Lorsque le film commence en reprenant à l'identique le carton explicatif et la séquence introductive du premier film, au point qu'on en vient à se demander s'ils n'ont pas tout simplement réutilisé les mêmes plans, on craint le pire. Toutefois, ce serait oublier que Joseph Kosinski a fait son entrée sur scène avec
Tron Legacy, le tout premier
legacyquel, ce nouveau type de relance de franchise où la nouvelle génération part à la recherche de l'ancienne souvent pour revisiter la trame de l'original (la postlogie
Star Wars,
Creed,
Blade Runner 2049,
Matrix Resurrections, le dernier
Scream et bientôt
Jurassic World : Le Monde d'après). Autrement dit, la métatextualité faisait déjà partie de son premier long métrage. Ce que
Top Gun : Maverick a de fascinant, c'est qu'il peut se lire à trois niveaux de lecture. Régulièrement, on est face à un quasi-remake scène par scène du premier film qui ne s'avère pas toujours des plus stimulants. Néanmoins, passé l'ouverture par trop déférente, la figure de Maverick, ainsi que celle de Tom Cruise, vient incarner le récit. Le texte relate l'histoire touchante d'un personnage esseulé qui se cherche une place et une attache dans un monde nanisant, renouant avec les récurrences thématiques et esthétiques de Kosinski, tandis que l'indéniable sous-texte dresse le portrait métafilmique d'un acteur qui s'avère tout simplement et résolument incapable de s'arrêter.
De film en film, il apparaît de plus en plus évident que Kosinski travaille les mêmes questions et ce malgré les variations des genres qu'il aborde. En bon formaliste, il expose son univers dès les premières images, par une composition du cadre millimétrée, obsédée par la symétrie et le contraste. Le Grid obsidien d'où perce la lumière de
Tron Legacy, les dunes noires et le ciel bleu d'
Oblivion, symbolisant la constante opposition entre les pauvres petites mains travailleuses d'en bas et les dominants d'en haut, et la terre et le feu d'
Only the Brave, le second menaçant sans cesse de consumer le premier. Dans ce dernier, le cinéaste poussait ce motif de ligne à son paroxysme, la plaçant toujours au centre de l'image, horizontale ou diagonale. Une ligne humaine ou une ligne de feu, renvoyant dos à dos les protagonistes du film à leur antagoniste dans un élan élémentaire et iconique. Cette même division entre les éléments semble régir la mise en scène de
Top Gun Maverick, entre ciel et terre, entre jour et nuit, atmosphère et stratosphère. Le film va jusqu'à inclure la monomanie géométrique du metteur en scène dans l'action. En plaçant des caméras IMAX dans le cockpit de ses avions de chasse, Kosinski place la ligne d'horizon constamment dans le cadre et exploite ses incroyables vistas giratoires pour incliner ou renverser cette ligne d'horizon durant l'action, donnant le vertige au spectateur mais symbolisant aussi l'anomalie à rectifier pour les personnages, la catharsis n'étant permise que lorsque l'horizon redevient parallèle au sol.
Dans chacun de ses trois précédents films, Kosinski place ses protagonistes seuls dans le cadre face à ces vastes étendues, isolantes, écrasantes. Le réalisateur a grandi dans le Midwest américain et traduit dans son œuvre l'imposante majesté de la nature sur l'Homme et
Top Gun Maverick ne déroge pas à la règle. On y retrouve un Maverick qui vit seul, qui continue de se rebeller contre ses supérieurs mais moins par ego que mû par un mobile plus métaphysique voire spirituel, comme en atteste la séquence du test de l'avion hypersonique, aussi belle dans la forme que le fond.
Maverick est un pur héros kosinskien aka un "ouvrier", un de ces invisibles qui rentrent du boulot cradingues, chargé, comme CLU dans
Tron Legacy, comme Jack Harper dans
Oblivion et comme les pompiers d'
Only the Brave, de garder le monde "pur", propre, dénué de virus, de rebuts, de feu ou d'uranium. La dernière ligne de défense. Mais ce que chacun de ces personnages cherche, c'est un lien vers un être aimé et perdu (respectivement son créateur, sa femme et ici le fils de son ami défunt).
A l'instar de
Tron Legacy, ce film est non seulement une relecture du précédent ainsi qu'un
upgrade (les scènes de vol se font SO-DO-MI-SER) mais également le spécimen rare de suite qui rendrait presque rétroactivement le premier meilleur. S'il n'était pas forcément nécessaire de resservir les mêmes archétypes pour les nouvelles recrues de l'école (la rivalité Hangman/Rooster recyclant le combat de coqs Iceman/Maverick) ou si certains rappels se font grossiers malgré la signification dramatique qu'on essaie de leur donner (le fils de Goose qui chante
"Great Balls of Fire" au piano comme son père, provoquant des flashbacks/images d'archives), souvent, lorsque le film rejoue l'original, il l'incarne davantage (le sport torse poil sur la plage n'est plus du
"porno soft", pour reprendre le qualificatif assumé par Tony Scott lui-même concernant son caractère crypto-gay, mais du
team building). Ce n'est jamais plus vrai que pour le conflit filial qui anime la relation entre Maverick et Rooster, lui conférant autrement plus de poids que le
daddy issue cliché de Maverick dans la version 1986). L'arc est schématique et ne surprendra personne mais donne tout de même son cœur au film. Et le terreau théorique défriché par le film parvient même à justifier un dernier acte poussif mais dramaturgiquement nécessaire pour boucler la boucle.
Tout le film est riche d'un point de vue théorique donc, qu'il s'agisse des paysages de Kosinski ou des détails du scénario, et avant toute chose au travers de Tom Cruise. Sans aller jusqu'à dire qu'il s'agit de son
Impitoyable, l'ouvrage ne fait que de parler de l'acteur et de sa persona, forgée sur le premier film et cultivée depuis. Pourquoi n'a-t-il pas pris sa retraite? Pourquoi n'est-il pas passé à autre chose? Pourquoi n'est-il pas monté en grade? Pourquoi n'a-t-il pas de famille? Pourquoi n'a-t-il de cesse de vouloir pousser les limites et tout faire lui-même? Plus personne ne veut de lui à l'exception de ses vieux collaborateurs. Une nouvelle génération de casse-cou est prête à prendre sa place. Mais comment apprendre à autrui à être lui? Comment enseigner, transmettre son propre être? Peut-il lâcher l'affaire? Pourrait-il céder la place? A un drone? A des jeunes? Plusieurs scènes remettent en question son statut de héros arrogant, que ce soit cette simple discussion entre deux
sex symbols devenus sexagénaires
ou cette brève scène qui fait l'inverse d'un Marvel, désamorçant l'humour par du gravitas.
Cependant, contrairement aux autres
legacyquels, le héros de l'original reste le protagoniste cette fois. Il n'est pas le vieux mentor que le jeune héros vient chercher.Tom n'est pas prêt de raccrocher. Un jour peut-être mais pas aujourd'hui. Et tant mieux. Tant qu'il poussera les limites au service de son art pour proposer du spectacle ébouriffant comme
Top Gun : Maverick ou les
Mission : Impossible, rendant irregardables les morceaux de bravoure pourtant inventifs d'un
Uncharted, il aura la permission de voler au plus près du soleil.