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MessagePosté: 11 Déc 2014, 01:03 
J'ai aussi envie de défendre ce film. Il semble néanmoins très proche de deux films récents qui sans doute l'ont concurrencé:
-Gone Girl. Les couples sont typés de la même manière, dans une situation exactement inverse mais de même valeur: au lieu de mettre en scène un faux meurtre, d'enfermer l'autre dans un culpabilité sans objet, qui est la forme la plus proche de l'amour éternel que leur réussite matérel leur permet, ils parviennent à dissimuler leur autodestruction: la fadeur rancie de leur vie sentimentale leur sert alors d' alibi . Les deux films ont aussi l'air d'être adapté du même genre de livre.
- Boyhood . Là aussi avec un renversement qui conserve le cadre général: les parents de Boyhood prenaient un peu de recul sur la partie la plus fragile de la classe moyenne et menaient à moitié contraints une vie itinérante justement pour maintenir intact leur autorités parentale et leur ancrage social: là ils ne bougent pas de leur villa-bungalow, préservent une position qu'ils n'aiment pas et se liquifient. La fille , au contraire du personnage de Boyhood, qui restait toujours "le fils dont les chances ont été préservées", devient la mère de ses parents, brillante mais déjà consciente au bout de six mois de l'absurdité de Berkeley , plus elle réussira lus elle sera ramenée vers son milieu de départ . L'intrigue de White Bird n'est pas si loin du passage de Boyhood situé chez le premier beau-père.

Pendant une heure, quand il s'attache à l'effort de la jeune fille pour vivre, le film est proche d'un chef d'oeuvre, cela pourrait être le Rayon Vert de Rohmer revu par Murnau et Sirk (ou Richard Kelly). Malheureusement la fin, avec le passage vers une ntrigue policière aussi artificiellement contournée qu'un épisode de Barnaby(même impression que le spectateur est placé dans un sadisme par procuration -à la fois juge, psy, confesseur, mémorialiste et jaloux du coupable), laisse un goût amer. Le père est aux yeux de sa fille un paumé médiocre mais émouvant, puis aux yeux du spectateur un meurtrier intelligent, avec une raison (à la fois l'amour blessé et le refus de l'humiliation), maître du récit depuis le début.
J'aurais aimé qu'il défende plus le personnage de Kat: sa maturité et sa lucidité envers les culs-de sac et hypocrisies de la classe moyenne, sa magninité en amours, son ambition de défendre sa sexualité en construisant une éthique exigeante sans l'imposer à l'autre ne lui servent en fait à rien: elle est aveugle et n'a rien compris de ce que tout le monde lui dit depuis le début (même ses deux potes, qui ont tout compris sans avoir été impliqués, peu vraisemblable). Elle est défaite mais c'est un très beau personnage. Shailene Woodley et Eva Greene sont très bonnes. Le jeu expressionniste de cette dernière(elle reprend les attitudes de Dark Shadows dans un contexte pavillionnaire) sert le personnage. Formellement les flashes où la fille se revoit petite fille jouant avec sa mère son très beaux.

Il y a quand-même une étrangeté politique dans le film: il est mélancolique (deux fois: par son histoire qui enferme tout le monde, où la lucidité est un facteur de dépérissement, et par son rapport à la fin des eighties et le début nineties, on pense à Donnie Darko -même type de BO-, mais aussi en BD à "Je ne t'ai Jamais aimé" de Chester Brown sans maladie voire un "Black Hole" sans contagion), mais cette mélancolie n'est pas amenée par les impasses amoureuses, l'absurdité et la solitude de la vie pavillionnaire; elle est (comme dans Gone Girl: les deux personnages de flics sont des versant masculins et féminins de la même attitude: séduit par ceux qu'ils surveillent et inculpent) amenée par le regard de la police sur cette morosité et cette impuissance politique. Cette impuissance est le motif non pas d'une révolte, mais d'une alternative: tuer ou partir.
La critique sociale se retrouve finalement absorbée par la police, en tant qu'elle est elle-même une fonction en crise, souffrante et réflexive. L'écart et la complémentarité entre critique et police est du même ordre que ce qui existe sur un second plan entre la sexualité et le deuil : Cat parvient à assumer très vite ses choix, à dépasser la médiocrité et l'hypocrisie de son milieu, de manière émouvante, mais cette réalisation débouche ensuite directement sur la peur et le deuil: "the Future bores Me". Elle a déjà consommé sa liberté.
Pourtant il y avait quelque chose à explorer: elle avait compris sa mère, compris qu'elle avait été éteinte sexuellement, mais cette compréhension et sa compassion envers elle étaient déjà un forme de deuil anticipéee, exercée du vivant de la personne. Mais par contre son père et son copain n'étaient pas ce qu'elle savait d'eux: l'altérite du genre et la pulsion sexuelle sont avancées non pas comme des friches, mais de manière mélancolique comme des explications dont le contenu est déjà connnu depuis trop longtemps, même par les adolescents: comme si le deuil avait remplacé directement l'âge adulte et la maturité sexuelle. La sexualité, vu du point de vue d'un mourant n'a qu'une valeur symbolique, on ne la conserve pas, elle ne laisse pas de trace, mais elle est une clé expliquant le reste, qui est le réel. Par contre la police a une fonction qui est morale, c'est qui est identique dans le réel et dans l'ordre symbolique, et c'est elle qui a le dernier mot: le film ne donne finalement du poids qu'à ce qui peut être jugé, et la sexualité en est exclue. Le film est étrangement puritain, je ne suis pas sûr d'apprécier le monde qu'il met en place, pris dans sa totalité, mais les personnages qu'il y enferme avant de les abandonner, oui.


Dernière édition par Gontrand le 11 Déc 2014, 01:49, édité 2 fois.

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MessagePosté: 11 Déc 2014, 01:26 
Caribou a écrit:
Je suis en train de lire le roman, le film en représente une réelle amélioration, ce qui permet d'en revoir (encore) la valeur à la hausse.
Un passage intéressant au premier tiers du livre:

Citation:
Sauf que je n’ai pas l’impression qu’il y ait vraiment de sombre mystère à déterrer.
J’ai essayé.
Un nombre incalculable de fois.
Nuit après nuit.
Il doit bien y avoir une raison pour que je ne ressente rien.
Il n’est pas possible que je ne ressente rien, tout simplement.
C’est sûr que je suis, moi aussi, délicieusement torturée. Je suis sensible. Je suis gentille. Je suis sans aucun doute victime de quelque chose. Il y a quelque chose. Je ne peux pas être complètement dépourvue de sentiments, si ? Je dois être malade, alors. Les malades sont partout. Des livres, des programmes de télévision, des industries entières leur sont consacrés – des magazines sont créés pour eux, ainsi que des lignes spéciales pour qu’ils appellent au secours, ou même des aimants aux slogans encourageants pour coller à leurs réfrigérateurs. Ils nous cernent, ils nous aiment trop, ils pleurent de vraies larmes, ils confessent leurs péchés et sont pardonnés.
Mais il n’existe pas de programme en douze étapes pour les gens qui sont égoïstes, sans cœur ou superficiels, comme semblent pourtant l’être la plupart des gens. Il n’y a pas de films du lundi soir qui racontent des histoires de filles qui n’ont aucun problème.
Les filles, dans les films du lundi soir, sont fragiles, elles ont de grands yeux, elles sont trop sensibles pour notre monde, et toutes les mauvaises choses qui leur arrivent les soucient beaucoup. Elles ont la beauté que donne la souffrance subie. On voit toujours leurs clavicules sous leurs robes fines, et une ombre sombre se forme au creux de leur cou. 


"Les soucient"? Franchement.


La scène avec le flic est en effet réussie (même si les Cahiers n'ont rien trouvé de mieux, en guise de critique, que de la raconter : "attention film mineur mais par moments non sans subtilité, peut-être récurrente chez cet auteur: la preuve, je vais vous la fournir"), mais j'imagine que dans le bouquin elle risque de se prêter à une imagerie normative à la "50 shades of Grey"?


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MessagePosté: 29 Jan 2015, 12:54 
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Mickey Willis a écrit:
Effectivement, je me suis un peu retrouvé dans Nowhere dans l'ambiance du film, avec son côté un peu planant. Araki c'est un peu étrange, c'est une sorte de valeur sûre chez moi alors que comme l'a souligne Karloff il y'a pas mal d'éléments ici par exemple qui peuvent faire peur: des perso secondaires balayés et caricaturaux, peur de voir un énième film banal sur la crise d'adolescence, l'éclatement de la structure parentale etc. Il s'attaque frontalement à des thèmes déjà usés, avec des personnages que l'on semble déjà connaitre par coeur.

Mais Araki a ce truc qui arrive à m'atteindre à chaque fois, et en baignant son film dans une douce ambiance rétro et New Wave qui le caractérise très bien il nous donne l'impression de parler de son adolescence à lui, et il est capable d'en restituer des choses intimes de façon extrêmement juste et pertinente. Lorsque le film démarre sur un morceau des Cocteau Twins j'étais déjà conquis et j'avais même l'impression qu'il s'adressait directement à moi, et on ne quitte finalement jamais cette sensation, cet espèce de mélange de doux spleen inquiétant mais confortable à la fois, de perte de repère et de quête de liberté.

Finalement outre Nowhere et même Kaboom dans l'ambiance, le film se rapproche surtout de
Mysterious Skin sur tout ce qui concerne l'évacuation inconsciente d'un traumatisme jusqu'à sa négation et l'incidence que l’événement aura sur l'accomplissement de l'adolescence du personnage.


Je suis finalement sorti de la séance en continuant de baigner dans l'ambiance du film pendant une bonne heure, et c'est typiquement le genre de sensation que j'attends du cinéma d'Araki, et ce qui fait que ses films me parlent à chaque fois.

5/6


Tout à fait d'accord. Un chouia déçu après le film mais quelques jours après sa vision il me reste en tête des images très fortes. Dans la filmo d'Araki, je place Mysterious Skin sur la plus haute marche et viens ensuite Kaboom, White Bird est juste derrière. Même si l'univers du film a été maintes fois exploré dans des séries ou films US, ce qui donne un petit air de déjà-vu dans la première moitié, Araki creuse le sillon plus en profondeur et arrive à insuffler son habituelle douceur. Et je trouve que c'est un film qui gagne sur la longueur, plus on avance, plus on s'attache aux protagonistes et les thématiques gagnent en profondeur (passage à l'âge adulte, déni de l'acte, éveil à la sexualité).

Et le casting ne rend le film que plus intense. Plus que Shailene woodley qui est très bien, je suis vraiment impressionné par l'acteur qui joue le père et Eva Green. Il y a des scènes que je trouve magnifiques rien que par leur présence : le moment en voiture où il avoue à sa fille qu'il a débuté une nouvelle relation, la fin dans l'aéroport ou la fameuse révélation finale où l'expression et le rire d'Eva Green me restent en tête. Très peu de temps à l'écran mais tout bonnement formidable, c'est pour moi son plus beau rôle. Une petite mention sur la scène géniale de Shailene Woodley et du flic.

Sur l'intrigue en soit-même, sa résolution n'a aucune importance, elle est évidente après coup. Le vrai tour de force d'Araki c'est d'hypnotiser le spectateur et de lui faire vivre ce déni. En soit, je ne trouve pas que le fait qu'on nous révèle l'énigme soit problématique, ça offre tout d'abord une scène de fin intense et beaucoup plus d'impact aux scènes du père. Sur cette fin qui est totalement différente de celle du livre, je trouve le choix d'Araki excellent
le fait qu'Eva Green surprenne au lit son mari avec le petit ami de Shailene Woodley ne fait que rajouter dans le côté pathétique et frustrant de cette vie de couple tandis qu'on se serait dirigé vers une banale et prévisible histoire de femme qui trompe son mari
Plus qu'un film sur le déni et sur le passage adulte, White bird trace en filigrane le passionnant portrait d'un couple qui se désagrège et se dirige vers l'échec inéluctable.


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MessagePosté: 29 Jan 2015, 13:02 
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Gontrand a écrit:

Le père est aux yeux de sa fille un paumé médiocre mais émouvant, puis aux yeux du spectateur un meurtrier intelligent, avec une raison (à la fois l'amour blessé et le refus de l'humiliation), maître du récit depuis le début.


Intelligent je ne suis pas sur. Pour moi un être dépassé par ses pulsions. Du point de vue du couple, on peut voir tout le film comme la conséquence d'une situation qu'ils ont laissé pourrir durant des années.

Gontrand a écrit:
Le film est étrangement puritain, je ne suis pas sûr d'apprécier le monde qu'il met en place, pris dans sa totalité, mais les personnages qu'il y enferme avant de les abandonner, oui.


Puritain, je ne sais pas, par contre tout ce que tu dis par la suite est très juste. Et j'ai lu tes deux gros pavés, lire ton analyse du film est un pur régal.


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