joli schématisme, Karlito.
pour ceux qui voudraient pousser un chouille plus loin...
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Fracture sociale : une plaie béante
PAR Ingrid Merckx
jeudi 7 février 2008
Dans un monde où les milliards se déplacent du travail vers le capital, de nouvelles inégalités apparaissent, élargissant le fossé qui sépare les très riches des très pauvres et révélant un abandon des politiques de redistribution. Un dossier à lire dans notre rubrique Société.
Deux milliards, six milliards, cinquante milliards... Qui dit plus ? Les secousses financières évoquées dans le cadre de la crise qui frappe la Société générale ont révélé un monde de plus en plus fou, où les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Depuis vingt ans, la fracture sociale ne cesse de se creuser. Des masses d’argent colossales se déplacent du travail vers le capital, engendrant de nouvelles inégalités. Cependant, comble d’ironie, que la notion d’égalité des chances prospère dans le débat public.
Les inégalités ont progressé en France depuis les années 1980, montre le BIP 40, baromètre des inégalités et de la pauvreté. D’après un sondage de juin 2004 publié par la Sofres, 81 % des Français estiment que les inégalités se sont aggravées aux cours des dernières années. Pas d’explosion, précise l’Observatoire des inégalités, mais un retournement de situation. Difficile encore d’évaluer son ampleur, notamment parce que les données officielles sont incomplètes (voir pp. 4-5) : les chiffres sur les revenus intègrent-ils des données sur les revenus du patrimoine ; ceux sur l’emploi des données sur le temps partiel ; ceux sur l’éducation des données sur la durée de scolarité ? Il n’empêche. « Au milieu des années 1950, les cadres touchaient en moyenne quatre fois plus que les ouvriers, mais ces derniers pouvaient compter rattraper le salaire moyen des cadres de 1955 vers 1985, compte tenu du rythme de progression des salaires, expliquent Louis Maurin et Patrick Savidan dans l’État des inégalités en France 2007. Au milieu des années 1990, les cadres ne touchaient plus "que" 2,6 fois le salaire moyen des ouvriers, mais compte tenu du ralentissement de la croissance des niveaux de vie, il fallait trois siècles aux ouvriers pour espérer arriver au niveau des cadres de la mi-1990 ». En résumé : « Le temps de rattrapage entre catégories sociales a été multiplié par 10. »
Ce ne sont donc pas tant les taux qu’il faut prendre en compte que la manière dont s’installent les écarts entre la « France d’en haut » et celle « d’en bas » (voir p. 7). « La France fut longtemps considérée comme un modèle de mobilité sociale. Certes, tout n’y était pas parfait. Mais elle connaissait un mouvement continu qui allait dans le bon sens. Or, la sécurité économique et la certitude du lendemain sont désormais des privilèges. La jeunesse française exprime son désarroi. Une fracture sociale se creuse dont l’ensemble de la Nation supporte la charge. La "machine France" ne fonctionne plus. Elle ne fonctionne plus pour tous les Français », dixit... Jacques Chirac, le 17 février 1995, lançant ainsi sa campagne de 1996 sur le thème de la fracture sociale.
« S’il y a une raison majeure de s’inquiéter, relève Louis Maurin lors d’un colloque en octobre 2007, c’est que les politiques publiques vont désormais dans le sens de la hausse des inégalités. » Bouclier fiscal, mise en place de filières de sélection à l’école, immigration choisie, franchises médicales, le « moins d’État » brandi pour laminer l’État régulateur... La politique de Nicolas Sarkozy, pourtant grand promoteur de l’égalité des chances, s’inscrit dans un processus de délégitimation des politiques de redistribution : trop chers, l’hôpital, l’école, les retraites, les minimas sociaux. « Les caisses sont vides », relancez la croissance en créant votre entreprise ! « D’une société où s’endetter était un signe de déchéance sociale, on passe à un système où l’endettement est encouragé : à consommation de masse, crédit de masse ! [...] Mais la vague néolibérale, en remettant en cause les protections de l’État providence, rend la situation critique », explique Georges Gloukoviezoff dans Peut-on critiquer le capitalisme ? Car la société du self-made-man, de la mise en concurrence permanente, implique « des stratégies de déclassement des autres au profit de la promotion de soi », explique Patrick Savidan. Exit le capital social et les plus vulnérables. Seuls les plus « bancables » se projettent dans l’avenir, la croissance oblogatoire, la course au profit. L’ouragan Katrina a révélé aux États-Unis un fossé social d’une largeur insoupçonnée. Pas le tiers-monde : dans une riche démocratie occidentale, des ghettos de luxe cohabitent avec les bidonvilles, le CAC 40 avec le quart-monde. Dans une société de la compétition généralisée, la misère des uns augmente à mesure que l’opulence des autres progresse. Et l’échec est toujours présenté comme celui d’un individu. Que se passe-t-il si on tombe malade, perd son emploi, son logement, sa famille ? Le système (les banques) n’assure pas les « accidents de la vie », pas plus que le parent isolé qui reprend une formation et cherche un logement, mais les spéculateurs, les hauts revenus, les moins fragiles socialement. C’est moins d’égalité des chances dont il est question que de justice sociale.
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Quelques vérités sur les inégalités
PAR Jean-Baptiste Quiot, Thierry Brun
jeudi 7 février 2008
Certains indices mesurent la nature et l’ampleur des inégalités, mais le débat reste tabou et les chiffres sont peu visibles. Il est pourtant urgent de créer de nouveaux indicateurs, évaluant notamment les effets de la mondialisation.
La mesure des inégalités n’est pas chose facile et ne se réduit pas à la seule question : combien y a-t-il de pauvres en France aujourd’hui ? Institutions, réseaux du mouvement social et socio-économistes semblent pourtant d’accord sur un point : il est urgent de créer de nouveaux indicateurs. C’est ce qu’affirme le très officiel Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion. Dans la même ligne, le Réseau d’alerte sur les inégalités (RAI) publie chaque année, depuis 2002, le baromètre des inégalités et de la pauvreté (BIP 40) [1]. « Alors que les chiffres du Dow Jones et du CAC 40 sont présents dans tous les médias, le débat sur les inégalités et la pauvreté semble demeurer tabou dans notre pays », rappelle ce dernier.
Les effets de la mondialisation sur l’évolution des inégalités sont également absents des indices et statistiques d’un pays riche comme la France, note l’économiste Pierre-Noël Giraud, lequel se réfère à un rapport du Conseil d’analyse économique de... 2001, et fait remarquer que le seul indicateur des revenus est insuffisant [2] à rendre compte des inégalités. D’après BIP 40, celles-ci ont augmenté de plus de 40 % en vingt-cinq ans ! Cette hausse concerne presque tous les domaines couverts par ce baromètre (revenus et salaires, chômage et emploi, santé, logement, justice), excepté l’éducation, où les inégalités ont diminué jusqu’au milieu des années 1990, avant de se stabiliser. La France détient ainsi un triste record : elle est championne de l’OCDE [3] de l’insécurité socio-économique.
Revenus : le grand écart
Un partage des revenus de plus en plus inégalitaire pèse sur le pouvoir d’achat des ménages : si les salaires avaient augmenté comme la moyenne des revenus depuis 1980, les salariés recevraient aujourd’hui 60 milliards d’euros de plus (soit, en moyenne, 200 euros de plus par mois et par salarié), explique le Réseau d’alerte sur les inégalités. Sur cette question, pas de « rupture » en 2007 : le pouvoir d’achat des ménages a augmenté plus vite qu’en 2006... mais surtout pour les plus riches. Un indice qui ne trompe pas : en 2007, le taux d’épargne financière a bondi de près d’un point, absorbant 10 milliards d’euros de pouvoir d’achat. Autre indice : le dernier rapport du Conseil économique et social sur le surendettement des particuliers fait état d’une fourchette se situant entre 700 000 et 1,5 million de ménages surendettés.
Emploi : pauvre et travailleur
En matière de chômage et d’emploi, la situation est toujours aussi inégale. Ouvriers et employés sont deux fois plus souvent au chômage que les cadres et les professions intermédiaires. 18,1 % des jeunes et 40 % des étrangers ne trouvent pas d’emploi. Mais il ne suffit plus d’occuper un emploi pour échapper à la précarité. Alors que la part du capital dans le PIB n’a cessé d’augmenter et d’empiéter sur celle du travail depuis vingt ans, on estime aujourd’hui qu’il y a en France entre 1,2 et 3,5 millions de travailleurs pauvres. Parmi eux, il faut compter 1,2 million de salariés à temps partiel subi, dont 80 % sont des femmes.
Éducation : lutte de classes
En 2004, les inégalités en matière d’éducation se stabilisent, après avoir augmenté au cours des deux années précédentes. Jusqu’au milieu des années 1990, ces inégalités en matière de réussite scolaire se réduisaient. Ce n’est plus le cas désormais avec l’interruption de la démocratisation de l’école. Seule 30 % de la population a le bac ou davantage, et moins de 10 % des adultes dépassent le niveau bac + 2. Ces inégalités se prolongent de génération en génération. Ainsi, 54 % des enfants dont le père ne dispose d’aucun diplôme ont déjà redoublé au moins une fois à l’entrée en troisième, contre 14 % de ceux dont le père est diplômé de l’enseignement supérieur. Les inégalités sont aussi induites par une politique élitiste de l’éducation : le budget de l’État pour un étudiant en classe préparatoire est le double de celui d’un étudiant en université. Or, les classes préparatoires sont composées essentiellement d’enfants issus de catégories sociales aisées.
Logement : où est l’ascenseur ?
Le mal-logement est endémique. Les loyers flambent (+ 40 % entre 1990 et 2004), les expulsions se multiplient. En périphérie des villes, une partie de la population est contrainte de se loger dans un habitat de fortune, caravane, camping, cabane, etc., tandis que les catégories à hauts revenus occupent les centres-villes et les quartiers réhabilités ou nouvellement construits en résidences de luxe. « Les inégalités de logement et de cadre de vie, ou de quartier, ne signifient pas seulement la disparité des conditions d’existence, rappelle Jean Gadrey [4]. Elles influent directement sur d’autres inégalités essentielles, notamment scolaires et d’insertion dans l’emploi. » Plus de 3,3 millions de personnes connaissent « une problématique forte de mal-logement », et 100 000 sont sans domicile fixe, a estimé la Fondation Abbé-Pierre. Huit ans après son adoption, la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), qui impose aux communes de disposer d’au moins 20 % de logements sociaux, est loin d’atteindre cet objectif.
Santé : accès de plus en plus difficile
Si l’espérance de vie a augmenté de trois ans en moyenne entre la fin des années 1970 et les années 1990, cette avancée a davantage profité aux catégories sociales favorisées. Ainsi, un cadre supérieur a une espérance de vie de 81 ans contre 74 pour un ouvrier et 63,5 pour un inactif (non retraité). En ce qui concerne l’accès aux soins, les inégalités se creusent. La couverture maladie universelle n’a pas encore débouché sur un accès universel aux soins. Sur 16 602 patients interrogés par les centres français de Médecins du monde, 52,3 % ne disposent d’aucune couverture maladie. Du point de vue des couvertures complémentaires par contrat collectif d’entreprise, seuls 50 % des ouvriers et des employés en bénéficient, contre 77 % des cadres supérieurs. Enfin, les inégalités de santé se vérifient aussi au niveau des modes de vie, puisque les problèmes de surpoids et d’obésité ainsi que de tabagisme frappent en premier lieu les classes populaires.
Justice : sanctionner la pauvreté
Dans le domaine de la justice, la situation reste très dégradée, constate le BIP 40. « Les politiques sécuritaires prennent le pas sur les politiques sociales : on emprisonne les pauvres, faute de vouloir réduire la pauvreté. » Le taux d’incarcération a fait un bond spectaculaire en 2004 dans notre pays, atteignant son niveau record de 1998 pour 100 000 habitants. La situation des étrangers reste précaire : le taux de reconnaissance du statut de réfugié est de 17 %, proche de son plus faible niveau des vingt dernières années.
Notes
[1] Le prochain BIP 40 est annoncé pour le mois d’avril. Nos sources statistiques proviennent aussi de l’Observatoire des inégalités.
[2] État des inégalités en France, Observatoire des inégalités, éditions Belin, 2006.
[3] Non à la précarité, Pierre Concialdi, éditions Mango, 2007.
[4] En finir avec les inégalités, Jean Gadrey, éditions Mango, 2006.
[5] Le prochain BIP 40 est annoncé pour le mois d’avril. Nos sources statistiques proviennent aussi de l’Observatoire des inégalités.
[6] État des inégalités en France, Observatoire des inégalités, éditions Belin, 2006.
[7] Non à la précarité, Pierre Concialdi, éditions Mango, 2007.
[8] En finir avec les inégalités, Jean Gadrey, éditions Mango, 2006.