Le sujet ne me motivait pas du tout à la base, et tu as réussi à m’y intéresser et à aller jusqu’au bout du court, c’est déjà un signe de qualité
Ce n’est d’ailleurs pas un film comique, c’est plutôt un film à « issues », où l’on sent qu’il y a des questionnements profonds qui sont la source du comique, et que le rire ne va pas sans une dépréciation/un décalage/une déflation systématique. C’est la richesse et la limite du projet, parce que le film me semble trop « tien ». Je ne veux pas dire par là qu’on sent le réalisateur fier de son projet wave-style (c’est plutôt l’inverse) mais qu’il y a un tel engagement dans ces questions que le regard glisse, est focalisé sur toi. (à l’image de la dédicace initiale)
A ce titre, l’alchimie qui devrait coexister entre les deux personnages est très limitée : on n’a pas l’impression de voir des amis ici, mais plutôt deux mecs que seule la perspective de chopper la nana à deux réunit. Le projet du film, montrer une diffusion progressive de l’angoisse viscérale qui saisit bob ne me semble pas réussir, je ne vois pas de gradation, de porosité par laquelle la nervosité est mue d’un personnage à l’autre : il y a un blocage plus qu’une communication. Le travelling initial, qui centre le regard sur ton perso, Film, est un peu emblématique de cela : C’est de lui dont on parle. Le résultat aurait été différent si ce travelling avait montré Jo dans un premier temps, souriant, indiquant limite par sa gestuelle que la nana va passer un bon moment (pour jouer dans l’euphémisme), puis toi ensuite (en jouant éventuellement sur une échelle de plans pour souligner la dilatation de la situation)
Car on débarque in media res, certes, mais les deux personnages reprécisent la situation, par la déclamation, annihilant d’une certaine façon l’emportement qui pourrait avoir lieu. Au lieu d’avoir un dialogue entre l’écrit et la situation, il y a souvent une espèce de mécanique, une progression heurtée de l’action, alors que le comique est extrêmement tributaire du rythme. Là, on voit clairement les articulations, la succession des build-ups, l’acmé, jusqu’au moment où ton court surprend (la fameuse scène champêtre). Ça ne retire rien à la qualité de l’écriture, mais ça diminue la puissance (voire même l’éventualité) du rire et c’est problématique.Quant Joffrey balance le mot « épopée burlesque » qui devrait être une vanne, on ne rit pas autant qu’on le devrait. On (enfin, je) entend juste le mot, l’intention du bon mot, sans que forcément le rire ne vienne. Ça se répète malheureusement à plusieurs reprises.
La résolution (le moment pétanque) est le meilleur moment : il y a une idée forte, incarnée à l’écran par un choix de mise en scène assez radical (on quitte l’appart, on est en extérieur etc…) qui fait mouche, et qui est pour le coup vraiment drôle, mais qui perd de sa force vu qu’elle n’est pas suivie, qu’elle n’a pas d’écho dans le dernier plan. Comme le dit Tom, cela réduit le court à cette chute sans qu’il y n’y ait résolution des enjeux ou envol vers quelque chose de différent.
Il y aurait pu (dû) y avoir un geste entre les deux dudes, que ce soit un regard, une tape sur l’épaule (qui fait sursauter ou pas), un dialogue succinct, quelque chose qui digresse de cette idée de contact qui a tout fait foiré. En l’état, ça fait tendre le film vers la saynète, le sketch, alors que jusqu’ici, il proposait autre chose, le comique de geste aurait pu permettre ici une conclusion autrement plus forte, signifiante, qui aurait donné à ton œuvre une valeur autrement plus grande, entres autres à cause de ce trouble entre les deux dudes ( sans parler d'homosexualité, juste de tous les malaises qu'une telle situation peut éveiller chez deux mecs dans une société de la performance)
Egalement, si l’idée d’avoir circonscrit la présence féminine à l’ordre du fantasme (joli fantasme d’ailleurs), est une bonne idée, en phase avec le propos du court, je me demande s’il n’aurait pas été judicieux qu’elle soit plus présente, qu’elle apporte le pendant à cette angoisse démesurée qui agite les hommes. Tu évoques le terme de respiration, c’aurait été pertinent que les instants de suspension, où l’angoisse s’immisce doucement entre les deux mecs, soient l’occasion de basculer sur la fille, son éventuelle hâte de partager ce moment (et valoriser la dilatation comique qui se profile), une divagation, fantasme tout autre, une attitude prosaïque soulignant le décalage, whatever. Elle aurait pu être le trait d'union final, également (la transition plan de fin - pétanque est un peu abrupte)
Ton partenaire n’est pas super juste, en tout cas, il ne me convainc pas : il a une attitude, un langage corporel beaucoup trop en retrait alors qu’il est censé être l’enthousiaste du duo, on doit voir une évolution chez lui et sa composition est très monocorde, même si assez précise, dans son côté mec assuré, beau gosse mais sensible tout de même.
C’est peut être parce que tu as en des atouts naturels qui font que l’on tend à te regarder plus : Tu occupes l’espace, tu as le physique pour (pas simplement trapu, mais bonhomme, chaleureux, c’est assez rare), cependant, tu peines à « surprendre : tes intonations et réactions sont souvent attendues. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai vu le même personnage que dans Lose Actually et Bob et Joséphine, mais il faudrait que tu sois plus imprévisible, plus nuancé dans ton jeu.
Je te trouve très bon dès qu’il s’agit de laisser surgir la vulnérabilité l’espace d’un instant, comme quand ton personnage dit qu’il va avoir besoin d’avoir froid (en tendant de cette façon un peu vers un style « Seymour-hoffman » qui, je pense, pourrait être un bon exemple de la façon dont ta palette pourrait s’élargir) ou quand tu joins le geste à la parole, (le tapir, typiquement), moins dès qu’il s’agit d’incarner quelque chose, de t’approprier le texte: on sent que tu joues la situation. Il y a surement un attachement très fort à l’écrit chez toi, à ce qui est dit, à la façon dont s’est dit et, si c’est propre, on en revient à cette difficulté à surprendre, à emmener le spectateur là où il ne l’attend pas.
Je ne sais pas s’il faudrait que tu te cantonnes à développer/jouer sur tes atouts, ou que tu joues un personnage radicalement différent, mais tu as une marge de progression importante et il faut que tu laisses de l’air dans la pièce aux autres
Ta présence, la qualité de ta voix (un superbe don), la contradiction toujours sous-jacente que l’on sent chez toi sont des atouts qui ne doivent pas te pousser à sur-jouer à mon sens.
Même si j’ai l’air critique (edit: je précise puisqu'à la relecture j'ai peut être l'air un peu sévère, ton court est tout de même bien meilleur que 90 % de ce que je vois (en format court), il est pro, il y a énormément de travail et de passion et rien que pour ça chapeau, toutes les pistes que j'évoque ne sont que des ressentis/analyses pour te permettre de franchir des étapes que tu as largement la capacité d'outrepasser), j’ai apprécié le travail et la passion qui suinte de ton œuvre, il faut que tu/vous continues/ez mais en n’hésitant pas à explorer d’autres pistes (même si tu traites une thématique affiliée) qui permettront de mettre en valeur ton propos, que l’on sent riche de nuances. De la confiance, que diable