La petite ville de Revin, dans les Ardennes, se prépare à élire son maire quand un individu inconnu de tous se porte candidat. Cet intrus n’est autre qu’un comédien, qui va entraîner toute la ville dans une fiction politique.Je m'attendais à un film qui jouerait de la porosité entre réalité et fiction et s'il y a bien un peu de cela (au travers de la trajectoire et de l'implication du candidat/comédien au fil de la campagne), l'intérêt principal que j'y ai trouvé est finalement tout autre, un questionnement sur ce qu'est l'engagement et la responsabilité en politique, un détricotage des systèmes partisans pour tenter de revenir à la source de ce qu'est (ou devrait être) une démocratie.
Retour au pitch de départ. La production a engagé un acteur (Laurent Papot, le gendarme d'
Un monde sans femmes) pour se présenter à l'élection municipale de 2020 à Revin, commune sinistrée des Ardennes, dont la population a été divisée par deux ces dernières décennie après la fermeture des usines Arthur Martin. J'avoue qu'une fois le film terminé je n'ai toujours pas saisi quel était le but initial de Thomas Paulot, est-ce celui qu'il a finalement accompli (j'y reviendrai), ou est-ce qu'il y avait une envie de satire plus prononcée (renforcer l'impression de bouffonnerie des élections en demandant à un acteur d'endosser le vrai/faux rôle de candidat), je suis dans l'impossibilité de juger (et je n'ai pas réussi à trancher dans ce que j'ai lu au sujet du film), mais au final peu importe. Donc oui il y a bien tout un flanc du film qui est sur la corde raide entre fiction et réalité, mais qui se circonscrit à Laurent Papot lui-même, dont on sent qu'il s’investit de plus en plus dans cette campagne, qu'il débute timidement en se demandant comment il va établir un programme, trouver ses colistiers, et qu'il termine en ayant noué des liens forts avec certains habitants, voir qui s'est sincèrement attaché à la ville de Revin... au final le but de Paulot était peut-être l'inverse de ce à quoi je m'attendais initialement, comment le réel vient infuser et enrichir la fiction, ça fait un peu théorique mais dans les faits ça serait plutôt réussit.
Mais le film est loin de ne se circonscrire qu'à cela, puisqu'au delà de la figure du candidat/comédien la dimension fictionnelle est très rapidement désamorcée : dès ses premières rencontres avec les habitants, les premiers mots de Papot sont toujours de se présenter comme un comédien payé pour être en campagne électorale, et que quelque soit l'issue du scrutin il rentrera à Paris. Étonnement cette candidature est prise suffisamment au sérieux par un certain nombre de personnes, et commence à fuser des questions qui prennent Papot au dépourvu : et si jamais vous remportez l'élection, qu'adviendra-t-il ? Pas sûr qu'il ait véritablement anticipé cette éventualité, ce qui fait que l'on assiste à la construction d'une réflexion politique en direct, et partant pour ainsi dire de zéro. Il serait vraiment intéressant d'avoir les mots de l'acteur (plus que ceux du réalisateur pour le coup) sur la part d'improvisation à l’œuvre, est-ce que les idées qui ont germé avaient pour unique but d'assurer une cohérence au personnage ou si c'est l'homme qui, face à ses responsabilités, a essayé de trouver une issue qui soit à la hauteur de son engagement, j'ai envie de croire (© Liam Engle) que ce serait plutôt la seconde option... dans tous les cas lui vient assez rapidement l'idée d'une mairie en auto-gestion : si je gagne je pars, ce sera donc vous mes colistiers qui devraient assurer l'intendance, une mairie sans tête. Je vous passe les détails (ou plutôt, aller voir le film), mais cette option suscite de nombreuses (et riches) discussions, tout comme la recherche des colistiers l'est, Papot, vierge de toutes idées préconçues allant frapper à la porte d'abstentionnistes convaincus qui vont progressivement se laisser convaincre de re-participer activement au jeu démocratique depuis longtemps délaissé. Il y a évidemment une dimension profondément utopique dans la politique telle qu'elle nous est montrée ici (de l'auto-gestion à la remobilisation des plus fervents déçus du système jusqu'au dépassement des partis), Paulot en a parfaitement conscience (lorsqu'il filme en particulier cette femme, longtemps syndicaliste, qui ne peut accepter de s'inscrire sur sa liste car cela signerait le renoncement de ses idéaux passés en s'opposant à l'officielle candidature de gauche), mais c'est malgré tout une matière de riches réflexions, qui va bien au-delà du film de petit malin que le pitch pourrait laisser croire.
4.5/6