A propos de "Laterna Magica" et Bergman
Remettons les choses au clair - je ne vais pas rentrer dans le débat sur l'idéologie de Bergman homme, juger s'il est progressiste ou le meilleur pote de Finkielkraut... ou de je ne sais qui d'autre... ni si Ceylan est plus ou moins progressiste que Bergman - ils ne sont tout simplement pas contemporain l'un de l'autre.
Par contre, à propos de Kreuzberg, transformer :
Ingmar Bergman dans "Laterna Magica a écrit:
"C'est une ville fantomatique, rien ici n'a été réparé depuis la guerre. Les façades portent encore les traces des grenades et des rafales de mitrailleuses, on a déblayé les ruines des maisons bombardées, mais les terrains vagues s'ouvrent comme des plaies infectées entre les blocs gris des pâtés de maisons. Les enseignes sont en langue étrangère. Plus un seul allemand n'habite dans cette partie de ce qui était jadis, la fière capitale du Reich. Quelqu'un a dit qu'une maison peut devenir une arme mortelle. Je comprends tout à coup le sens de cette rhétorique révolutionnaire. Ces immeubles regorgent d'étrangers, des enfants jouent dans les cours, les détritus puent dans cette chaleur, les rues sont mal entretenues, on a rapiécé la chaussée, juste le strict nécessaire.
Je suis persuadé qu'une autorité veille sur cette tumeur cancéreuse qui ronge le dos de l'opulent Berlin-Ouest. Il existe certainement assez d'organismes sociaux et de système de sécurité pour que personne n'ait à en souffrir et puisse ainsi gêner la conscience allemande et la haine raciale à peine apaisée. Le message est clair : ces salauds vivent quand même mieux ici qu'ils ne pourraient le faire chez eux. Banhof Zoo est le point de rencontre des jeunes drogués et de temps en temps, quelques descentes de police, bien ordonnés, viennent les disperser.
Je n'ai jamais senti une misère physique et morale aussi ouvertement étalée. Les Allemands ne la voient pas ou s'ils la voient ils deviennent furieux : il devrait exister des camps pour ces gens-là. Kreuzberg répond à un calcul aussi simple que cynique : si l'ennemi de l'autre côté du mur veut entrer à l'Ouest, il faudra qu'il se fraye d'abord un chemin à coups de fusil à travers des corps qui ne sont pas allemands."
en
Gontrand a écrit:
Il décrit les immigrés de façon complètement phobique, et leur présence ne se justifie à ses yeux que comme buffer entre Berlin Est et l'occident en cas d'invasion russe, à massacrer en premier lieu.
c'est soit de la lecture en diagonale, soit une très mauvaise lecture de ce que Bergman est en train de dire.
Bergman critique le rapport des allemands et de l'état allemand à Kreuzberg, tel qu'il l'imagine. Il pense cette position cynique.
Et de la même façon, par rapport à Berlin :
Ingmar Bergman dans "Laterna Magica a écrit:
La nuit dans mes rêves, je suis souvent à Berlin. Il ne s'agit pas du vrai Berlin mais d'une mise en scène : une ville écrasante, dont on ne voit pas la fin, avec des églises, des statues, des bâtiments monumentaux couverts de suie. J'erre au milieu de ce traffic qui n'arrête pas de déferler, tout m'est inconnu et pourtant tout m'est familier. J'éprouve à la fois de la terreur et du plaisir et je sais assez bien où je vais : je cherche les quartiers de l'autre côté des ponts, cette partie de la ville où il va se passer quelque chose. Je monte une côte très raide, un avion passe, menaçant, entre les maisons, enfin j'arrive au fleuve. De l'eau coule sur le trottoir; avec une grue on remonte un cheval mort, grand comme une baleine. (.....) Trois fois, j'ai tenté de donner forme à la ville de mon rêve (...) Ma dernière tentative, ce fut L'Oeuf du serpent. Son échec artistique est essentiellement dû au fait que j'ai appelé cette ville Berlin et que j'ai décidé que l'action se déroulerait dans les années 20. C'était aussi irréfléchi que bête de ma part. Si j'avais donné forme à la Ville de mon rêve, la Ville qui n'existe pas (....) j'aurais introduit les spectateurs dans un monde étranger, mais secrètement familier. (...) Dans l'Oeuf du serpent, je me suis engagé dans un Berlin que personne ne reconnaissait, même pas moi.
devient
Gontrand a écrit:
qu'il présente comme son "plus conscient effort" de cerner son imaginaire onirique, comme par exemple Fellini l'a fait pour Rome et Rimini (pour lui l'archétype de la Ville par excellence, dans l'histoire, les valeurs culturelles comme dans ses rêves , c'est le Berlin de cette époque)
Faut juste pas lui faire dire ce qu'il n'a pas dit.
Autant je trouve ça potentiellement intéressant de réfléchir sur les rapports (que je trouve excessivement complexes) que Bergman met en scène, entre homme/femme, femme/femme, et de distinguer les rapprochements et les liens avec Ceylan autant je ne vois pas l'intérêt d'étayer une thèse selon laquelle l'homme était un misogyne fasciste archaïque manichéen... surtout en prenant appui sur une lecture erronée de ses propres mots
et finalement :
Gontrand a écrit:
il décrit de la même manière la scène théâtrale, le salon de la maison d'enfance, les maladies d'enfance et la chambre noire, les défilés de Nuremberg, et la ville elle-même, comme si c'étaient là les variantes d'un seul et même dispositif fondamental.
tu veux dire que c'est le même homme qui parle de toute ces choses? Un peu comme dans ses films, où il parle de l'homme comme il parle de la femme comme il parle de l'enfance comme il parle de la violence comme il parle du théatre comme il parle de la mort comme il parle de l'amour comme il parle de la foi comme il parle du cinéma comme il parle du désir comme il parle du vent comme d'un seul même et dispositif fondamental ?
Ce qui m'ennuie, c'est que j'ai l'impression que tu essayes de délégitimiser le cinéma de Bergman au nom d'une idéologie et d'une analyse pour le moins partielle, à la fois de son oeuvre, et aussi de ses écrits... Et je ne comprends pas l'objectif de cette démarche de délégitimisation...
Et puis où est-ce que Pasolini a parlé du cinéma de Bergman comme étant archaïque, comme un jugement en opposition avec "moderne" ou "progressiste" ? Il a beaucoup parlé de son admiration pour le cinéma de Bergman, tout en soulignant sa nécessité propre à chercher une nouvelle
forme de cinéma qu'appelait le réel de son époque et l'évolution du rapport au cinéma... Ces deux hommes-là, non plus, n'étaient pas contemporain du même monde, ni du même cinéma. (En gros, tout ça me semble tellement plus nuancé que ce que tu exprimes)