C'est dur, surtout pour quelqu'un qui apprécie le film, de ne pas comparer
Batman v Superman avec ce
Captain America : Civil War.
Dur parce qu'il y a de nombreux points communs entre les deux films, même s'ils tiennent souvent davantage de détails en fin de compte. Les conséquences en dommages collatéraux des combats homériques, une opposition idéologique (même si ce n'est pas vraiment la même) entre un riche sans pouvoirs et un boy scout à pouvoirs, l'introduction de nouveaux personnages en vue de films individuels plus tard,
Et si le fond du film de Snyder, avec sa dimension religieuse, me parle davantage, force est de constater que le film des Russo est plus abouti à tous les niveaux. Mais je vais arrêter la comparaison ici, parce que
Civil War a ses propres problèmes.
La force et la faiblesse de l'univers cinématographique Marvel réside dans son parti-pris principal : le véritable auteur des films Marvel, c'est Kevin Feige. Dans les meilleurs cas, le producteur choisit des cinéastes qui apportent, si ce n'est leur personnalité, une identité propre à chaque film, mais sinon, l'univers ciné Marvel, c'est surtout une gigantesque série télé sur grand écran. Les phases sont des saisons et les
crossovers composent des
mid-season finales qui bouleversent le statu quo.
À ce titre,
Civil War est sans doute le point d'orgue de cette approche.
Au fur et à mesure que des acteurs des différentes franchises Marvel étaient annoncés au casting, on prenait le soin de nous rassurer qu'il s'agissait bien d'un
Captain America et non d'un
Avengers 2.5. Ouais bah c'est faux hein.
C'est pas forcément un mal, d'ailleurs. C'est sans doute le film Marvel où l'incursion des divers protagonistes de l'univers se fait de la manière la plus organique. Chacun trouve sa place et l'intrigue naît organiquement des conséquences d'
Avengers : Age of Ultron.
Au contraire, je dirais que le souci, c'est justement quand le récit essaie de raccrocher le wagon à
Captain America : The Winter Solider, dont il est effectivement la suite. Le personnage de Bucky, ignoré dans
Age of Ultron, est au coeur de l'intrigue.
Pour schématiser, c'est un film qui commence effectivement comme une adaptation (libre) de l'
event Civil War des
comics mais qui abandonne globalement l'aspect géopolitique en cours de route, rendant ses questionnements idéologiques plus diffus par la suite, comme une simple toile de fond à une trame plus intime.
Sur le papier, le choix de prendre Bucky comme McGuffin est compréhensible. Il apporte une dimension personnelle pour ancrer l'affrontement entre les deux camps. Mon problème, outre le fait que je ne pense pas le spectateur aussi attaché à Bucky que l'est Rogers, ce qui nuit à l'implication, c'est que je peine à croire que les deux camps puissent à ce point oublier de se parler et donc de clarifier la situation, évidente pour le public, et même déjà comprise par le camp de Bucky mais que Stark met les deux tiers du film à comprendre.
C'est un peu facile, quoi.
C'est quasiment la seule réserve que j'ai sur le film mais elle touche à quelque chose de fondamental.
Dans
Batman v Superman, il suffirait de quelques secondes à Superman pour dire à Batman (attention spoilers sur
BvS) :
"Lex Luthor a kidnappé ma mère pour que je tue et il t'a envoyé des photos. Il nous manipule!" mais ils se tapent sur la gueule presque immédiatement et la vérité met une dizaine de minutes à sortir (le fameux twist "Martha").
Ici aussi, il suffirait de quelques mots de Cap à Tony pour mettre fin au conflit. Mais ils ne le font pas. Et ça dure pas 10 minutes. Ça dure la moitié du film.
Peut-être que c'est moi qui pinaille mais vu que tout le film repose dessus, je trouve la justification un peu ténue.
Je vois la mécanique hein. Tout est programmé de manière cohérente. Le film prend même, un peu laborieusement, le temps, dans sa première heure, de bien poser ses bases. J'irai même jusqu'à dire qu'il fait un meilleur travail de caractérisation sur Stark que sur Rogers, alors qu'il s'agit de son film, et l'intégration des nouveaux personnages est parfaite car elle participe à une cohérence thématique globale. Les motivations de T'Challa/Black Panther (Chadwick Boseman, royal) ou celles de Zemo (Daniel Bruhl, plus basique) sont intimement liées à Bucky et la Sokovie et trouvent une triple résonance sur la fin qui est fort bien construite.
Même l'inclusion de Peter Parker/Spider-Man (Tom Holland, très prometteur), ajout davantage
fan service et tronquable du film, est suffisamment bien écrite, dans l'humour, dans l'action mais aussi dans le propos, pour convaincre.
Le film fait même la part belle à certains personnages secondaires, comme Vision et Wanda, qui a son petit arc, et les autres (Falcon, Hawkeye, Black Widow, War Machine) sont là juste ce qu'il faut, en soutien musclé ou en
comic relief. D'ailleurs, le film parvient à gérer les tons assez habilement et ce malgré un nombre de blagues plus élevés que dans
The Winter Soldier (même Ant-Man parvient à ne pas paraître redondant au sein d'une scène où le quota vannes est déjà assuré par Spider-Man, plus fidèle que jamais à la BD). Ça reste un Marvel après tout.
D'ailleurs, si le précédent Russo avait une couleur de thriller d'espionnage politique,
Civil War ne s'inscrit pas vraiment dans un genre particulier. Il perd donc quelque peu en personnalité.
On retrouve toutefois le talent du duo, aidé de leur
action director Spiro Razatos, pour l'action.
Ça commence dans la lignée de
The Winter Soldier, avec quelques combats et acrobaties bien brutaux, notamment une combat un peu confus dans une cage d'escalier qui se transforme en course-poursuite haletante, et ça s'oriente peu à peu vers le super-héroïsme, avec ce morceau de bravoure dans l'aéroport. Malgré quelques effets spéciaux "pas finis", les Russo font attention à garder l'action relativement terre-à-terre dans la mise en scène tout en respectant le gigantisme requis. Ils redoublent d'idées dans les associations ou les oppositions de personnages ainsi que dans l'utilisation de leurs pouvoirs. Pas besoin de ralentis pour rappeler les double pages épiques des
comic books. Et confirmation qu'il est plus engageant de voir nos héros impliqués dans un combat qui ne les oppose pas une énième fois à une armée de soldats (robots ou aliens) identiques, comme dans la moitié des Marvel.
Ainsi, dans l'intrigue, ambitieuse, comme dans l'action, généreuse, et ce jusque dans le combat final, qui tient là aussi d'un retournement un peu poussif dans son mobile tardif, le film réussit à être incarné. À chaque instant. C'est tout ça qui permet de transcender quelque peu les défauts, qui m'empêchent toutefois d'être à fond sur ce film, un meilleur
Avengers qu'
Age of Ultron (la gestion des persos, la mise à mal de l'équipe) mais un moins bon
Captain America que
The Winter Soldier (dans le traitement de son fond politique et de son intrigue Bucky).