Paprika a écrit:
J'ai bien envie de le lire pour espérer comprendre un peu plus le projet d'une telle adaptation maintenant.
La perspective d'un archi-fan (Alex Nikolavitch) :
https://www.brucetringale.com/adapter-dune/Citation:
"Mais c’est quoi, DUNE ? Qu’est-ce qui n’a pas été déjà dit sur le pavé de Frank Herbert ? Livre prophétique divulguant les tensions de notre monde, monstre littéraire à l’intrigue et aux enjeux complexes, le roman et ses cinq suites constituent l’un des grands cycles incontournables de la SF, aux côtés de FONDATION, d’HYPERION et de LA CULTURE, posant un univers d’une immense richesse, aux nombreux personnages et aux factions très variées. D’une certaine façon, c’est un peu le GAME OF THRONES de l’époque. La série aborde de nombreux thèmes, notamment celui de l’homme providentiel, du leader, et du danger qu’il représente lorsqu’il devient une caricature de lui-même.
Car si Paul Atreides est présenté au départ comme le protagoniste et le héros, les forces avec lesquelles il joue ont tôt fait de faire de lui un monstre dans les suites. S’étant fait reconnaître comme leader charismatique et comme messie d’un peuple du désert, il est parvenu à mener avec succès une rébellion qui l’a porté sur le trône. Mais que faire du pouvoir lorsque ses troupes ont fait de vous un dieu, Muad-dib, et ont organisé une religion autour de vous, avec ses interdits et ses rituels ? Pire encore, Paul détient la prescience, la capacité de voir l’avenir, sans apparemment être en mesure de le modifier. Rapidement, il se trouve prisonnier de celui-ci, et de sa conclusion ultime, une apocalypse risquant de balayer l’humanité dans tout l’univers connu. Ses descendants s’emploieront donc à tenter de briser cette chaîne et d’amasser un pouvoir plus grand encore afin de conjurer la catastrophe."
Citation:
"On passera assez vite sur les additions au cycle commises après la mort de l’auteur par son fils Brian et par Kevin J. en personne. À force de vouloir expliquer tout ce que Frank Herbert avait laissé dans l’ombre ou dans l’ambiguïté, elles en fracassent le mystère et en dévoient les enjeux.
Ce mystère, c’est peut-être, d’ailleurs, ce qui est le moins transposable à l’écran. L’action en elle-même ne pose pas de difficultés sur le premier tome. On peut même assez facilement la résumer : les gentils arrivent sur une planète, sont trahis et exterminés, et le dernier survivant de la famille rallie les peuples du désert pour faire payer les potentats qui les ont piégés ou pire, ont laissé faire. Mais c’est tout le reste qui devient compliqué. Herbert décrit très peu, mais laisse à deviner un univers baroque, chatoyant et décadent. La direction artistique devra donc faire avec pas grand-chose, tout en donnant à voir au spectateur ce que le lecteur imaginait naturellement grâce aux allusions du texte. L’aspect démesuré de la tragédie, piochant directement aux sources grecques (ce n’est pas pour rien que les héros empruntent leur nom aux Atrides, eux-mêmes marqués par le destin, et que l’antagoniste principal adopte des manières d’empereur romain pervers qu’on imaginerait parfaitement incarné par l’immense Charles Laughton) peut sembler désuet en une époque où les blockbusters les plus délirants tentent de mettre en scène l’humanité de leurs personnages avec des scènes de cantine ou de jogging.
La profondeur spatiotemporelle de l’univers est un autre obstacle. S’il est désormais facile de mettre en scène des mondes variés, comme l’a par exemple démontré George Lucas (qui a chipé à DUNE une partie de son propre univers), donner à deviner sa riche histoire antérieure, justifiant ses rapports de force et ses tabous, est une autre paire de manches."
Citation:
"La complexité de certains personnages, notamment l’affreux Baron Harkonnen, peut aussi donner des sueurs froides à l’adaptateur. S’il est décrit comme immensément pervers et malveillant, on comprend vite qu’il joue de l’image qu’il renvoie comme d’un leurre. Le jouisseur décadent est en fait un planificateur beaucoup plus froid que ne l’imaginent ses adversaires, et ils le sous-estiment donc systématiquement. Représenter cette ambiguïté est aussi difficile que d’évoquer celle de Paul, le protagoniste propre sur lui, bardé de beaux principes, qui est dans les faits un monstre génocidaire.
Et puis il y a l’enjeu principal, le contrôle de « l’épice », substance précieuse et toute puissante que tous se disputent, et qui est aussi chargée métaphoriquement que l’anneau unique de Sauron. À la fois drogue prolongeant la vie, étendant le champ de conscience et servant à déplacer non pas les montages, mais d’énormes longs courriers spatiaux, c’est un enjeu géopolitique du même rang que notre pétrole, justifiant tous les conflits, tous les chantages, toutes les inégalités et tous les coups tordus. Sauf qu’on ne sniffe pas le pétrole pour voir l’avenir et démultiplier les pouvoirs mentaux (y en a des qui ont essayé, mais sérieux, ne faites pas ça, c’est une mauvaise idée). Dans les années 60-70, les lecteurs de DUNE y ont vu le reflet des théories d’Aldous Huxley et de Tim Leary sur le LSD vecteur d’une révolution à venir. Mais la suite, LE MESSIE DE DUNE, évoque plutôt, d’une certaine façon, Altamont et Charles Manson. La révolution a bien eu lieu, mais elle s’est fracassée sur la triste réalité de la nature humaine."
Citation:
"De nos jours, l’utilisation récurrente du mot « jihad » par Herbert fait naître une autre lecture, et ce que Paul fonde sur sa planète nous rappelle de façon très dérangeante les califats autoproclamés du Proche-Orient, attentats suicides inclus. Sortir DUNE en 2021, c’est courir le risque de voir cette image sauter à la figure du spectateur. Que le héros soit le meneur de ce jihad pourrait rendre le message de l’œuvre absolument inaudible.
Toutes les adaptations se sont plantées sur l’un ou l’autre point. Le DUNE de Jodorowsky adoptait une approche mystique, balayait les ambiguïtés de Paul pour en faire un authentique prophète menant l’humanité à l’illumination. Celui de Lynch en rajoutait sur le caractère immonde des Harkonnen (et le slip spatial de Sting) et échouait, surtout dans son montage cinéma, à montrer la complexité des psychologies, celle de règles régissant la vie des Fremen du désert et celles, très différentes, des aristocrates de l’Imperium, ainsi que la confrontation des mystiques opposées des différentes factions, de leur vision sacralisée de leur mission dans l’univers. Faute de budget et d’une réalisation assez pensée, la série télévisée manquait terriblement de souffle.
Inadaptable, DUNE ? L’erreur majeure de la version Lynch (pas imputable à Lynch lui-même, d’ailleurs, mais à son producteur) c’est d’avoir voulu compacter un bouquin aussi dense en deux heures, ce qui conduisait à n’en garder que les événements, en faisant l’impasse sur tout le reste. Les personnages et situations ne peuvent plus être autre chose que schématiques. Les écarts quant à l’histoire sont d’ailleurs là pour essayer d’y palier, de rajouter des motivations qui sinon seraient floues. Les diverses versions longues (il existe des « fan edits » très intéressants sur les internets, rajoutant près d’une heure à l’ensemble à partir de chutes de la salle de montage) permettent de redensifier l’ensemble et d’avoir une idée de ce qu’aurait pu être le film sans les interférences de production."
Citation:
"La série télévisée de 2000 met près de quatre heures à raconter son histoire. Les personnages y sont donc moins caricaturaux, notamment le Baron, qui retrouve une dimension onctueuse et pateline qui le rend plus crédible, et d’une perversité plus raffinée. Une scène clé, absente du film de Lynch, le définit assez bien : son neveu tente de l’assassiner pour prendre sa place, et le Baron, plutôt que de riposter, lui propose un pacte faustien. L’échec de la tentative montre que le jeune homme n’est pas encore prêt à prendre la succession, qu’il doit parachever sa formation. L’oncle propose à son neveu de l’initier au jeu à long terme qu’il pratique lui-même, dont les objectifs sont démesurés. Des plans dans les plans. Là, on retrouve une partie de l’essence de DUNE.
Certains écarts par rapport au livre tiennent à la volonté des scénaristes de mettre en avant des personnages assez secondaires, notamment féminins, qui ont de l’importance dans l’intrigue, notamment la Princesse Irulan, et ces ajustements sont plutôt bien faits, posant les bases de son rôle dans la mini-série suivante (qui combine les tomes 2 et 3, et s’ouvre courageusement sur les images de dévastations et de purges consécutives au jihad cosmique de Paul Muad-dib)."