Je suis assez rétif à l'univers de Barbara (le seul chanteur de cette génération qui me touche vraiment est Nino Ferrer, pour son masque d'humour volontairement mal posé devant une énorme mélancolie, et la tentative de voir dans le rock, versant hendrixien-progressif un salut qui à la fois exprimerait franchement cette mélancolie et la dissolverait. Je suis plutôt tendance "Arbre Noir" qu'"Aigle Noir". Ceci dit les meilleurs textes de Ferrer rejoignent un peu ceux de Barbara, comme "la Rua Madureira" ). Et les films tournant sur la quête amoureuse obsessionnelle (mais où l'obession revient comme un bilan) d'une femme ne sont pas trop ce dont j'ai besoin en ce moment. J'ai eu parfois l'impression qu'Amalric se prenait pour Orson Welles dans Citizen Kane, ce qui n'était moyennement intéressant (cela desservait aussi le propos, réduisant indirectement Barbara-Balibar une starlette soumise à un démiruge, comme la maîtresse criarde de Hearst), et finissait par ressembler, plutôt qu'au "Procès" ou "F comme Fake" à un truc intermédiaire entre une pub Cacharel et les romans d'Aragon du style "Blanche ou l'Oubli" (d'ailleurs proche dans l'esprit du film d'Amalric, où la liturgie de la culture et des mots absorbe l'actualité : la niant et mêle temps en témoignant : génocide indonésien chez Aragon, guerre en Yougoslavie chez Amalric). J'ai été moyennement touché par la nostalgie fétichiste pour les années 1970, même si elle est mise en abyme comme une des intentions du film que le réalisateur est impuissant à figurer selon ses vœux . Par contre le film (surtout au début), avec son appartement-dispositif et ses plans séquences m'a fait beaucoup penser à "Femmes Femmes" de Vecchiali (découvert récemment, ce qui favorise peut-être abitrairement ce rapprochement), comme si Balibar jouait à la fois le personnage d'Hélène Surgière et celui de Sonia Salviange, avec quelques déplacements (la mère remplace l'amante-double, la caméra est montrée dans une situation qui rappelle les photos de plateau du Vecchiali), ce qui recelait plus d'enjeu. Déplacements : chez Vecchiali, les actrices n'arrivent pas à percer, mais s'aiment (et font de cette amour à la fois une oeuvre, un artifice, en même temps qu'un sentiment pur et compatissant) et finalement meurent. Barbara au contraire est reconnue, mais fait, elle, de l'amour un contenu culturel au prix de la solitude (l'espèce d'égocentrisme poétique de Barbara, même s'il est vécu comme un sacerdoce sincère et une liturgie qui contraint à une honnêteté existentielle quasi-métaphysique , est vertigineux et effrayant), comme si ce type de solitude était un engagement qui remplaçait à la fois l'espace social et la mort. La fin du film est vertigneuse : Barbara-Balibar sort de l'appartement, rejoint l'envers du décors, mais au contraire de "All that Jazz" (aussi une source d'inspiration possible d'Amalric, sorte de version germanopratine de Bob Fosse, déjà dans "Tournée") ou de "Femmes Femmes" la représentation continue, ne s'épuise pas mais ne se développe pas non plus. Elle se maintient identique à elle-même, la mort ne survient même pas, la figure de la fidélité constante à l'ex remplace celle du deuil. Le spectacle est le lieu d'une depense qui ne s'épuise jamais. L'envers du décor et la déclaration face caméra (à Amalric) correspond exactement à la mort de Sonia Salviange dans "Femmes femmes" . Chez Vecchalli, la mort est une forme de retour du "réalisme" du jeu social (ou a en tout cas la même valeur que le social) dans le lieu protégé de l'amour, l'appartement barricadé (équivalent féminin de la garçonnière de Des Esseintes), elle fait suite d'ailleurs à la seule scène d'extérieur (où la rue s'avère encore plus folle et décadente que les deux femmes). Mais chez Amalric l'horreur reste mise à distance , mais avec elle la compassion et l'humour aussi : il n'y pas de cris comme ceux de Surgère quand son amie agonise, mais une extinciton contrôlée (de voix), qui se laisse filmer sans déchirure : en fait le bon goût remplace la mort, la culture est une souffrance, ainsi qu'une offrande de soi, sans scandale, elle-même prise dans une stratégie de reconnaissance; Barbara est filmée comme un être éminemment distingué, qui échappe à la critique sociale par le fait d'être perpétuellement en représentation, et de ne rien taire, comme si le silence était déjà une réduction à un affect de classe, potentiellement critiquable). Le film semble fermer l'amour sur lui-même, le décrire comme un surplace et une tautologie, emplie de jouissane inépuisable amère et lucide, sans possibilité d'oubli et en un sens pire que la mort. Il arrive parfois à émouvoir, mais comme un souvenir de ce qui sur le moment, n'avait jamais été perçu comme un sentiment (l'altérité amoureuse est mise sur le même plan qu'un fait culturel : l'idée qu'un adolescent se fait de la culture, comme horizon) plutôt qu'une rencontre.
Après il y a des passages gênants, parfois touchants (la scène de resto route kitscho-post-Alain-Cavalier-téléramo-erotico-batailienne, où le personnage tombe un peu le masque, sans être trop typé, finalement assez poétique et fantasmatique, même si le typage des gars du peuple qui ne sont pas le public de Barbara, mais parfois son inspiration, est lui problématique) parfois carrément lourdingues (Balibar qui marche à côté d'une Audi A8 entre le Quai Voltaire et Notre-Dame dans la lumière bleue du petit matin en disant "laissez moi seule" en anglais). Les scènes avec l'assistante tyrannisée, muette mais contente d'être essentielle et exhibant le disque de projecteur comme un morceau de pouvoir, à la façon d'un bedeau serrant une future relique, sont elles aussi gênantes.
J'ai bien aimé le générique, entre poésie godardienne et gimmick à la Saul Bass, partie intégrante du film et de l'absorption de Barbara par Balibar.
3.5/6
Dernière édition par Gontrand le 17 Oct 2017, 20:21, édité 4 fois.
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