J'ai aussi envie de défendre ce film. Il semble néanmoins très proche de deux films récents qui sans doute l'ont concurrencé: -Gone Girl. Les couples sont typés de la même manière, dans une situation exactement inverse mais de même valeur: au lieu de mettre en scène un faux meurtre, d'enfermer l'autre dans un culpabilité sans objet, qui est la forme la plus proche de l'amour éternel que leur réussite matérel leur permet, ils parviennent à dissimuler leur autodestruction: la fadeur rancie de leur vie sentimentale leur sert alors d' alibi . Les deux films ont aussi l'air d'être adapté du même genre de livre. - Boyhood . Là aussi avec un renversement qui conserve le cadre général: les parents de Boyhood prenaient un peu de recul sur la partie la plus fragile de la classe moyenne et menaient à moitié contraints une vie itinérante justement pour maintenir intact leur autorités parentale et leur ancrage social: là ils ne bougent pas de leur villa-bungalow, préservent une position qu'ils n'aiment pas et se liquifient. La fille , au contraire du personnage de Boyhood, qui restait toujours "le fils dont les chances ont été préservées", devient la mère de ses parents, brillante mais déjà consciente au bout de six mois de l'absurdité de Berkeley , plus elle réussira lus elle sera ramenée vers son milieu de départ . L'intrigue de White Bird n'est pas si loin du passage de Boyhood situé chez le premier beau-père.
Pendant une heure, quand il s'attache à l'effort de la jeune fille pour vivre, le film est proche d'un chef d'oeuvre, cela pourrait être le Rayon Vert de Rohmer revu par Murnau et Sirk (ou Richard Kelly). Malheureusement la fin, avec le passage vers une ntrigue policière aussi artificiellement contournée qu'un épisode de Barnaby(même impression que le spectateur est placé dans un sadisme par procuration -à la fois juge, psy, confesseur, mémorialiste et jaloux du coupable), laisse un goût amer. Le père est aux yeux de sa fille un paumé médiocre mais émouvant, puis aux yeux du spectateur un meurtrier intelligent, avec une raison (à la fois l'amour blessé et le refus de l'humiliation), maître du récit depuis le début. J'aurais aimé qu'il défende plus le personnage de Kat: sa maturité et sa lucidité envers les culs-de sac et hypocrisies de la classe moyenne, sa magninité en amours, son ambition de défendre sa sexualité en construisant une éthique exigeante sans l'imposer à l'autre ne lui servent en fait à rien: elle est aveugle et n'a rien compris de ce que tout le monde lui dit depuis le début (même ses deux potes, qui ont tout compris sans avoir été impliqués, peu vraisemblable). Elle est défaite mais c'est un très beau personnage. Shailene Woodley et Eva Greene sont très bonnes. Le jeu expressionniste de cette dernière(elle reprend les attitudes de Dark Shadows dans un contexte pavillionnaire) sert le personnage. Formellement les flashes où la fille se revoit petite fille jouant avec sa mère son très beaux.
Il y a quand-même une étrangeté politique dans le film: il est mélancolique (deux fois: par son histoire qui enferme tout le monde, où la lucidité est un facteur de dépérissement, et par son rapport à la fin des eighties et le début nineties, on pense à Donnie Darko -même type de BO-, mais aussi en BD à "Je ne t'ai Jamais aimé" de Chester Brown sans maladie voire un "Black Hole" sans contagion), mais cette mélancolie n'est pas amenée par les impasses amoureuses, l'absurdité et la solitude de la vie pavillionnaire; elle est (comme dans Gone Girl: les deux personnages de flics sont des versant masculins et féminins de la même attitude: séduit par ceux qu'ils surveillent et inculpent) amenée par le regard de la police sur cette morosité et cette impuissance politique. Cette impuissance est le motif non pas d'une révolte, mais d'une alternative: tuer ou partir. La critique sociale se retrouve finalement absorbée par la police, en tant qu'elle est elle-même une fonction en crise, souffrante et réflexive. L'écart et la complémentarité entre critique et police est du même ordre que ce qui existe sur un second plan entre la sexualité et le deuil : Cat parvient à assumer très vite ses choix, à dépasser la médiocrité et l'hypocrisie de son milieu, de manière émouvante, mais cette réalisation débouche ensuite directement sur la peur et le deuil: "the Future bores Me". Elle a déjà consommé sa liberté. Pourtant il y avait quelque chose à explorer: elle avait compris sa mère, compris qu'elle avait été éteinte sexuellement, mais cette compréhension et sa compassion envers elle étaient déjà un forme de deuil anticipéee, exercée du vivant de la personne. Mais par contre son père et son copain n'étaient pas ce qu'elle savait d'eux: l'altérite du genre et la pulsion sexuelle sont avancées non pas comme des friches, mais de manière mélancolique comme des explications dont le contenu est déjà connnu depuis trop longtemps, même par les adolescents: comme si le deuil avait remplacé directement l'âge adulte et la maturité sexuelle. La sexualité, vu du point de vue d'un mourant n'a qu'une valeur symbolique, on ne la conserve pas, elle ne laisse pas de trace, mais elle est une clé expliquant le reste, qui est le réel. Par contre la police a une fonction qui est morale, c'est qui est identique dans le réel et dans l'ordre symbolique, et c'est elle qui a le dernier mot: le film ne donne finalement du poids qu'à ce qui peut être jugé, et la sexualité en est exclue. Le film est étrangement puritain, je ne suis pas sûr d'apprécier le monde qu'il met en place, pris dans sa totalité, mais les personnages qu'il y enferme avant de les abandonner, oui.
Dernière édition par Gontrand le 11 Déc 2014, 01:49, édité 2 fois.
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