1. STAR WARS (trilogie) – George Lucas, Irvin Kershner, Richard Marquand
J’aime ces films comme mes frères, ils sont à l’origine de tout l’intérêt que je porte au cinéma aujourd’hui. J’ai bien conscience que ce n’est pas très utile de dire pourquoi je suis complètement fou de la trilogie de Lucas : tous les autres fans m’auront déjà compris. Cette saga distille une magie renouvelée à chaque vision, parce qu’elle trouve racine dans mes rêves d’enfance incarnés. Tous les personnages sont mes potes (Luke, Han, Leia, Chewie...), Obi-Wan et Yoda sont mes maîtres, Dark Vador, est, pour toujours, le plus grand et le plus charismatique "méchant" de l’histoire du cinéma, la musique martiale de John Williams la plus imparable des machines à faire exulter qui soient. Le plus fort, avec ces films, c’est qu’en plus de l’amour démesuré qu’on peut leur porter en tant que rêves de cinéma, on n’en finit pas d’y percevoir de nouvelles richesses thématiques, mythologiques, initiatiques, psychologiques. Au-delà du divertissement merveilleux, Lucas a inventé un mythe aux résonances universelles, compilant une foule d’influences pour aboutir à un univers d’une cohérence et d’une inventivité exceptionnelles. Je me retrouve dans la trajectoire de Luke, ses doutes, ses aspirations et ses angoisses, je me rêve dans la peau de Han, ce vaurien au cœur d’or qui est comme le héros ultime de cinéma, j’adore Leia et son caractère à la fois puissant et fragile, ses prises de bec amoureuses au parfum de screwball comedies avec Han... Il m’est impossible de prononcer le terrible "Je suis ton père" de Vador sans trémolos dans la voix, ou de repenser à la réplique tranquille d’un Han au seuil de la mort, lorsque Leia lui avoue qu’elle l’aime, sans que les larmes me viennent aux yeux. Des trois épisodes, celui que je préfère est
The Empire strikes back, volet-charnière éblouissant de complexité et d’ambiguïté, mais les deux autres sont solidement placés dans le peloton de tête de mes films favoris.
2. LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE - Steven Spielberg
Le modèle ultime du Divertissement, sans alibi d’aucune sorte, sans autre motivation que le goût assumé et ô combien communicatif du plaisir créé pour lui-même. Spielberg et Lucas ont grandi avec les serials des années 40, ils ont des moyens énormes, un talent à leur mesure, et ils vont expliquer à des millions de spectateurs, avec une intelligence ludique de tous les instants, pourquoi ils aiment le cinéma. A la vision de ce film, je comprends à mon tour. C’est une sarabande euphorisante, un film qui me fait pleurer de bonheur tant chaque élément coule de source, tant il transporte, tant sa légèreté, son brio, son rythme étourdissant peuvent me faire oublier qui je suis. Harrison Ford est, dans la dérision, le charme et l’humour, le plus formidable héros de cinéma que l’on ait vu, Karen Allen est d’un piquant irrésistible. Chaque séquence est un trésor d’inventivité, et se nourrit de la passion d’un réalisateur qui a décidé de compiler amoureusement toutes les composantes du ciné d’aventures. Il y a aura des serpents, des squelettes, des nazis, des temples maudits, des indigènes... La musique de John Williams fait naître à elle seule la plus intense des jubilations. Depuis l’époustouflante séquence d’ouverture (apnée pendant dix minutes) jusqu’au merveilleux cauchemardesque de la fin, je suis comblé, et la seule chose que j’ai envie de faire quand j’ai terminé, c’est de recommencer. J’ai vu ce film des dizaines de fois, et il a généré deux suites formidables.
3. BLADE RUNNER – Ridley Scott
Donc, Los Angeles, 2019. Dans les rues embrumées d’une cité tentaculaire, les gens s’entassent en un melting pot de communautés, d’influences et de sabirs hybrides. En haut, là où le ciel est encore visible par endroits, un docteur Frankenstein siégeant au cœur d’un haut palais à l’architecture aztèque couche dans un lit papal. Dans le foisonnement de cet hallucinant univers urbain, inventé avec une inspiration visionnaire par Ridley Scott, un privé mélancolique tout droit sorti de chez Chandler et un ange de la mort blond au regard azur traînent leurs états d’âme, jusqu’à un affrontement infernal zébré par le vol des colombes. Fascinante immersion futuriste, sublimée par la musique de Vangelis,
Blade Runner, en plus d’être l’anticipation la plus belle et la plus désespérée du monde de demain (vingt-cinq après, il règne toujours sur la SF), est une œuvre aux implications métaphysiques et théologiques inépuisables : il s’agit d’une fable renouvelant le mythe de Prométhée, et d’une douloureuse méditation sur la nature humaine. Là encore, les séquences d’anthologie se succèdent, depuis le parricide de Tyrell par Batty, éclairé à la lueur des bougies, jusqu’aux ultimes paroles du "fils prodigue", répliquant plus humain que l’humain qu’il épargne. Une œuvre d’une richesse visuelle, émotionnelle et thématique hors du commun.
4. ABYSS - James Cameron
Grand cinéaste dont la sensibilité n’a d’égale que l’ambition, James Cameron signe là son plus beau film, le plus délicat, émouvant et fragile. Homme de défis insensés, le futur réalisateur de
Titanic embauche une équipe énorme pour un tournage sous-marin épique, et dépense des millions de dollars pour raconter la plus belle des histoires : la réconciliation amoureuse d’un homme et d’une femme au fond des mers. Transcendé par le couple Ed Harris-Mary Elizabeth Mastrantonio (tous les deux magiques), cet extraordinaire film d’aventures humaines conjugue l’efficacité à toute épreuve d’un suspense magistralement orchestré (Cameron est, avec McTiernan, le plus grand nom du film d’action pure aux États-Unis) et la force d’une magnifique intrigue sentimentale. Une nouvelle fois, le cinéaste filme l’élément aquatique comme personne : ses images et ses effets spéciaux sont d’une beauté incroyable, et nous transportent dans un ailleurs merveilleux, presque aux origines de la vie. Les séquences superbes se succèdent, de l’apparition de l’alien à tête polymorphe jusqu’à cette instant inouï où Bud ramène Lindsay à la vie (une des scènes les plus fortes de ma vie de spectateur, au bas mot). Bref, un film absolument sublime.
5. IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE – Sergio Leone
Noodles a dormi pendant trop longtemps. Noodles a trahi ses amis. Dans les volutes de l'opium, Noodles se souvient. Sergio Leone, lui, a mûri son film pendant quinze ans, l'a nourri de tout son génie de la dramaturgie, de tout son goût pour les mythes fondateurs de l’Amérique, la reconstitution grandiose, l’outrance des événements et des personnages (s’épanchant ici dans un classicisme somptueux). Le parcours de son héros, à travers cinquante ans de gangsterisme, sera l'écrin d'un méditation proustienne sur la mémoire, le passé, la nostalgie d'un homme hanté par ses démons. Film-fleuve, film de légende, film d'une vie qui, dans un élan invraisemblable d'ambition, prétend ressusciter l'essence d'une société, d'une époque, d'un monde,
Il était une fois en Amérique est comme la rêverie mélancolique d’un artiste fantasmant sur un cinéma perdu. D'une ampleur romanesque à peu près sans équivalent dans l'histoire du septième art, suivant les méandres d'une construction impériale, cette fresque opératique et crépusculaire, dont les enjeux narratifs et psychologiques retrouvent la puissance des plus grandes tragédies, est peut-être, à bien y réfléchir, le dernier vrai classique du cinéma américain. Quelque part, c'est une incarnation du Cinéma tout court.
6. E.T. L’EXTRATERRESTRE – Steven Spielberg
E.T. possède le regard d’un bébé et la voix d’une grand-mère. Il vient du ciel, et se retrouve dans la chambre d’un enfant qui souffre de ne plus avoir de père. Il est le visage éternel de l’ami, le réceptacle comme la source de notre besoin vital d’affection. Tout ça peut sembler d’une mièvrerie absolue (désolé), mais le film, lui, accomplit le miracle de ne jamais verser dans la niaiserie. Parce que le type qui est derrière la caméra, sans cesse sur le fil du rasoir, ne cède jamais à son péché mignon de la sensiblerie et fait palpiter les fibres qui, on n’aura de cesse de s’en apercevoir tout au long de sa filmographie, le constituent en tant qu’homme, et donc en tant qu’artiste : celles de l’enfance, de la famille, et du merveilleux qui transfigure le réel.
E.T. demeure peut-être, aujourd’hui encore, sa plus belle réussite, parce qu’il tire de l’histoire la plus simple qui soit des résonances universelles, et parce que la force tranquille avec laquelle il réussit à faire rire, à faire peur, à faire pleurer, ne trouve pratiquement aucun équivalent dans le cinéma populaire. On peut toujours s’amuser à analyser les ressorts religieux, psychanalytiques ou mythologiques de ce conte fabuleux ; l’essentiel, un spectateur de dix ans le ressentira au plus profond de lui-même.
7. S.O.S. FANTÔMES – Ivan Reitman
Déjà, il y a Bill Murray, attraction vivante, qui condense à lui seul le délire explosant à tous les étages du film. Ensuite, il y a Sigourney Weaver, dans un numéro de séduction assez affriolant (euphémisme) qui m’a un peu-beaucoup marqué. Après, il y a l’histoire, sortie des cerveaux pas encore adultes de Harold Ramis (futur réalisateur du merveilleux
Un Jour sans Fin) et de Dan Aykroyd, qui troque son costard de Blue brother pour une panoplie électronique de chasse aux fantômes. Parce que oui, les héros de ce film jouissif au possible cassent du revenant. Le plus fort, c’est qu’il parvient à jouer sur deux niveaux à la fois : celui du rire (et c’est rien de dire qu’on rit beaucoup) et celui du suspense fantastique mâtiné de film-catastrophe avec péril mondial à la clé. De fait,
S.O.S. Fantômes a beau faire jouer les zygomatiques la plus grande partie du temps, la dernière demi-heure assure un max dans le registre du grand spectacle qui tue. Au détour d’une scène (la chasse du glouton dans l’hôtel huppé de Manhattan, par exemple), il s’autorise même des saillies satiriques percutantes. Avec ses effluves lasers qui volent dans les airs et son pop rock électronique, le divertissement d’Ivan Reitman est très daté années 80 : c’est peut-être pour ça que je l’adore.
8. AFTER HOURS – Martin Scorsese
A bout de nerfs, exténué, Paul Hackett, perdu dans les rues d’un New York transformé en labyrinthe kafkaïen, tente d’échapper à une bande de harpies furieuses qui semblent vouloir sa peau. Comment en est-il arrivé là ? Que se passe-t-il ? Est-ce qu’il est en train de rêver ? C’est tout le sel du film le plus déjanté de Scorsese, l’un de ses plus méconnus aussi. Haletante, virtuose, tour à tour hilarante et déroutante, cette folle virée dans la nuit de cette ville que Scorsese a si souvent filmée me vaut la plus intense des jubilations, parce qu’elle pousse ses situations tellement loin qu’elle débouche sur des passages de délire authentique.
After hours se vit comme une tornade démentielle : à l’image du héros, on ne peut que subir l’enchaînement drolatique des événements qui nous tombent dessus. C’est alors que le film dévoile sa nature allégorique : derrière sa folie burlesque, le parcours de Paul ne serait-il pas d’ordre initiatique ? et le film une métaphore de l'absurdité du monde ? ou de l’aliénation urbaine ? ou des fantasmes et peurs plus ou moins conscients de l’Américain moyen, embarqué malgré lui dans une aventure qui le dépasse ? Bien avant toutes ces lectures,
After hours est une comédie jouissive, endiablée, qu’il faut voir et revoir pour en appréhender toutes les richesses.
9. BLUE VELVET – David Lynch
Un parterre de roses d’un rouge éclatant dans une banlieue coquette. Le visage sardonique de Dennis Hopper, shooté à l’oxygène, persécutant Isabella Rossellini en un jeu sado-maso dont elle la victime à la fois terrifiée et consentante. Dean Stockwell, maquillé comme une Mustang volée, chantant Roy Orbison en play-back. La voix cristalline de Julee Cruise accompagnant le slow amoureux d’un couple de tourtereaux (faussement ?) innocents, précipité dans un univers de perversions. Autant d’images voluptueusement baroques de ce grand film de textures et de contrastes, avec lequel David Lynch impose son regard sur l’envers du décor et la pluralité des choses. Quelque part entre Lewis Carroll et Alfred Hitchcock,
Blue Velvet se vit comme un cauchemar langoureux, nous invite à suivre l’itinéraire initiatique d’un adolescent découvrant le mystère inquiétant du monde qui l’entoure, et témoigne du tempérament visionnaire de son auteur en subvertissant les clichés du film noir pour les placer sous le signe de l’inconscient, du voyeurisme, de l’attirance malsaine pour le mal ou la monstruosité. A la fois sommet et synthèse de l’œuvre lynchienne, ce film n’a rien perdu de son pouvoir de fascination.
10. FAUX-SEMBLANTS – David Cronenberg
L’effroi et la fascination : c’est ce que l’on ressent avant tout lorsque l’on sort de ce huis-clos suprêmement dérangeant de Cronenberg, cinéaste habité par la transgression physique et morale mais qui troque ici l’horreur spectaculaire de ses films précédents pour un minimalisme glaçant. On ne perd pas au change. Le pire, c’est que l’on ne sait absolument pas quelle est au fond la raison du malaise qui nous prend aux tripes. Est-ce la panoplie chirurgicale des jumeaux Mantle ? Le double processus de dégradation mentale suivie par les protagonistes ? Ces images monstrueuses que l’on redoute de voir mais que le cinéaste, pervers au possible, nous fait seulement imaginer (c’est bien pire) ? La seule certitude, c’est d’avoir assisté à un film magistral, plongeant au plus profond de nos terreurs psychologiques et s’appliquant à nous déstabiliser pour mieux nous émouvoir. Car, toute cérébrale qu’elle soit, cette descente aux enfers, variation troublante sur la gémellité, la difformité, la folie, s’avère des plus poignantes, sans qu’on puisse en saisir, là encore, les raisons factuelles. Jeremy Irons, dans la peau de deux personnages opposés, liés par un lien vital et mortel à la fois, est absolument époustouflant.
11. PARIS, TEXAS – Wim Wenders
Perdu dans l’immensité désertique du Grand Canyon, un homme seul, casquette vissée sur le crâne, contemple un instant le faucon qui s’est posé non loin de lui, tandis que la guitare sèche de Ry Cooder laisse échapper ses notes. A elle seule, cette première scène met en transe. Plus de deux heures plus tard, lorsque le personnage, à la recherche de lui-même, retrouvera, dans un peep-show sordide, la femme qu’il a aimée autrefois, les larmes couleront à nouveau, comme elles auront coulé de façon récurrente tout au long d’un road-movie étourdissant de pudeur et de maîtrise, frémissant de sensibilité et de délicatesse. Avec cette errance existentielle gravée dans les décors d’une Amérique intemporelle, peuplée de personnages-fantômes, hantée par la quête de paternité, la peur de l’incommunicabilité, le besoin vital de rencontres, de rapprochements, d’échanges, Wim Wenders dresse le portrait bouleversant d’un homme qui revient douloureusement, mais sûrement, au monde et à la vie. Dans la peau de cet anti-héros magnifique, Harry Dean Stanton accomplit quelque chose de miraculeux, entouré par la fragilité d’une Nastassja Kinski lumineuse et du petit Hunter Carson. Une œuvre touchée par la grâce, d’une intensité tellurique.
12. WILLOW – Ron Howard
Un autre de mes films d’enfance que je chéris tout particulièrement. Artisan parmi les plus doués du cinéma américain, Ron Howard (sous l’égide de George Lucas, qui remitonne dans l’heroic fantasy tous les ingrédients de
Star Wars) signe l’un de ces grands spectacles enchanteurs qui restent gravés pour toujours dans un coin de la mémoire. Avec ses Nelwyns sympathiques et sa reine démoniaque, sa magie noire et sa douce princesse à sauver, son héros intrépide et ses armées de répurgateurs qui font trembler le sol d’un univers foisonnant d’imagination (que les effets spéciaux ont permis de concrétiser),
Willow fait partie des films que je peux regarder encore et toujours, sans me lasser, parce qu’il vibre d’un tel plaisir de cinéma, d’un tel savoir-faire (dans l’efficacité technique comme dans la capacité à émerveiller) que le temps n’a pas prise sur lui. Quinze plus tard, Peter Jackson achèvera l’adaptation monumentale du
Seigneur des Anneaux : sa trilogie, grandiose, magnifique, puissante, inspirée, enterrera définitivement le genre au début du 21è siècle. Mais il n’atteint pas, sentimentalement, la place privilégiée que tient le conte fantastique d'Howard dans mon coeur.
13. GENS DE DUBLIN – John Huston
Certains grands artistes atteignent sur la fin de leur vie une forme de grâce, une plénitude qui leur valent les œuvres les plus belles et les plus personnelles de leur carrière. John Huston, géant du cinéma américain dont nombre de films auraient droit de cité ici, en fait partie. A 87 ans, cloué sur un fauteuil et ne pouvant respirer qu'à travers un masque, il offre, à travers une adaptation de James Joyce, son magnifique testament spirituel : une variation poétique sur la fuite du temps et la mort, photographiée dans un clair-obscur semblant provenir d'un autre monde. Difficile de rendre grâce, par les mots, à la splendeur tranquille de cette veillée funèbre, douce litanie méditative qui fait fi de toute dramatisation pour privilégier les instants de vérité suspendus, capter les impressions et les émotions des membres d'une famille irlandaise filmée avec une extrême proximité humaine, et chez qui, dans un ultime accès de sérénité, Huston semble puiser, au soir de sa vie, les racines de son existence. Huis-clos feutré qui enveloppe par sa mélancolie discrète, sa chaleur humaine, son rythme musical, l'oeuvre s'achève sur un magnifique et interminable travelling caressant les tombes d'un cimetière. Quelques mois plus tard, le cinéaste s'éteindra.
14. LE NOM DE LA ROSE – Jean-Jacques Annaud
Ca date de l'époque où Annaud avait une ambition monstre et un talent à la hauteur. Fort du succès de
La Guerre du Feu, le cinéaste se lance dans une nouvelle gageure : s'emparer du roman labyrinthique d'Umberto Eco, réputé inadaptable. Il embauche un casting international : Sean Connery y est un souverain Sherlock Holmes en robe de bure, pourfendeur iconoclaste des aberrations de son rang. Il obtient un budget apte à satisfaire son perfectionnisme : du froid glacial régnant sur le plateau aux inimaginables trognes de moines embauchées, de l'ambiance gothique et mystérieuse aux décors de l'abbaye ensanglantée par un serial killer d'un autre âge, le film vaut son pesant de superlatifs. Il signe, dans l'intelligence et la virtuosité, le plus extraordinaire thriller en huis-clos qui soit : un polar entre les pages de la Bible, dopé au mysticisme inquiétant et à l'érudition ludique. Palpitant d'un bout à l'autre, mariant la philosophie, l'initiation, le suspense, l'humour,
Le Nom de la Rose s'impose comme un formidable réquisitoire contre l'obscurantisme et le fanatisme, et démonte, avec une ironie cinglante, les querelles théologiques d'un clergé rongé par l'hypocrisie et l'immobilisme. Une oeuvre magistrale, aussi riche que captivante.
15. QUI VEUT LA PEAU DE ROGER RABBIT ? – Robert Zemeckis
Parfois, on se dit que le cinéma hollywoodien a un grain. Avec
Roger Rabbit, Zemeckis (réalisateur) et Spielberg (producteur) se posent un peu là. Ils inventent une bombe anatomique aux courbes somptueuses qui envoie Marilyn Monroe dans les cordes : elle s’appelle Jessica Rabbit, elle est mariée à un lapin star de cartoons. Ils font de Bob Hoskins un détective poivrot tout droit sorti des films noirs de Huston ou Hawks. Ils convoquent Betty Boop, Bugs Bunny, Dingo, Mickey et toutes les vedettes du dessin animé en un festival étourdissant, à la fois compilation et hommage à la grande époque d’Hollywood. Surtout, forts d’une virtuosité technique qui, aujourd’hui encore, laisse pantois, ils nous entraînent dans une aventure délirante qui ne laisse pas un instant de répit, déclenche le fou rire toutes les trente secondes, nous fait sauter dans notre fauteuil, envoie notre regard valser dans toutes les directions tant chaque image regorge d’imagination. J’ai beau avoir vu ce film un nombre incalculable de fois, j’y découvre toujours de nouveaux gags ou de nouvelles trouvailles. Face à un tel prodige, on se dit que, lorsque leur talent et leur inventivité ont les moyens qui suivent, les entertainers hollywoodiens écrasent toute concurrence.
16. RETOUR VERS LE FUTUR – Robert Zemeckis
Petit classique du genre, divertissement génial de charme et d'inventivité qui a marqué toute une génération de spectateurs. Moi, je l'ai découvert à la télé, très jeune, et depuis je me le suis souvent maté en boucle. On ne va pas faire un dessin, puisque tout le monde a vu ce film. Tout le monde a vibré aux aventures de Marty, propulsé dans le passé en DeLorean flamboyante, amené à rencontrer son ami le génial-timbré-attachant Doc pour qu'il le sorte de la galère dans laquelle il l'a fichu trente ans plus tard, à séduire malgré lui sa mère aussi jeune que lui, à pousser son père à rencontrer la femme de sa vie (parce qui sinon, il s'évapore à vue d'oeil), à choper la foudre qui lui permettra de repartir chez lui (l'aventure se poursuivra dans deux autres volets presque aussi bons)... Des dizaines de films ont, depuis, exploité le filon du zig-zag temporel délirant et tenté de retrouver l'esprit malicieux du film de Zemeckis ; aucun n'arrive la cheville du modèle.
Retour vers le Futur, c'est un concentré d'humour futé et de tendresse piquante, un film qui joue la carte de la distraction réjouissante en ne se départissant jamais d'une légèreté euphorisante. C'est un film qui détient une sorte de formule magique que le cinéma américain n'a jamais retrouvé depuis vingt ans. On ne s'en lasse pas.
17. ELEPHANT MAN – David Lynch
Mel Brooks, spectateur effaré d’
Eraserhead, offre à David Lynch la possibilité de toucher un plus large public sans rien céder de ses obsessions et de ses préoccupations artistiques : ce sera
Elephant man, le film le plus bouleversant jamais réalisé sur l’exclusion, la différence, la monstruosité (physique ou cachée) du genre humain. Avec un humanisme qui n’a qu’un égal dans l’histoire du cinéma (le mythique
Freaks de Tod Browning) et la proximité compassionnelle qui lui vaudra ses plus beaux films, Lynch restitue le cauchemar et le martyr d’un homme rabaissé par ses frères au rang de phénomène de foire, qui ne trouvera sa dignité qu’auprès d’un médecin conscient des trésors de sa sensibilité et de son intelligence. Dans une extraordinaire reconstitution industrielle de l’atmosphère victorienne, véhicule idéal pour toutes ses ambitions picturales, le cinéaste titille les zones les plus troubles de ce qui nous constitue (ce fameux champ de l’inconscient qu’il ne cessera de défricher par la suite), et touche au plus profond de nos perceptions de spectateur, interpellant les fondements même de notre humanité.
18. L’AVENTURE INTÉRIEURE – Joe Dante
L’un des fleurons du divertissement hollywoodien des années 80, et l’un des films qui ont bercé ma jeunesse. Modernisant et dynamisant le postulat génial du
Voyage fantastique, Joe Dante sort de son chapeau le genre de bijou magique dont il a le secret, boosté par l’énergie catalysante d’un formidable trio d’acteurs : Dennis Quaid en tête brûlée, Martin Short en hypocondriaque stressé et Meg Ryan en journaliste à croquer. Comme dans certaines autres grandes réussites de l’
entertainment ricain de cette époque, le film abat toutes les cartes d’un potentiel dramatique énorme, et gagne sur tous les tableaux. Ce n’est pas seulement une suspense fantastique dopé à l’humour burlesque si savoureux du cinéaste, pas seulement un fabuleux voyage organique aux grandioses péripéties infinitésimales (aaahhh... la scène où Tuck découvre son enfant dans le corps de sa chérie !), pas seulement une merveille d’inventivité scénaristique : c’est aussi ce qui se fait de plus subtilement touchant dans le registre de l’aventure initiatique, une formidable histoire d’amitié à travers laquelle le type le plus angoissé du monde, guidé et stimulé par une petite voix intérieure neutralisant ses inhibitions, apprend à devenir un héros.
19. RAGING BULL – Martin Scorsese
En gros plan, les poings s’abattent sur les visages et les corps, le sang et la sueur coulent, le son des coups qui pleuvent éclate aux oreilles, sourds comme si on les entendait dans sa tête. Jake La Motta s’agrippe à la corde, bras écartés comme un crucifié, réclamant le coup de grâce tel un supplicié dont la souffrance est le seul moyen de sortir de lui-même et d’atteindre une grâce que rien ni personne ne peut lui offrir. Miné par le désastre de
New York, New York et une vie intérieure torturée, Martin Scorsese met tout dans ce film, pensant que ce sera son dernier : plus tard, il dira que
Raging Bull lui a sauvé la vie. La quête tout à la fois physique et spirituelle de son héros joue simultanément sur le réaliste et le symbolique, et porte son débat au niveau d’une problématique mystique, plus précisément chrétienne : comme dans
Taxi Driver, c’est une véritable parabole sur les damnés de la terre, errant à la recherche de leur salut, que Scorsese compose ici. Quant à Robert De Niro, il accomplit une sorte de record du monde d’interprétation, en accord total avec la vision cinétique et viscérale de son réalisateur, conférant à son personnage d’animal enragé et tourmenté, aussi incapable de s’accommoder de l’exiguïté de sa cage que de s’en libérer, une puissance dévastatrice. Immense.
20. LA MOUCHE – David Cronenberg
Peut-être l’œuvre la plus emblématique et la plus populaire de son cinéaste, celle où il marie au mieux les questionnements viscéraux qui l’habitent à une sensibilité émotionnelle des plus poignantes. Préoccupé depuis toujours par la mutation des corps et le rapport entre chair et intellect (ici, c’est après son éveil physique et sexuel que le héros perce le mystère de la téléportation), Cronenberg s’éloigne de l’attitude d’entomologiste distant adoptée dans certains de ses précédents opus et prend le point de vue d’un homme conscient de sa dégradation physique et mentale pour explorer, à travers lui, certaines des peurs les plus profondes de notre âme. Cauchemar pénétrant parce qu’éminemment réaliste,
La Mouche file une métaphore saisissante sur la maladie, la solitude et l’angoisse de celui qui en souffre (selon son auteur, il s’agit ici de traiter de notre mortalité, de notre fragilité et de la tragédie des pertes humaines) en même temps qu’il s’attache à la vérité d’une magnifique histoire d’amour : assister à la dégénérescence de Seth sous les yeux impuissants de Veronica constitue une expérience des plus douloureuses et empathiques que le cinéma fantastique nous ait données.