Le nouveau film de Mathieu Amalric est visible, temporairement, ici :
http://videos.arte.tv/fr/videos/joann_s ... 96452.htmlÀ mon avis, c'est clairement son moins bon film, complètement bâclé dans sa mise en scène, si encore on peut parler de mise en scène, tant on sent qu'Amalric tourne son documentaire comme pour s'en foutre, en mini-DV portée n'importe comment, pas pensé, pas découpé, rien... Soyons clair : il n'y a pas un seul plan de cinéma là-dedans, ce n'est pas un film. C'est un machin, du remplissage, un truc fait à la va-vite, où on sent qu'Amalric peine parce qu'il n'a pas assez de matière, pas assez de séquences. Du coup il comble avec des artifices pis que pauvres, des plans inutiles du banc de montage, et, allons jusqu'au bout, des plans filmés sur les genoux, à genre deux heures du matin, où à mi-voix il déchiffre les planches de Sfar... Nul et sans ambition, donc.
C'est dommage, parce que, si Amalric n'a pas su quoi faire de ce qu'il filmait, on discerne plusieurs pistes de ce que ça aurait pu être. Sfar est certes très agaçant à s'adorer tant, à être tellement auto-satisfait, et il n'est pas évident qu'on puisse en tirer un beau personnage, j'en doute fortement. Dès qu'il se met à analyser son trait, il devient lénifiant et casse-burnes (grand moment de solitude quand les légistes, qu'il a décidé de dessiner pour faire à l'écran un peu de choc, se retiennent de rire et acquiescent histoire de passer à autre chose, lorsque Sfar leur dit que leur dissection, c'est exactement comme dessiner).
Mais dans l'action de dessiner, là, dans l'action pure de dessiner, il se passe quand même quelque chose avec Sfar. Non pas quand il dessine d'après nature, morte ou vivante, il n'est alors pas très intéressant (d'autres le sont pour lui, le professeur de dessin avec les modèles, il a l'air passionnant, on aurait envie qu'Amalric soit un peu sérieux, là, dans cette séquence il y a un potentiel documentaire formidable, qui hélas en reste à l'anecdotique) (quand je dis d'autres sont meilleurs là-dessus : on entrevoit aussi des étonnants carnets de voyage de Blain d'un trait très réaliste que je ne lui connaissais pas, des couleurs vénitiennes superbes notamment), par contre il y a cinq grosses minutes où Sfar rentre enfin dans le corps de ce qui distingue le dessin de bande dessinée du dessin en général, cinq grosses minutes où il remplit des cases, en laisse certaines vides, y reviendra plus tard, fait montre d'un imaginaire automatique assez époustouflant, d'un sens immédiat de la case, de ce qu'est une case, de comment fonctionne une narration, c'est de la spatiotopie appliquée, mais ce qui est beau c'est que c'est de la spatiotopie jamais scolaire, Sfar le fait automatiquement, oui, c'est pas péjoratif en l'occurrence, disons qu'il le fait avec le même naturel que d'autres écrivent, que le langage de la bande dessinée est une évidence ici, qu'il n'a plus besoin de réfléchir avant de dessiner, tout comme on peut parler sans avoir à se demander ce qu'est un mot... D'ailleurs c'est aussi de là que vient le problème de Sfar, de cette aisance insolente, et à tant dessiner sans réfléchir, on aboutit au même résultat qu'à sans cesse parler sans réfléchir : on a beau bien parler/dessiner, on parle/dessine pour ne plus rien dire.
Mathieu, on va dire comme IMDb, que ce film n'existe pas. Ou alors on fait comme s'il n'était pas de toi. Parce qu'objectivement, quelque part, tu n'y as pas foutu grand chose.