Jericho Cane a écrit:
Okay...
Pour mieux aborder INLAND EMPIRE, il ne faut pas s'arrêter à son aspect conceptuel, mais se laisser porter par la subjectivité totale qui hante chaque image, comme si c'était un grand voyage intérieur à l'intérieur de nos angoisses les plus intimes et les plus enfouies. Et là, il ne faut plus se soucier d'une quelconque logique narrative, mais ressentir une pure expérience sensorielle et méditative. Il ne s'agit pas de s'attacher à Laura Dern comme si on la trouvait sympa, mais de partager avec elle ses démons intérieurs. INLAND EMPIRE est absolument tout le contraire d'un film-objet, car il nécessite une connexion totalement directe avec l'esprit du spectateur. Nul besoin d'être cinéphile ou de s'intéresser à l'art conceptuel pour aimer ce film, tout n'est qu'une question de sensibilité. C'est pourquoi ceux qui ont accepté le voyage jusqu'au bout sont tous d'accord pour dire que la fin du film va vers une délivrance émotionnelle qui procure une grande joie.
Il faut arrêter de voir systématiquement du "conceptuel" dans toute forme de cinéma expérimental.... Des films avec une narration logique peuvent même s'avérer les films les plus vides et les plus froids qui soient.
Et INLAND EMPIRE est l'un des films les plus généreux et chaleureux que j'ai jamais vus.
Ben voilà : c'est ce que je disais.
Je ne sais pas trop quoi répondre à tout cela, j'ai tout dit au-dessus.
J'ai expliqué pourquoi je ne partage pas du tout cette réception sensorielle du film, pourquoi la connexion entre le film et moi ne s'est jamais faite, pourquoi le film ne m'a jamais fait ressentir les terreurs et angoisses intimes des êtres, etc...
Mais on en vient à cette question de la plausibilité de la logique affective, cette logique dont parlait à juste à titre the black addiction. Je ne nie pas que Lynch ait bâti son film là-dessus, ça me semble évident. Mais pour moi il se plante, pour toutes les raisons ci-dessus. C'est vrai que c'est coton à expliquer, il faudrait se baser sur des exemples précis.
Tu cites la fin, en arguant qu'elle exprime une "délivrance émotionnelle". Dans les faits, je suis d'accord : je saisis cette intention chez Lynch. Mais à mes yeux, il est à côté de la plaque et foire son effet dans les grandes largeurs : la logique affective ne fonctionne pas. Parce que pendant tout le film, il nous donne à voir un héros (le perso masculin principal) tour à tour méprisable, violent, inquétant, antipathique, etc... Cette perception subjective est celle de l'héroïne (la brune qui regarde la télé, et aussi Laura Dern, sa projection fictionnelle). Or on la voit à la fin qui tombe dans ses bras dans un simulacre de bonheur conjugual, comme si tout ce que le film nous avait montré (i.e. fait ressentir) pendant trois heures n'avait pas eu lieu d'être. L'enchaînement des affects, la logique émotionnelle est à côté de la plque, elle n'a aucune tangibilité : je ne crois pas une seconde à cette scène de bonheur, rien ne m'y amené "affectivement". Je ne peux pas croire que cette fille soit heuree dans les bras de son mari alors que tout le film a été basé sur le mépris et la peur qu'il inspire. Donc cette scène finale ne m'émeut pas. C'est vraiment le socle même du projet, la démarche de Lynch qui sont foireuses, pour moi. En fait il ne sait même plus ce qu'il raconte, le pauvre David.
Sur la question des angoisses intimes et enfouies, des démons intérieurs, j'ai déjà donné dans la page précédente. Pour moi Lynch ne parvient pas à exprimer la peur de façon prégnante : il en transmet seulement une visualisation particulièrement gotesque et grand-guignolesque. Il est plus question de manifestations outrancières de la peur que d'une véritable connexion empathique avec la
vraie peur. En comparaison, la façon dont le cinéaste parvenait à nous faire partager les hantises de Laura Palmer dans
Twin Peaks, dont il nous projetait dans l'arrière-monde de ses terreurs adolescentes, de tout le processus d'autodestruction, de toute la détresse, la débauche et le stuc dans laquelle elle s'engloutissait pour tenter d'oublier jusqu'à sa propre existence, était infiniment plus boulevrsante. Quant aux héroïnes de
Mulholland Drive, elles étaient dans l’attente d’une révélation qui, et elles le savent d’avance (d’où leur terreur, et la nôtre), allait éclater comme un coup de tonnerre dans leur ciel trop pur. Et plus approchait l’heure de la révélation, plus leur bonheur d’être ensemble s’intensifiait, de sorte que c’est quand leur amour atteignait son paroxysme qu'un Satan de music-hall faisait s’évanouir, d’un coup de baguette magique, toute leur histoire, jusqu’à son souvenir. La dernière partie du film, si cruelle, qui voyait Diane petit à petit méprisée puis oubliée par celle qu’elle avait tant aimé, mais dans un autre espace-temps, est à ma connaissance l’une des meilleures représentations cinématographiques du cauchemar absolu. La peur, la vraie, elle est là, bien davantage que dans les trois heures noirâtres de
Inland Empire.
Enfin, tu soulignes à travers ton post l'une des grandes limites de IE à mes yeux (une de plus, oui
) : la dimension quelque peu limititée de sa palette émotionnelle. A part cette fameuse peur (que personnellement, je ne ressens pas, tu l'auras compris), que ressens-tu face à ce film, en dehors de la délivrance émotionnelle finalr ? Désolé d'y revenir, mais un film comme MD me vaut absolument toutes les émotions du monde, puissance mille : l'euphorie, l'exaltation, l'émerveillement, le trouble, l'inquiétude, l'excitation, l'angoisse, l'amusement, la tristesse, le chagrin, le désespoir, la mélancolie. Je passe par TOUS les états émotionnels face à ce film. Ressens-tu quelconque de ces émotions face à IE ? Si oui, à quels moments, face à quelles scènes ?
Sur la question du conceptuel, c'est un fait : Lynch s'est imposé de ne pas écrire de scénario, a bâti son film sur des partis pris radicaux auxquels il s'est tenu. Je peux me tromper, mais il me semble que ça procède d'une approche très conceptuelle, très théorisée de son projet, une forme d'installation d'art assez particulière.
Tout à fait d'accord cependant sur le fait que certains films très linéaires et classiques sont totalement froids, ça n'a évidemment rien à voir.
Tu l'auras compris, mais j'ai trouvé IE (forme et fond) totalement glacial, déshumanisé, désséché. De ce point de vue, je ne peux nier que l'esthétique du film, décharnée, désincarnée, laide, soit en adéquation avec le fond, avec cette absence complète de la
sentimentalité qui m'est si chère chez Lynch. C'est peut-être ça, le pire : où sont passés les sentiments ? Pourquoi les personnages n'éprouvent-ils rien les uns envers les autres ? (à part cette fameuse "peur", on y revient). Pas un instant, je n'ai ressenti d'affection entre les personnages, de tangibilité émotionnelle, pas une quelconque manifestation d'empathie de qui que ce soit, pour qui que ce soit. Ca, ça me tue, quand je considère Lynch comme l'un des réalisateurs les plus romantiques et sentimentaux du monde.