Grosse, grosse claque.
Je suis content d'avoir lu (dans le désordre) cette "trilogie" qui commence avec le sublime
Sur les Falaises de Marbre de Jünger, qui se poursuit avec
Le Desert des Tartares et qui se conclut avec probablement mon roman préféré (ou pas loin)
Le Rivage des Syrtes de Gracq. Buzzati a été influencé par Jünger et Gracq influencé par Buzzati et Jünger (même si certains prétendent que Gracq n'avait pas lu le Buzzati avant d'écrire le sien). Trois romans qui ont pour thème profond la guerre mais la guerre vue de loin. Et au fil de ces trois romans la guerre disparaît peu à peu, le cadre se fait de plus en plus vide et l'attente de la bataille de plus en plus mordant. Mais si chez Jünger on est dans une élégie de la nature face à la barbarie et chez Gracq dans un labyrinthe presque purement esthétique (comme souvent chez lui), chez Buzzati c'est plus terre à terre, plus concret (sans que ça n'ait rien de péjoratif), sans enlever bien sûr tout l'aspect symbolique du roman.
Mais rarement j'aurais ressenti une telle tristesse, sourde et silencieuse s'insinuer page à page dans la cartographie de ces vies qui n'ont aucun sens, qui ne sont que dans l'attente d'un événement qui ne vient pas et qui sont témoins, impuissantes, du temps qui passent terriblement et les emmène vers la fin. Tout cela est très baudelairien, très poétique. J'aime comme j'ai eu le sentiment d'être avec eux sur les remparts du fort à regarder à la longue vue dans la pleine des Tartares pour essayer d'y voir quelque chose, l'espoir de la grandeur.
Immense chef-d'oeuvre qui correspond bien à une certaine vision de l'existence, fataliste et absurde. La toute dernière partie m'a violemment pris à la gorge et la dernière phrase, putain, ça te retourne comme un gant.
C'est marrant parce que je me suis mis à Buzzati grâce à Jerzy qui parlait de ce recueil sur le topic du
Désert des Tartares.
Et grosse claque également, recueil de nouvelles qui flirtent sans cesse avec le fantastique et qui ont toutes en elles une espèce de mystère terrifiant et horrible. Alors c'est forcément un chouïa inégal mais dans l'ensemble ça se lit tout seul et c'est d'une violence assez saisissante. Plein de récits tout simples en apparence mais qui, par un dérèglement de la réalité plonge dans une horreur indiscernable.
Comme cette nouvelle que j'ai adoré où un homme dans un train voit par la fenêtre toute la population s'enfuir dans la direction opposée du train. Le train continue d'avancer vers la source du mal que les gens cherchent à fuir. C'est trois fois rien, mais il y a un truc super puissant dans la narration et surtout la manière d'éviter la
chute mais au contraire de laisser totalement le lecteur se faire sa propre opinion, au risque de le frustrer. Très, très bon !