous sommes comme vous nous avez fait, nous avons été élevés par votre télévision. Nous avons grandi en regardant Police des plaines, Have Gun - Will Travel, Sur la piste du crime, Combat. Combat était ma série préférée." Ces propos sont ceux de Brenda McCann, une jeune membre de la Famille de Charles Manson, tenus dans un documentaire sorti en 1973 sur la secte en question. On aurait pu tout aussi bien les attribuer à Quentin Tarantino. La légende de l'ancien employé de vidéo club devenu auteur autodidacte est connue de tous et les cinéphiles français savent depuis Kill Bill et Boulevard de la mort que les cinémas américains projetant les films d'exploitation auxquels le cinéaste rendait hommage étaient surnommés "grindhouse" ("abattoir") mais Tarantino a également grandi avec la télévision. Son dernier opus se situe en 1969 et cette année-là, Tarantino fêtait ses six ans. À six ans, il n'allait pas encore dans les abattoirs. Ce n'est donc pas un hasard si les deux principaux protagonistes de Once Upon a Time...in Hollywood sont des vedettes du petit écran que l'une aimerait abandonner pour le grand. Aujourd'hui, Tarantino a 56 ans et signe le neuvième film d'une carrière qu'il dit vouloir arrêter à dix par peur du déclin. Deux âges qui informent Once Upon a Time...in Hollywood, le nourrissent pour l'un de sa béatitude et pour l'autre de ses angoisses. Après avoir revisité l'Histoire du cinéma puis l'Histoire elle-même, Tarantino s'attaque directement à des faits réels cette fois et à un moment dans le temps où l'Histoire et le Cinéma se sont croisés, signant une réminiscence dorée doublée d'un constat tant sur une époque passée que sur des problématiques actuelles pour mieux proposer une hypothétique réconciliation.

Dans un premier temps, Once Upon a Time...in Hollywood surprend par toutes les manières dont il ne ressemble pas à l'idée que l'on se fait d'un Tarantino. Immédiatement l'on remarque que le film ne s’appuiera pas sur les dialogues comme pouvaient le faire ses prédécesseurs. Au contraire, on n'avait jamais vu Tarantino aussi muet. Il faut voir cette séquence étendue, délibérément syncopée par les changements brutaux de musique, suivant Cliff Booth (Brad Pitt) au volant de sa voiture, rentrer longuement depuis les beaux quartiers où vivent Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) et Sharon Tate (Margot Robbie) jusque chez lui, dans une caravane garée quelque part derrière un drive-in que nous révèle un plan aérien tout droit sorti de...Il était une fois dans l'ouest. Le tout sans une réplique. Sans une voix off. Il y a bien un narrateur qui intervient par moments, notamment dans la dernière partie mais, à l'instar de certains échanges, il se fait didactique comme rarement Tarantino l'a été.

Pour la première fois, un Tarantino est meilleur quand il se tait. Quand il laisse les images parler...ou plutôt les souvenirs.

En interview, le cinéaste définit son film comme son "oeuvre de mémoire", la comparant au Roma d'Alfonso Cuarón, sorti l'an dernier. Par coïncidence, les deux auteurs ont signé chacun un film inspiré de leurs expériences enfantines mais là où celui de Cuarón se faisait quasi-autobiographique, malgré le déplacement du point de vue sur la domestique de sa famille, Tarantino ne pouvait évidemment pas opter pour un angle aussi subjectif. Toutefois, Once Upon a Time...in Hollywood n'en demeure pas moins une œuvre personnelle, peut-être même la plus intime de son auteur. Comme son collègue mexicain, Tarantino abandonne tout semblant d'intrigue dans le sens propre du terme et signe une chronique à la reconstitution encore plus fétichiste, jusque dans l'amour d'enseignes néons, notamment les devantures de cinéma, s'allumant une par une une fois la nuit tombée. Ce n'est évidemment pas la première fois que le metteur en scène éclate la narration et suit différentes trames destinées à se croiser mais le traitement se fait ici plus impressionniste que jamais, s'autorisant des digressions longuettes pour mieux rendre état du quotidien de ses personnages, notamment sur le segment central - le plus long - d'un récit couvrant trois journées seulement au rythme d'une balade pieds nus.

Trois journées, trois personnages et trois strates du Hollywood de 1969. D'un côté, il y a Rick Dalton, un acteur devenu célèbre pour un western télévisé mais dont le passage au cinéma ne se passe pas comme prévu et qui craint que son heure de gloire ne soit terminée. À ses côtés, son double, ou plus exactement sa doublure cascade, Cliff Booth, semble résigné depuis un moment à ne jamais sortir de l'ombre d'un homme dont il n'est même plus le partenaire mais davantage l'homme à tout faire. Et de l'autre côté, Sharon Tate est une jeune starlette au commencement de sa carrière et de sa vie. Tarantino a toujours aimé ses has been. Rick et Cliff ne dérogent pas à la règle. C'est cet amour que l'on retrouve dans les pattes d'oie de l'un et le corps couvert de cicatrices de l'autre sublimées par la photographie de Robert Richardson. Toutefois, son constat ambivalent n'est pas forcément tendre avec Rick, incapable de voir qu'il n'est pas si mal loti - littéralement, il est le voisin de Roman Polanski et Sharon Tate - et profondément résistant au changement. Il faut dire que Rick incarne la vieille garde, le vieil Hollywood.

Ce n'est pas un hasard si Tarantino en fait un héros de westerns, genre dominant qui va bientôt disparaître, du moins tel qu'on le connaît, au même titre que le type de héros et d'acteurs qui régnaient jusque là et vont se voir remplacés par les anti-héros des '70s incarné par des Dustin Hoffman et des Al Pacino au physique plus atypique. Il n'y a qu'à le voir hurler sur des hippies pour le comprendre : Rick fait figure de vieux con. Le cow-boy flippe parce que son statut qui est menacé. Plus âgé, plus sage, plus lower class, Cliff semble avoir fait sa paix avec ce changement des moeurs. Il suit une hippie, achète une cigarette trempé dans du LSD... Quant à Sharon, elle s'habille comme les hippies, danse avec Mama Cass, est mariée au réalisateur de Chinatown, vit dans les hautes sphères et joue dans ses premiers films. Elle est le changement. Rick aurait pu être Steve McQueen. Sharon fait la fête avec Steve McQueen.

Et Tarantino la filme comme un ange.

Lors d'une de ces digressions susmentionnées, on suit Sharon Tate qui va au cinéma. Envoyant chier, à raison, tous ceux qui y voient un interdit absolu en matière de cinéma ("un film qui parle de cinéma? trop segmentant! un personnage qui va au cinéma!? mais ça rappelle au spectateur qu'il est devant un film!"), Tarantino pousse le vice en filmant Margot Robbie jouant Sharon Tate qui regarde la vraie Sharon Tate jouer un autre personnage (dans Matt Helm règle son comte) et...c'est un enchantement. Cachée derrière ses grosses lunettes improbables, Sharon se regarde jouer et découvre l'appréciation du public, riant devant ses frasques à l'écran, ce qui lui donne le plus grand et le plus beau des sourires. À cet instant-là, elle est le rêve, l'innocence même. Là où Rick prend ce qu'il a pour acquis et Cliff a accepté son sort, Tate débute. C'est un bébé, c'est comme si c'était la première fois qu'elle se voyait à l'écran. Regarder Sharon Tate se regarder, c'est comme voir Bambi apprendre à marcher.

Le cinéma, le lieu, devient le théâtre de sa métamorphose, permise par le cinéma, l'art. Et Tarantino va pousser ce propos et cette démonstration méta pour ses deux autres protagonistes.

Alors que Rick voit son dernier contrat TV comme quelque chose d'inférieur à ce qu'il est, il va trouver l'inspiration de se dépasser en tant que comédien et Tarantino sublime l'instant par la mise en scène. Rick tourne une scène pour le pilote de la série Lancer et Tarantino ne filme pas son tournage, parce qu'on n'est pas sur un plateau comme le montre l'absence d'un "quatrième mur" invisible, ni la séquence telle qu'elle sera vue par le futur téléspectateur, parce que les mouvements de caméra et l'éclairage sont ceux d'un film de cinéma et non d'une série télé de 1969. Quand Rick oublie une réplique et qu'on lui souffle, la voix, avec un effet de résonance "divine", vient d'un hors champ qui n'existe pas. L'espace d'une séquence, Tarantino suspend la réalité. L'espace d'un instant, Rick devient un vrai personnage de western.

Au même moment, Cliff ramène une jeune hippie chez elle et se retrouve au ranch Spahn, jadis un décor utilisé pour le tournage de westerns, dont la série de Rick et Cliff, et endosse alors littéralement le rôle de l'étranger arrivant dans une ville du Far West pour enquêter sur quelque chose de louche, dévisagé par les locaux suspicieux. Renouant ici avec son goût pour la tension, Tarantino signe une longue séquence prolongée tout en suspense qui, comme pour Rick, transforme l'acteur en personnage. Ce n'est qu'en vivant une scène de western bien réelle que Cliff retrouve de sa superbe. Le faux devient réel, la doublure prend le premier rôle et devient un véritable archétype du genre mais dans la réalité.

Jadis, les héros du monde réel de Tarantino se prenaient pour des icônes de cinéma et se voyaient remettre à leur place par l'incursion du réel, aujourd'hui le cinéma leur permet de devenir ces icônes. D'ailleurs, ce sont régulièrement des professionnels du cinéma qui y parviennent. Dans Pulp Fiction, Mia Wallace était une actrice ratée qui se rêvait Louise Brooks dans un décor des '50s avant de manquer de mourir d'une overdose et les protagonistes du segment "The Man from Hollywood" de Four Rooms cherchaient à remaker un épisode d'Alfred Hitchcock présente, ce qui coûtait son auriculaire à l'un d'eux. Mais depuis Boulevard de la mort, qui montre littéralement le basculement, entre sa première partie où les jeunes femmes qui n'ont pas la référence (Point Limite Zéro notamment) meurent là où celles de la deuxième partie, qui ont la référence et qui se trouvent être deux cascadeuses et une maquilleuse, survivent et battent le méchant cascadeur et sa voiture customisée pour les tournages (symbolisant donc le cinéma).

Ce mouvement construit sur toute la filmographie de Tarantino trouvait son point d'orgue dans Inglourious Basterds où une actrice, un critique et une projectionniste parvenaient à changer l'Histoire par la force du cinéma, l'art, le lieu et la bobine elle-même. Dans Once Upon a Time...in Hollywood, les personnages sont une fois de plus un acteur, sa doublure cascades et une actrice, la dernière ayant réellement existé. Et si l'on se doute que les intrigues et les personnages vont se croiser, cette garantie prend ici la forme d'une épée de Damoclès dont on sait qu'elle doit tomber : le meurtre de Sharon Tate par la Famille Manson qui mit fin aux '60s, au mouvement hippie et changea le paysage socio-culturel américain.

Tarantino fait reprendre à l'une des suiveuses de Manson la déclaration "Nous sommes comme vous nous avez fait, nous avons été élevés par votre télévision." comme elle trouve une excuse à leur recours à la violence. La fin du film est une réponse. Une réponse du cinéma à ceux et celles qui voudraient accuser le cinéma. Non, dit Tarantino, le cinéma n'engendre pas des tueurs, le cinéma engendre des icônes, le cinéma est magique, le cinéma change l'Histoire. Alors que leurs carrières, leurs statuts, leur amitié et leur virilité sont menacés, Tarantino offre une dernière saillie à ses héros vieillissants en réconciliant réalité et fiction et par là même il réconcilie la télévision et le cinéma, il réconcilie la vieille garde et la nouvelle génération, le vieil et le Nouvel Hollywood. Rendue indélébile par la caméra de Tarantino, l'innocence incarnée par Tate perdure et les has been continuent d'être. Parce que, comme son titre l'indique, Once Upon a Time...in Hollywood est à la fois un western...et un conte de fées dont la nature de fantasme se fait alors des plus tristes.

Tout ça par la force du septième art.

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MessagePosté: 10 Juil 2019, 19:03 
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Merci Gourou


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MessagePosté: 10 Juil 2019, 22:11 
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Les modifs post-Cannes:
Le principal changement concerne la backstory de Rick Dalton (le personnage d’acteur has-been incarné par Leonardo DiCaprio). Alors qu’il tourne un épisode de la série télé Lancer, Dalton discute entre deux prises avec la star du show, James Stacy (Timothy Olyphant), qui l’interroge sur la rumeur disant qu’il a failli jouer dans La Grande Evasion à la place de Steve McQueen : Dalton réfléchit alors à sa place sur l’échiquier hollywoodien (en gros : il est l’un des gars à qui on fait appel quand Steve McQueen n’est pas disponible, les autres étant les "trois George" : Peppard, Maharis et Chakiris). En parallèle, on voit des extraits de La Grande Evasion avec Dalton/DiCaprio incrusté dans le film à la place de Steve McQueen ! A Cannes, Tarantino disait que la scène était tellement bien qu’il avait peur que "quelqu’un refasse Casablanca en incrustant George Clooney dedans". A l’arrivée, c’est un moment de vertige méta un peu fou, d’autant plus que la scène est mise en parallèle avec les séquences où Sharon Tate (Margot Robbie) regarde sa propre performance dans le film Matt Helm règle son comte. Et où l’on constate que Margot Robbie ne ressemble pas tout à fait à la "vraie" Sharon Tate. Tout comme Rick Dalton ne ressemble pas tout à fait à Steve McQueen…
Les autres ajouts sont plus mineurs : on voit brièvement Sharon Tate échanger quelques mots avec une jeune femme qu’elle a prise en stop (prendre des auto-stoppeurs était à la mode dans la Californie hippie d’avant la paranoïa suscitée par les meurtres de la Manson Family). Et Tarantino a également augmenté le film d’une séquence-gag pendant le générique de fin – du pur fan service. Le résultat est à voir en salles le 14 août – en attendant une version extra-longue découpée en épisodes sur Netflix, comme QT l’a fait pour Les Huit Salopards ?

Du coup c’est quoi la scène du générique ?

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MessagePosté: 11 Juil 2019, 07:09 
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Joli texte plein d'amour.

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Netflix les gars, Netflix.


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MessagePosté: 14 Juil 2019, 13:51 
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Bon alors c'est quoi l’œuf de Pâques ?

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MessagePosté: 14 Juil 2019, 17:26 
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Je te dirai pas.

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MessagePosté: 14 Juil 2019, 17:54 
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Merci.


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MessagePosté: 18 Juil 2019, 17:41 
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La scène du générique:
C'est une fausse pub en noir et blanc avec le personnage de DiCaprio qui fait la promotion de cigarettes et t'explique que cette marque-là est très bonne pour la santé, etc.
Jeu sur l'époque, connivence, humour, fan service, tout ça... C’est un peu lourd.

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MessagePosté: 18 Juil 2019, 20:18 
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Ok j’ai lu. Au pire ça me gâchera peut-être moins la fin.


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MessagePosté: 15 Aoû 2019, 07:46 
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Je suis avec QGJ et FF, j'ai vraiment adoré.

En fait je ne m'attendais pas à cette déclaration d'amour pour le personnage de Sharon Tate. La scène centrale dans le cinéma que décrit Film Freak est pour moi LA scène qui fait que le film se démarque de Inglorious Basterds et ses autres revenge movies.
La nostalgie et effectivement le conte de fée que le personnage rayonnant de Tate représente
(Sa fierté super communicative quand les autres spectatrices applaudissent sa scène de combat !)
et le twist "what if?" avec un cœur gros comme ça rendent le film beaucoup plus touchant.
Once upon a Time est moins un tour de force comme Django pouvait l'être par exemple.

Ensuite il y a vraiment un truc dans la réalisation sur le 'réalisme' temporel qui fait vraiment exister les personnages.
On a jamais l'impression d'aller d'un dialogue sur-écris à un autre ou d'être coincé dans un montage concept à la Death Proof / Pulp Fiction.
L'ensemble respire et prends son temps sans qu'on se fasse chier. La comparaison avec Roma est très juste sur ce point.

Mais du coup je ne sais pas quoi penser de
l'explosion de violence. Je comprends l'importance narrative de la scène mais le ton cartoonesque me sort un peu du film et de la nostalgie.
Même si j'aime la variation proposée par rapport à la scène équivalente dans le cinéma dans Inglorious Basterds.


Bon je le préfaire dix fois plus à l'ampoulé Thé Hateful Eight.


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MessagePosté: 15 Aoû 2019, 09:10 
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La violence finale n'est elle pas une catharsis de Tarantino envers ces meurtres d'une bêtise absolue? Ces jeunes en révolte s'en prennent à des icônes culturelles qui ne sont pour rien dans la machine industrielle qu'est Hollywood. J'ai eu un gros moment d'émotion finale dans ce "what if" car je connais l'histoire de Charles Manson/Sharon Tate, pour le spectateur qui ne connaît pas celle-ci, c'est juste une scène ultra violente mais très drôle.

Je suis même étonné que cette scène finale n'ait pas déchaînée les passions twitteresque en arguant que Tarantino y fait une apologie de la peine de mort.

Sion, le film est long, mais pas une seule minute je n'ai pensé à regarder ma montre. Di Caprio est énorme dans ce rôle d'acteur censé être raté, il démontre avec la scène du kidnapping qu'il sait jouer l'acteur raté et d'un coup changer de registre pour montrer une vraie performance. Jusqu'au tournage de la série, je trouvais son personnage fade par rapport à celui de Brad Pitt et la réalisation les met au même niveau.
Le fait d'avoir l'histoire d'amitié sans heurts est aussi rafraîchissante, pas d'histoires de femme ou de trahison de boulot. Ce sont deux potes qui traversent des épreuves et sont là l'un pour l'autre sans mièvreries.

Et Al Pacino défonce tout dans ses trois apparitions. Ma première impression à la sortie du film est que le réalisateur a pris un énorme plaisir à tourner son film et que les acteurs ont pris du plaisir à jouer dedans, une impression de véritable oeuvre commune qui est une ode au cinéma.


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MessagePosté: 15 Aoû 2019, 11:34 
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Tarantino n'est d'habitude pas trop ma came, mais j'ai, pour le coup, bien aimé le film.
J'ai regretté que certaines situations ne soient pas plus développées, comme le passage en Italie, et surtout l'arc narratif avec le personnage-pivot de Pussycat ; qui est finalement le personnage féminin principal (l'actrice pas très connue, Margaret Qualley, est bien), abandonnée dès que l'ambiguïté de la Family est mise à jour. Mais cet abandon permet une très bonne idée : Charles Mason n'apparaît qu'une seule fois, dans une scène qui pourrait figurer comme une clé dans Zodiac de Fincher.

L'autre interprétation de cet abandon c'est qu'il n'y a (dans ce film en tout cas) pour les personnages de Tarantino pas d'autre destin possible que celui qui court entre l'apparence d'une part et le motif psychologique réel de l'autre, qui est une nature derrière laquelle il n'y a rien . Pour cela ce destin engage la société plutôt que des individus (et dans ce film le réel et le social sont complètement identifiés). Tarantino butte toujours sur l'idéologie post-moderne, qu'il esquive, mais à laquelle il croit : il faut choisir entre la mise en scène d'un récit OU celle du réel. Ici le film est réaliste (de manière inédite pour du Tarantino) , mais du coup aussi plus composite et disjoint.

Or la violence est pour Tarantino entièrement du côté du récit, et opposée au réel : elle neutralise ce qui , dans la situation historique (et même dans la nature), est idéologique et irreprésentable, pour rendre le réel au contraire représentable.

La violence est chez Tarantino un principe de compensation, qui prolonge le dialogue, qui assure que tout trouve une réponse, tout est vu, qu'il n'y a pas de perte et d'épuisement du monde nu. Elle permet d'oublier que le monde physique s'épuise lui-même . C'est exactement le contraire de la "phénoménologie" : une position de croyance intégrale envers le social et du scepticisme radical face à la nature.
Cela transparaît bizarrement dans la scène au ranch de Spahn, où les personnages meurtriers dont Tex, ridiculement empotés dans la fin, sont à ce moment, bons cavaliers et ont dans le paysage montagneux et désertique, une aisance et un naturel que n'a pas Brad Pit : ils appartiennent au paysage, mais cette appartenance compense une absence d'histoire, qui les dévalorise aux yeux de Tarantino.
Brad Pitt le dit lui-même à la fin, en ne retrouvant pas ce qu'a dit Tex: la nature est plus conne que le diable, elle est même en deça du souvenir et de la mémoire . Tarantino, cinéaste ontologiquement cartésien. Pour cela il y a une société (fondée sur une communauté d'imaginaire et de souvenirs), mais pas de contrat. La violence n'a pas a être abdiquée, elle renverse le rapport historique du naturel et de l'artifice : elle est sans origine une fois que la société est achevée. Elle est la nature qui est devenue de l'artifice aux yeux de ce qui est lui-même issu de l'artifice.

Bon,

A vrai dire, cet aspect patchwork, maladroit, confère au film du charme. Je l'ai ainsi préféré à Inherent Vice; thématiquement assez proche, mais plus poseur et maniériste. Il y a par exemple également chez Tarantino une citation du Long Goodbye , mais dans le gag du côté scatologique de la patée pour chien (transposant ce qui est présent mais caché chez Altman) plutôt que dans le démarquage complet de l'intrigue ettectué par P.T. Anderson.

Le film dans le film, le westen à la Dmytryk, est aussi très bon. Il m'a semblé aussi que le film était intéressant car travaillé par le positionnement et la mauvaise conscience de Tarantino face au mouvement #MeToo; entre critique et empathie, mais de manière intéressante, par l'humour et en même temps une mélancolie poignante. Cela transparaît dans le personnage de l'enfant-actrice ("acteur"), qui rappelle obliquement et à plusieurs niveaux Uma Thurman. Il y a (là-aussi) un regret et la volonté de réecrire la fin de l'histoire (elle lui pardonne sa violence, car le jeu auquel elle a assisté était maîtrisé, et en me temps, ouvert sur une vérité qui n'est pas intentionnelle).

Il est vrai que les personnages masculins du film se relayent et complètent (c'est programmatique dans l'idée de doublure) individuellement, tandis que les personnages féminins forment plutôt une forme de faisceau, pris dans une même situation (dont l'identité est politique et extérieure pour Tarantino), solidaires (d'où l'idée que Sharon Tate n'a pas pû être tuée par d'autres femmes). Cette unicité provient peut-être du fait qu'elles sont prises dans une alternative que ne vivent pas les personnages masculins : vivre sa situation (Tate qui se regarde jouer) OU l'expliquer (l'enfant-actrice). Elles sont le réel qui délimite la fiction de l'intérieur.

Sinon, par le couple masculin (comme véhicule vers un passé à la fois investi par la mélancolie, et reproduit de façon distante) et l'époque, le film m'a beaucoup rappelé les récents Green Book mais surtout Blackkklansman de Spike Lee. L'esthétique et la structure des films de Spike Lee et Tarantino sont très proches.
Ils reposent tous deux sur une structure en deux parties, et un climax volontairement "révisionniste" là où les prémisses de la violence restent historiques et proches du document. C'est un procédé par lequel leurs films se mettent volontairement en retrait du politique (les personnages n'ont pas agi réellement comme cela : la politique est le lieu où l'histoire et l'imaginaire s'opposent) tout en conservant la prétention d'être socialement justes (les raisons morales des personnages sont réelles. Cette dimension morale est à la fois le réel et le sujet de la fiction, repris dans un destin imaginaire, et opposée au politique).

Bien aimé la balade en Volkswagen Karmann (la voiture de son beau-père précise-t-il en interview) et le plan nocturne à la grue sur le drive-in (il me semble qu'il y en avait un similaire dans Jackie Brown). Bizarrement ce passage évoque Coup de Coeur de Coppola plutôt que les années 60....


4.5/6

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MessagePosté: 19 Aoû 2019, 20:07 
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Xavierovitch a écrit:
La violence finale n'est elle pas une catharsis de Tarantino envers ces meurtres d'une bêtise absolue? Ces jeunes en révolte s'en prennent à des icônes culturelles qui ne sont pour rien dans la machine industrielle qu'est Hollywood. J'ai eu un gros moment d'émotion finale dans ce "what if" car je connais l'histoire de Charles Manson/Sharon Tate, pour le spectateur qui ne connaît pas celle-ci, c'est juste une scène ultra violente mais très drôle.

Je suis même étonné que cette scène finale n'ait pas déchaînée les passions twitteresque en arguant que Tarantino y fait une apologie de la peine de mort.

Vieux-Gontrand a écrit:
Or la violence est pour Tarantino entièrement du côté du récit, et opposée au réel : elle neutralise ce qui , dans la situation historique (et même dans la nature), est idéologique et irreprésentable, pour rendre le réel au contraire représentable.

La violence est chez Tarantino un principe de compensation, qui prolonge le dialogue, qui assure que tout trouve une réponse,


J'ai bien compris, mais en fait je trouve ça moins nécessaire que dans ses précédents films (finalement presque une extension de la scène finale de Death Proof.). Le révisionnisme du twist tiens le même propos mais avec plus de douceur et de nostalgie.
Tarantino tiens sa revanche en ne les laissant pas 'gagner'!
Même si ça reste une scène très drôle évidemment.

Vieux-Gontrand a écrit:
Le film dans le film, le westen à la Dmytryk, est aussi très bon. Il m'a semblé aussi que le film était intéressant car travaillé par le positionnement et la mauvaise conscience de Tarantino face au mouvement #MeToo; entre critique et empathie, mais de manière intéressante, par l'humour et en même temps une mélancolie poignante. Cela transparaît dans le personnage de l'enfant-actrice ("acteur"), qui rappelle obliquement et à plusieurs niveaux Uma Thurman. Il y a (là-aussi) un regret et la volonté de réecrire la fin de l'histoire (elle lui pardonne sa violence, car le jeu auquel elle a assisté était maîtrisé, et en me temps, ouvert sur une vérité qui n'est pas intentionnelle).


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MessagePosté: 19 Aoû 2019, 21:12 
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Le film reste quand-même travaillé par une mauvaise conscience un peu poisseuse vis-à-vis des violences faites aux femmes. Le flash-back sur la femme de Brad Pitt (situation à la Althusser, on ne peux plus parler de lui qu'à travers son acquittement) fonctionne comme la scène de Jackie Brown où De Niro tuait Bridget Fonda, sauf que le crime est ici hors-champ, il est même remplacé par le jugement , ce qui rend la scène d'ailleurs comique. La scène avec l'enfant est aussi un rappel de Bridget Fonda.
Ce n'est pas super convaincant de la part de Tarantino mais on échappe à une forme de récupération tout en mettant cela au centre du film. Cela rejoint en partie la vision freudienne qui donne la même valeur à la mauvaise conscience et à l'acte lui-même ( et qu'on passe de la morale à la politique, mais à une idée du politique malade d'être un discours débordant solitairement tous les autres, lorsqu'ils sont complètement identifiés, c'est à dire que la jouissance est devenue une chose passée).

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MessagePosté: 21 Aoû 2019, 12:11 
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flatclem a écrit:
Vieux-Gontrand a écrit:
Le film dans le film, le westen à la Dmytryk, est aussi très bon. Il m'a semblé aussi que le film était intéressant car travaillé par le positionnement et la mauvaise conscience de Tarantino face au mouvement #MeToo; entre critique et empathie, mais de manière intéressante, par l'humour et en même temps une mélancolie poignante. Cela transparaît dans le personnage de l'enfant-actrice ("acteur"), qui rappelle obliquement et à plusieurs niveaux Uma Thurman. Il y a (là-aussi) un regret et la volonté de réecrire la fin de l'histoire (elle lui pardonne sa violence, car le jeu auquel elle a assisté était maîtrisé, et en me temps, ouvert sur une vérité qui n'est pas intentionnelle).


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L'enfant-actrice intello, j'y ai immédiatement vu Jodie Foster personnellement.


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