La Terra Trema en VO.
Un petit village de Sicile, dans les années 20 ou 30. Antonio, aîné d'une pauvre famille de pêcheur, ne supporte plus de voir les grossistes acheter à prix dérisoire le fruit de son travail nocturne. Contre l'avis des pêcheurs du village, il se révolte et décide de se passer d'intermédiaire.Il y a un truc qui résume parfaitement l'aura ambiguë du film : l'omniprésence de sa voix-off. Celle-ci est très documentaire, didactique et militante (expliquant combien la vie des pêcheurs est dure, combien les grossistes s'en mettent plein les poches, etc). Mais elle est aussi la voix du conteur, par sa manière de sans cesse revenir prendre le cours du récit, entamer ou achever les scènes qu'on laisse rarement parler pour elles-même, pleurant abondamment la tragédie de la famille comme devant un auditoire d'enfants attentifs.
C'est un peu bizarre de lire Visconti dire qu'il cherche ici à atteindre le degré maximum de réalité, tant tout tient ici du romanesque, grandeur et décadence digne d'un opéra, destin qui s'acharne... Sans aller jusqu'à dire que la vie misérable des pêcheurs n'est ici qu'une excuse, elle n'est clairement pas dissociable d'une sublimation quasi christique de leur pauvreté, de leurs passions, de leur jeunesse - de leurs visage et de leur corps aussi, auxquel la caméra n'est clairement pas insensible. Le matériau est aussi rustre que la forme est ample, et l'un ne semble pas pouvoir aller sans l'autre.
Ce paradoxe n'en est sans doute pas vraiment un. Je suis encore loin d'être expert en néoréalisme, mais plus ça va, plus j'ai l'impression que cet amour du vrai est aussi et surtout un amour du "brut", fascination pour une Italie archaïque : au bout du trajet consistant à débarrasser le film de toutes ses fioritures, il y a une certaine mystique. Pasolini (
St Matthieu) ou Rosselini (
François d'Assise) semblaient toucher au lyrisme chrétien au bout de leur vœu de pauvreté, comme la finalité d'un processus logique. De même, le fait que les pêches rudes et nocturnes de
La terre tremble semblent aller réveiller les légendes ancestrales, n'est pas vraiment un hasard. Jusqu'à son titre, le film semble vouloir faire entrer le conflit social en résonance avec le fracas du monde et des éléments, et quand il parvient à garder cet équilibre, quand l'histoire d'Antonio prend les atours de fable ou de légende éternelle non ancrée dans le temps, je trouve que le film est à son meilleur.
C'est un peu paradoxal du coup : face à une voix-off qui semble appeler la modernité et l'avènement d'une société nouvelle, j'ai régulièrement le sentiment d'un film qui veut secrètement rester dans ce quotidien répété et éternel, dans cette pauvreté qu'aucune époque ne marque, et dont il va pouvoir chanter la magie noire.
Ayant été amené à le voir en deux fois, je peux difficilement dire à quel point le film est bon. La durée fait peur, mais il me semble que son souffle romanesque emporte très facilement, malgré le didactisme parfois assez pesant (automatique) de l'ensemble. Les rues menues du village sont déjà bouffées par un sens du sublime, par un vertige de la forme, qui n'ont pas a rougir de ce que j'ai vu de plus tardif chez Visconti.
Concernant le DVD : Film sans Frontière récidive avec une image molle et limite floue, avec sous-titres incrustés. Le cadre semble respecté et le film est relativement propre ensuite, donc on a vu pire... Il existe un autre DVD venu de je ne sais où (celui dont vient la photo), plus net mais un poil surfluidifié (je sais pas comment/pourquoi), avec des colorations parasites - et il existe pas de sous-titres français sur le net. Bref, dans l'idéal, vaut sans doute mieux le voir en salles.