Mise à jour, avec quelques sorties et surtout beaucoup d'entrées.
J'ai composé des paires, et en plus j'en ai composé 20, comme ça je me sens (un peu) moins torturé à l'idée d'en oublier.
Une décennie extrêmement riche, peut-être celle où j'ai vu le plus de films.
1.
Goodfellas &
Casino (Martin Scorsese)
En 1990,
Raging Bull est élu par l’AFI meilleur film américain des 80’s. L’immense Marty a déjà signé le chef-d’œuvre d’une décennie à peine entamée en plongeant dans le quotidien survolté d’une mafia dont la vanité se masque de piété et de respectabilité. Son agitation stérile traduit de façon triviale les excès, les transgressions, la réussite immorale d’une humanité pécheresse, au sens le plus profane du mot. Scorsese est au-delà du sermon : il fait un cinéma brut, sidérant de virtuosité, et laisse le souffle coupé par la maîtrise irrécusable de sa mise en scène, la sécheresse et la rigueur de sa vision, le rythme éruptif de son récit et de sa bande-son (un juke-box fiévreux) : chez lui, la réflexion, limpide, implacable, naît uniquement du sens de l’exécution. Cinq ans plus tard, le maître concentre tous les traits d’éclat de
Goodfellas dans ce pandémonium aux rutilances clinquantes qu’est Las Vegas, pour une nouvelle fresque flamboyante et kaléidoscopique au cœur de l’argent sale et du pouvoir vicié. La moindre scène est un morceau d’anthologie, le moindre plan une leçon de cinéma, l’arc des passions humaines dessine une allégorie du capitalisme et de ses mutations, l’amitié, l’amour, l’ambition, la trahison, le pouvoir y dressent l’éternel "rise-and-fall" d’hommes responsables de la chute du paradis qu’ils se sont forgés. Révérence et admiration absolues : ces deux films me laissent, par leur densité, leur souffle, leur amplitude artistique, absolument sans voix.
2.
The Thin Red Line (Terrence Malick) &
Eyes Wide Shut (Stanley Kubrick)
Deux géants aussi peu prolixes qu’écrasants de génie siègent sur le podium de ce palmarès, avec deux oeuvres longuement mûries, possédant la richesse et la plénitude des plus grands classiques. La première semble puiser sa splendeur éthérée de quelque espace-temps éloigné, inventer le cinéma à chaque plan, exprimer ce qui relève de l’indicible à travers une symphonie d’images contemplatives et fulgurantes. C’est un poème céleste au lyrisme incantatoire, un oratorio panthéiste qui fonde hommes et nature en une unité organique, où tout - corps, paysages et voix - semble résonner et briller pour la dernière fois. La seconde se concentre sur la chambre à coucher, haut lieu de fantasmes, et, à partir d’une simple confession, orchestre une dérive hypnotique aux confins du mystère conjugal : avec un perfectionnisme souverain, Kubrick, dont l’inquiétude existentialiste s’ouvre pour une fois à la possibilité du bonheur, signe son œuvre la plus intimiste, peut-être la plus personnelle, interrogation dédaléenne sur les fondements du désir, de la confiance et de la fidélité.
3.
Twin Peaks : Fire Walk with Me &
Lost Highway (David Lynch)
Laura Palmer, son innocence perdue, ses terreurs adolescentes, ses abîmes de détresse dans la petite ville de Twin Peaks, gangrenée par des perversions et des pulsions incontrôlables. Ce que Lynch traque à travers ses strates multiples de mondes et de narrations, c’est la lumière au-delà des ténèbres, la grâce tout au bout de la fureur, cet instant ultime où les anges, un instant sortis du tableau, redonnent le sourire à son inoubliable héroïne, en route vers un "World in blue" cosmique. Dès lors, les films de Lynch pénètrent dans le monde adulte. Éclairées par les faisceaux des phares qu’accompagne la voix inquiète de Bowie, les bandes jaunes de la
Lost Highway dessinent une circularité infinie, la fuite mentale d’un homme cherchant à oublier la mort de son couple, et se perdant du même coup dans le labyrinthe d’une conscience qu’il refuse d’assumer : "Je est un autre". Les fulgurances inouïes de l’expérience sensorielle proposée ici par Lynch dressent rien moins qu’une hypothèse qui, onze ans après, demeure celle du cinéma de demain. L’apaisement lumineux de
The Straight Story est là aussi, tout près, méritant une place dans ce palmarès trop court.
4.
Edward Scissorhands &
Batman Returns (Tim Burton)
Les plus beaux titres d’un suite royale (j’aurais pu ajouter
Ed Wood) imposant l’univers magique de son auteur. "Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur", son Edward chuchote, avec la douceur d’un flocon, la beauté des laids, leur besoin d’affection, la noirceur des banlieues pastels : fort d’une palette délicate et subtile, Burton nourrit le conte d’un merveilleux éperdu, mêlé d’une cruauté qui fend le cœur, et rejoint sans coup férir l’éternité des légendes. Le film possède aujourd’hui l’envergure d’un classique hors du temps. Deux ans plus tard, le cinéma de Burton, toujours aussi singulier, est travaillé par des forces tourmentées, ravageant de l’intérieur le spectacle hollywoodien qu’il fait mine de servir. Ses héros y sont des êtres malades, poignants, sexués, pathétiques, son inspiration rend grâce aux humiliés et aux déviants, aux ombres gothiques et aux divagations inquiétantes, creuse les fêlures et l’altérité d’une humanité souffrante, et porte à son zénith une poésie mélancolique sans équivalent. Chef-d’œuvre subjectif absolu - et Eros d’Or pour l’ensorcelante Michelle.
5.
Unforgiven &
The Bridges of Madison County (Clint Eastwood)
Dans
Unforgiven, Eastwood est un fantôme réveillé par le souvenir des morts, un anti-héros porté par une stature de légende, à l’image de l’Amérique qu’il dépeint, cet Ouest mythique qui n’est finalement qu’une rumeur, un territoire magnifique où la colère de la nuit alterne avec la sérénité des grands espaces, et où l’inéluctabilité de la violence et de la vengeance transforme le genre en ode à la fois furieuse et mélancolique. Dans
The Bridges of Madison County, Eastwood est un homme foudroyé par la passion, celle qu’il partage, l’espace de quelques jours, avec une femme qui choisira de ne pas le suivre pour mieux préserver l’éternité de son souvenir. Inscrite dans le souffle du vent, la poussière dansante, le soleil rasant, cette idylle déchirante, étourdissante de délicatesse et de sensibilité, est de celle qui accompagne une vie de cinéphile. Eastwood est un assassin : en trois ans, il a tué le western et le mélodrame en leur offrant leurs plus beaux fleurons.
6.
Carlito's Way &
Mission : Impossible (Brian De Palma)
Ancien brigand rangé des affaires mais rattrapé par son passé, Carlito est bien décidé à trouver sa rédemption, filmée comme une course haletante contre la fatalité. A tous les niveaux, le film, sans doute le plus beau et émouvant de De Palma, tutoie le sublime : il revêt les accents d’une tragédie bouleversante, les frémissements d’une magnifique histoire d’amour, le brio d’une caméra multipliant les exploits (la dernière demi-heure, à tomber). Résultat : les larmes pour le spectateur, un échec commercial pour le cinéaste. Alors celui-ci se refait une santé financière, sans céder un pouce de son intégrité artistique. Son
Mission : Impossible nous perd dans un dédale d’images trompeuses et d’apparences faussées, suivant le fil d’Ariane d’un homme à la recherche du père spirituel qui l’a trahi. Démontage virtuose de la manipulation cinématographique, où la théorie est transcendée par l’adresse suprême de la forme et l’excitation folle qu’elle procure - pur instinct de jeu titillé par un montage, des cadrages ultra-brillants, et par la partition exaltée de Danny Elfman. Voilà la définition même de la jubilation. Brian, comment tu fais pour être un génie ?
7.
Thelma and Louise (Ridley Scott) &
J.F.K. Project (Oliver Stone)
Deux films qui me sont très chers, sans doute parce que je les ai découvert - et adoré - à une époque où ma découverte du cinéma en était à ses balbutiements. Je suis profondément épris des héroïnes incarnées avec flamboyance par Geena Davis et Susan Sarandon, embarquées dans une cavale éperdue vers la liberté, soleil mexicain en ligne de mire et horizon bouché de petites vies rangées dans le rétroviseur. Il y a dans les images de Ridley Scott, magnifiées par la musique de Hans Zimmer, une euphorie de la dernière fois qui me touche profondément. Le film-dossier d’Oliver Stone (de très loin son plus réussi) témoigne quant à lui d’une maîtrise, d’une efficacité et d’une puissance fiévreuse que j’ai rarement connu devant un écran. A travers ces trois heures d’enquête passionnante, foisonnement convulsif d’hypothèses, de recoupements, d’extrapolations, se dessine une quête de vérité portée par un souffle rageur, viscéral, qui transporte puissamment.
8.
Pulp Fiction &
Jackie Brown (Quentin Tarantino)
Uma Thurman et John Travolta se trémoussant sur la voix de Chuck Berry, Bruce Willis en tendre brute risquant sa vie pour récupérer sa montre, Samuel L. Jackson soudainement illuminé, comprenant le sens des versets qu’il récite à chaque nouveau meurtre... : près de deux heures et demie de nectar sur grand écran. Avec un sens insolent de la narration, du casting, de la rythmique musicale, Tarantino transforme la réussite fulgurante de
Reservoir Dogs et offre l’une des œuvres les plus emblématiques du cinéma contemporain. Dans
Jackie Brown, sans doute son meilleur film, il ralentit la course et regarde ses personnages vieillir, sur les pas d’une héroïne magnifique en passe de doubler tout le monde, flics et truands, avec la complicité amoureuse d’un type un peu comme elle, le plus loser des princes charmants. Tout entier dévoué à ses personnages, son cinéma acquiert une indolence nostalgique au tempo décontracté, une épaisseur romanesque et sentimentale infiniment précieuse. Les opus suivants, marqués par une régression adolescente et fétichiste, me touchent beaucoup moins.
9.
Fargo &
The Big Lebowski (Joel & Ethan Coen)
Décennie féconde pour la fratrie surdouée du cinéma américain, qui a accouché là de ses plus beaux bébés. Quels films choisir entre pas moins de quatre pures merveilles ? Avec une pensée très affectueuse pour
Miller’s Crossing et
Barton Fink, je m’arrête sur
Fargo, qui orchestre la collusion entre l’univers vide d’un Beckett et une fiction noire archétypale, et pose un regard aussi curieux qu’affligé sur la stupidité de l’Amérique profonde ordinaire. Une trace de sang s’écoule lentement sur la neige immaculée, et c’est toute la dimension absurde et tragique d’un fait divers banal qui crève l’écran. Un an plus tard, les frangins suivent avec une délectation communicative les pérégrinations du Dude et de ses amis et se rendent comptables d’un film-culte que je peux revoir aujourd’hui en boucle, en me régalant de ses péripéties drolatiques, de son ton mi-burlesque, mi-nostalgique et de ses personnages si savoureusement colorés.
10.
Heat &
The Insider (Michael Mann)
Styliste hors pair, grand inventeur de formes, Michael Mann tient une place unique dans le cinéma américain, assumant l’héritage d’un certain classicisme hollywoodien tout en perfectionnant sans cesse un ton singulier, entre lyrisme mélancolique et tension latente. Avec
Heat, il s’impose comme l’un des grands cinéastes urbains de notre époque, et fait de l’affrontement épique entre ses héros une élégie crépusculaire. Contemplation et accélération narrative, partis pris plastiques aux frontières de l’abstraction, psychologie complexe de personnages perclus d’ardeurs et de doutes : on retrouve les composantes de ce cinéma précieux dans
The Insider, film d’investigation d’une densité et d’une intensité folles, où la vision engagée et amère du réalisateur est sublimée par la féerie noire que s’autorise la caméra, toujours au cœur du cyclone individuel de deux hommes se battant contre le lobby médiatico-industriel pour faire éclater la vérité, au risque de tout perdre.
11.
Groundhog Day (Harold Ramis) &
The Truman Show (Peter Weir)
L’exploitation d’un postulat génial s’avère souvent décevante, le scénario épuisant la plupart du temps très vite ses cartouches. Ici, on ne se contente pas de tirer tout le potentiel dramatique des situations, on en fait le catalyseur d’un parcours initiatique profondément émouvant. L’antipathique Phil Connors apprendra à devenir un homme bien, et à faire de sa journée revécue en boucle un geste sincère d’altruisme et de générosité. Un bijou digne de Capra, après lequel on ne peut plus entendre le
I got you babe de Sonny and Cher sans s’esclaffer. Truman, quant à lui, prendra conscience de la prison cathodique que constitue son existence, et parviendra à s’en échapper. Weir développe des pistes vertigineuses, aux implications métaphysiques, et invente des images que l’on ne peut oublier – Cristof/Dieu allumant le soleil comme une lampe de chevet, bateau arrivé au bout du monde et heurtant l’horizon...
12.
The Player &
Short Cuts (Robert Altman)
Doublé gagnant pour Altman au début de la décennie : coup sur coup, le plus satirique des cinéastes américains se hisse à des hauteurs d’intelligence et de virtuosité que le commun de ses pairs n’a jamais pu ne serait-ce qu’approcher. Première cible : Hollywood, ses stars du cru, sa vanité, son culte de l’apparence, épinglés à travers une sorte de polar au vitriol, un jeu de massacre décapant et corrosif, qui souligne à chaque instant les rapports entre vérité et mensonge, réalité et reconstitution (le film, véritable spirale, s’achève sur une mise en abyme proprement démentielle). Seconde cible : l’Amérique WASP, dont le cinéaste dresse un tableau désenchanté, global mais fragmenté, une mosaïque tragique, cocasse, dérisoire, une polyphonie grouillante de frustrations, de folies quotidiennes et de solitudes, qui réduit la narration en poussière. Altman vainqueur par K.O.
13.
Van Gogh &
Le Garçu (Maurice Pialat)
Pialat est peut-être, avec Resnais, le plus grand réalisateur français de la seconde moitié du siècle. Cinéma écorché de fragments et d’éclats bruts, dans lequel la vie s’engouffre en bouffées suffocantes de fièvre et d’authenticité. Ce chaos dompté, on le retrouve dans le portrait tumultueux de Van Gogh, à la croisée du naturalisme et de l’impressionnisme, où des tableaux renoiriens de climats champêtres succèdent aux instants de doute, de remords, d’enthousiasme d’un être épuisé par un trop-plein de vie intérieure. Il palpite également dans le dernier film du cinéaste, magnifique interrogation sur la filiation, la paternité, la famille recomposée, qui charrie de puissants blocs d’humanité dans toute sa tendresse et sa cruauté, et qui renvoie l’essentiel du cinéma français dans la catégorie des gentils simulacres.
14.
The Dead Man (Jim Jarmusch) &
New Rose Hotel (Abel Ferrara)
D’un côté, l’Ouest américain icônisé par des décennies de westerns mais réinventé de fond en comble par le regard ironique et surréaliste de Jarmusch. De l’autre, les machinations occultes de l’espionnage industriel en pleine mégalopole japonaise : Ferrara adaptant la prose cyberpunk de William Gibson. Deux œuvres hors norme qui, chacune à leur manière, donnent forme et beauté à une biochimie mentale inexplorée. Celle d’un comptable hagard pris pour un poète, vivant son dernier instant en une lancinante et hypnotique promenade avec la mort. Celle d’un espion torturé qui, pris dans la toile évanescente de ses souvenirs et de sa mémoire, ressasse l’histoire d’amour qu’il vécut avec l’envoûtante Asia Argento. Onirisme rimbaldien contre abstraction romantique, émotion au zénith dans les deux cas.
15.
Mononoke Hime (Hayao Miyazaki) &
Toy Story 2 (John Lasseter)
Des fulgurantes visions panthéistes de Miyazaki aux péripéties délirantes de Lasseter, la même faculté à émerveiller, faire vibrer la fibre émotionnelle, stimuler l’imaginaire et la réflexion. Lorsque le maître nippon marie le féerique et l’épique, télescope des enjeux shakespeariens à des préoccupations écologiques et imagine un univers mytho-animiste hallucinant de profusion et d’invention graphique, le génial créateur de Pixar entraîne ses jouets solidaires dans une sarabande endiablée, régal de tendresse, de rythme et de drôlerie, qui dit avec autant de justesse que de légèreté mille choses bien senties sur le sens de la vie, la fidélité, l’amitié. Difficile de recenser toutes les raisons de s’ébahir devant ces deux joyaux qui portent à son sommet le cinéma d’animation.
16.
Underground (Emir Kusturica) &
Breaking the Waves (Lars von Trier)
Séquence européenne du classement. Où les outrances carnavalesques de Kusturica rejoignent l'audace - ou la naïveté absolue, c'est selon - de von Trier. On peut être irrité par la façon dont le premier envoie tout valdinguer pour exprimer la folie qui s'est emparé de son pays, et par celle dont le deuxième ne nous épargne rien du chemin de croix de son héroïne, jusqu'au mysticisme chrétien de sa conclusion. Mais c'est justement ce jusqu'au-boutisme qui fait la valeur des deux films. Kustu, loin d'accuser, monte un réquisitoire en faveur de l'humanité toute entière ; Von Trier sublime l'innocence et la bonté d'une femme plus forte que l'hypocrisie et l'intolérance du monde qui l'entoure. Je suis client, plutôt deux fois qu'une.
17.
Titanic (James Cameron) &
The Blair Witch Project (Daniel Myrick & Eduardo Sanchez)
Parce qu'entre un film qui fut un temps le plus cher du cinéma et un autre qui coûta le prix d'une voiture neuve, il existe un point commun essentiel : la capacité à faire du cinéma qui imprime la mémoire. Certes, peu de choses pourtant réunissent le spectacle grandiose offert par Cameron et le cauchemar tétanisant vécu au plus profond d’un bois du Maryland. Reste que je me souviendrai toujours de la magie et de l'ampleur de
Titanic, de sa puissance romanesque, de ses tableaux d'apocalypse, et de la façon dont Cameron, au cœur du tumulte, parvient à faire communion intime avec son histoire et ses personnages. Tout comme les hurlements des héros de
Blair Witch, l'efficacité paralysante avec laquelle le film chauffe à blanc les plus vieilles terreurs du noir, de la forêt hantée, de l'inconnu, m'ont traumatisé à vie.
18.
The Godfather, Part 3 (Francis Ford Coppola) &
Husbands and Wives (Woody Allen)
Deux des plus grands cinéastes américains de leur génération au sommet de leur art. Après avoir longtemps traîné les pieds, Coppola achève la saga mythique en lui conférant le poids du temps passé, des regrets exprimés, d'un fatum auquel son héros tente en vain d’échapper : ce troisième volet est un somptueux opéra funèbre de larmes, de cris et de sang, dont la douleur lancinante s'estompe comme dans un souffle. Woody dresse son bilan conjugal au travers d'un journal intime poignant d'impudeur et de vérité. Sa caméra, qui n'a jamais été aussi frénétique, traque mensonges, secrets et amertumes d'un couple qui semble synthétiser quinze ans de questionnements artistiques. Dernier film avec Mia Farrow, une page se tourne.
19.
Les Patriotes (Éric Rochant) &
La Cérémonie (Claude Chabrol)
Parce que, hormis Pialat, le cinéma français n'est pas assez représenté dans ce top, et que ces deux merveilles comptent parmi les plus admirables fleurons de la décennie. Rochant, pris d'une ambition assez incroyable, signe une passionnante plongée dans les dessous opaques des services de renseignement israéliens, et stimule la plus profonde des réflexions sur l'engagement, la responsabilité et les compromissions entre morale individuelle et raison d'état. Chabrol, quant à lui, orchestre, en lui infusant la tension souterraine d’une bombe à retardement, la mise à mort de la bourgeoisie par une classe soumise qui, sans prévenir, se révolte. Sous l'oeil affûté et ironique du cinéaste, le jeu de massacre revêt une inéluctabilité glaçante, qui fait très mal.
20.
Die Hard with a Vengeance (John McTiernan) &
The Usual Suspects (Bryan Singer)
Mention Grand luxe du cinéma de jouissance pure, où le divertissement accède à une certaine forme d'art majeur. Dans les scansions viscérales de la caméra de McTiernan, bien décidé à enterrer à lui tout seul le film d'action : Willis/McClane, embarqué dans un duo savoureux avec Jackson, y est le cobaye endurant et obstiné d’un Jeremy Irons qui prend New York comme terrain de jeu. Dans la manipulation machiavélique orchestrée par l'insaisissable Keyser Soze : Bryan Singer parvient à toucher du doigt la dimension la plus ludique, la plus excitante du cinéma. Je bois ça comme du petit lait, et je me le remate une fois tous les six mois, juste pour me rappeler le sens du mot jubilation.
Et bien sûr toujours un peu de rab’ parce que c’est trop injuste. 10 superbes films supplémentaires qui mériteraient aussi de figurer dans ce top :
Contact (Robert Zemeckis)
Crash (David Cronenberg)
Dracula (Francis Ford Coppola)
Ed Wood (Tim Burton)
Festen (Thomas Vinterberg)
Miller’s Crossing (Joel & Ethan Coen)
Reservoir Dogs (Quentin Tarantino)
Starship Troopers (Paul Verhoeven)
The Straight Story (David Lynch)
Todo so mi Madre (Pedro Almodovar)