Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights) (Emily Brontë)
C'est effectivement envoûtant et très dense, même si c'est peut-être plus réussi par les mouvements d'ensemble (l'installation de ce lieu et de son imagerie, les effets d'échos entre les deux générations, la vengeance au long cours...) que dans le détail du texte, où le romantisme macabre frise souvent l'hystérie (pas mal de dialogues à l'outrance assez indigeste). On dirait une sorte de point de saturation, où la romance mélancolique est moins un idéal qu'un excès maladif, fiévreux, presque glauque.
Ce qui m'a beaucoup surpris, en fait, c'est à quel point les personnages sont horribles. Ils creusent tous une imagerie qui pourrait les rendre sublimes, qui les offre à une lecture romantique : le sauvage mystérieux et son désir de vengeance, son jeune fils maladif aux portes de la mort, la pureté de la fille aimée, le mari doux et calme... Mais les défauts de chacun sont appuyés avec une insistante curieuse, le livre étant bien décidé à nous les rendre détestables : la fille est un monstre d'égoïsme, le mari est un falot, le sauvage un monstre, l'enfant un pleurnichard, etc. Le couple Heatcliff/Catherine finit du coup par exemple très vite par m'irriter, tant j'ai l'impression de voir deux ados attardés se jouer un air d'opéra pour le plaisir d'être tragiques. Ce rapport SM aux persos, je le comprends pas complètement, sinon peut-être pour le plaisir, in extremis, d'aller y pêcher quelque chose de beau.
Le seul personnage auquel s'accrocher, au final, et qui a vraiment quelque chose de poétique dans sa manière d'essayer d'arrêter cette grande catastrophe au ralenti, c'est la servante Nelly. Malgré quelques percées de moralisme chrétien qui rappellent
Jane Eyre, elle impose une espèce de sagesse pratique, un bon sens qui tient face à la démesure de la situation, comme quelqu'un qui mènerait un combat durant deux générations (la toute dernière partie, où on arrive enfin à terme, est très belle pour ça).
Beaucoup de défauts dans le détail, mais aussi une manière d'agripper le lecteur (dès les trois premières lignes on est déjà complètement dedans et intrigué, le décor déjà posé), beaucoup de passages impriment des images marquantes : globalement le livre est très inspirant, et provoque une envie quasi-automatique d’adaptation cinématographique. Ce bouquin semble être fait pour le ciné. Il paraît qu'on adapte souvent la première partie et pas la suite, ce que je trouve un peu bizarre : la première moitié, centrée sur le couple seul, me semble bien moins ample que les multiples ramifications de la seconde, où le sens de la fatalité se réveille de façon bien plus belle (la scène où on conduit le gamin malade à Hurlevent à dos de cheval, au sortir de la nuit, par un voyage qui s'assimile à une mise à mort à retardement, est superbe par exemple).
Y a plus qu'à essayer un bouquin d'Anne !