Jerónimo a écrit:
Grosse rétro du cinéaste en ce moment sur arte, je vais en profiter pour rattraper tout ça car je n'ai vu aucun de ses films... Et pour ne pas échouer dans ma résolution de 2022 d'écrire au moins une bafouille pour chaque film vu dès le 5 janvier, je me lance même si vous avez globalement tout dit.
C'est ultra lent, ce qui permet de faire émerger une beauté simple, avec des gestes / plans anodins qui deviennent chargés de sens (les clés accrochées à la fin, les clopes), mais j'avoue que ça reste assez austère pour moi au final.
Il y a un propos assez fort et très moderne sur la solitude et l'individualisme, sur la volonté (ou son absence) de mener sa vie et les barrières (passées ou présentes) qui s'y opposent... J'avoue ne pas être à fond, mais je vais me chauffer pour les suivants.
Vu Uzak hier soir sur le replay d'Arte, je m'étais fixé pour objectif de tous les voir au rythme d'un par mois, comme une bonne sucrerie, mais ça sera le dernier. D'une (je ne sais pas si je suis le seul à qui cela est arrivé) parce que la qualité sonore était déplorable (l'impression qu'en fond j'entendais la bande son d'un autre film, j'avais pas vécu ça depuis l'époque bénie de la VHS et de mes enregistrements moisis). Et de deux, je l'ai trouvé tellement admirable que je vais tout bonnement acheter le coffret BR de tous les Ceylan, ce qui me permettra de débuter par son premier film (Kasaba).
Je n'avais jamais fait le rapprochement avec Bresson (que Ceylan cite ouvertement comme l'un de ses maitres, au côté de Tarkovski), et sans que l'influence soit aveuglante à la manière d'un Schrader, il est vrai que dans celui-ci il y a une certaine ascèse, une économie de la parole qui peut y faire penser (et qui est diamétralement opposée aux interminables dialogues de Winter Sleep - un peu comme si dans ce dernier tous les non-dits de ses précédents films devaient nécessairement déborder). Mais sans que l'on ressente pour autant un manque. Parce que je trouve chaque scène pleine, il y a toujours quelque chose qui s'y passe, les corps n'y sont que rarement statiques, et même lorsqu'ils sont posés (assis ou couchés), il y a toujours un regard, ou deux trois mots lancés du bout des lèvres qui en disent certainement autant qu'un long discours.
Et surtout parce que, et c'est certainement ce qui m'a le plus frappé dans Uzak, Ceylan y déploie une science dans la manière de capter les corps à l'écran, de les faire s'y mouvoir, au diapason de ce que les deux personnages principaux charrient, que j'ai rarement trouvé aussi pertinente. D'un côté Mahmut, ce photographe qui semble totalement désabusé, qui occupe l'espace, comme on occupe le champ de bataille, plein centre, qu'il soit assis ou couché, et qui ne semble se mouvoir dans son appartement que pour venir corriger les indices de la présence de son cousin qui l'importune (que ce soit les chaussures qu'il doit systématiquement aller ranger dans le petit placard, ou la fenêtre du balcon qu'il va fermer quand l'autre y fume). De l'autre Yusuf, qui est une véritable anguille, que la caméra ne parvient pas à suivre, qui entre d'un côté pour sortir de l'autre (ce que l'on voit dès la scène liminaire, dès cette scène je m'étais fait la réflexion que je n'avais pas vu par où il était sorti qu'il réapparaissait déjà du côté opposé ; balai que l'on retrouve également de manière particulièrement marquée lors de ses séances de filatures de la gent féminine, où la caméra se concentre sur la femme qu'il suit, en vue faussement subjective, alors que lui ne cesse de louvoyer, impréhensible). J'ai trouvé cela d'une maitrise assez vertigineuse, et d'y repenser me donne déjà très envie de revoir le film pour y observer cet aspect avec encore plus de précisions.
Mais au-delà de la pure maîtrise de la mise en scène, c'est toute la justesse de ces deux portraits d'hommes qui est remarquable, comme deux Turquie qui sont amenés à cohabiter bon an mal an, celle d'une modernité moribonde, qui n'a plus goût à rien parce qu'elle semble ressasser ses erreurs du passé (son divorce que Mahmut semble avoir accepté contre son gré - il aurait certainement préféré rester marier avec cette femme qu'il semble encore aimer) et celle d'une ruralité qui s'éveille, un peu envahissante, attirée par les plaisirs nouveaux qui s'offrent à elle (le rapport de Yusuf aux femmes, qu'il ne cesse de dévorer des yeux, quand il ne tente pas de manière maladroite une approche gauche dans un bus), mais deux mondes que Ceylan respecte pareillement, sans cynisme (critique que j'ai vu parfois revenir, et qui me semble à l'exact opposé de son cinéma), parce qu'au fond ils sont issus d'un même terreau.
Enfin voilà, il y aurait encore beaucoup d'autres choses à dire (la richesse de la bande son par exemple, comme l'a relevé Baptiste), un film d'une profonde richesse qui mérite vraiment les éloges qu'il a pu recevoir. Et bon sang Ceylan, c'est quand même l'un des tous meilleurs pour ce qui est des scènes finales.
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