La raison initiale pour laquelle j'ai voulu voir les
les Nuits Blanches, c'est que sur YouTube on trouve une reprise de
the Killing Moon d'Echo & the Bunnymen par Grant Lee Phillips (souvenez-vous, Grant Lee Buffalo) montée sur la scène où Mastroianni déambule en plan séquence en ville, pour oublier Matria Schell, qui le retrouve quand-même. L'association des deux fonctionnait bien (
https://www.youtube.com/watch?v=pi19fp4q1RY).
Puis je me souviens que dans l'adaptation de Bresson, Isabelle Weigarten dit "Merci de ne pas être tombé amoureux de moi", ce qui constitue sans dans doute le moment le plus libre et le moins systématique de son cinéma. Cela m'intéresait de voir comment le réalisateur d'Ossessione allait montrer la même phrase, alors que chez-lui elle pourrait au contraire relever du système ou du programme.
La langueur et l'artificialité de l'atmosphère de studio, l'hystérie froide et douce du jeu de Maria Schell
, le côté caricatural du jeu de Jean Marais, m'ont longtemps tenu à l'écart du film;
Toutefois quelque-chose de très fort se produit dans la scène de la danse, à la fois complètement baroque et d'une grande finesse sociologique (repérage lucide de l'importance Bill Hailey dès 1957, et établissement d'une sorte de lien direct entre la pantomine de la comédia dell'arte et le krumping hip hop), qui rend le film bouleversant, secret et répétitif, familier et codé comme peuvent l'être les fantasmes. La fuite de Maria Schell et la colère de Mastroianni fonctionnent comme le décodage, de ce fantasme à l'intérieur du rêve, la rupture avec l'ordre du symbole, au profit du sens qui fonctionne comme le retour et l'effacement d'une apparition, que le passage de la sensualité, ici une valeur sociale, collective, à la sexualité aurait maintenue et protégée (le film dit bien que la sexualité n'appartient qu'au réel).
Jean Marais, comme Maria Schell sont tous les deux caractérisés comme des
étrangers métaphysiques par exellence, tous deux non latins (dans le DVD interview intéressante d'un critique , Vieri Razzini, qui explique que le personnage de Mastroianni est plus latin que le personnage du roman, et par là, capable d'échapper par orgueil au tragique de Dostoïevski), placés, eux, directement à l'intérieur du rapport sexuel, mais sans avoir bersoin de cette sensualité, qui transparaît dans la scène de la danse, dans le regard de fou que lance le danseur ( d'ailleurs clône de Pierre Clementi, le film tisse des liens entre les époques) lance à Mastroinainni codé comme une loi.
Les étrangers, dans le film, ce sont sont des valeurs médiatisées séparément des situations . Le film, comme représentation d'une métaphysique, et donc d'un humanisme, ressemble d'ailleurs beaucoup à l'Etranger de Camus que Visconti a aussi adapté, mais avec le sexe non consommé qui se retourne en humiliation, à la place du meurtre de l'Algérien, qui sont dans les deux cas des alliances ratées. L'autre est l'échec d'une rédemption, non désirée, sceptiquement mise en doute, mais regrettée lorsqu'elle meurt . Le salut est-il un intérêt ? Il semble l'être pour l'étranger seul, mais pour moi, je n'en sais rien : ce qui est moral pour lui est pour moi de la fiction, et un labyrinthe de signes où se perdre à volonté.
Ce salut ressemble à la folie, qui prétend indexer directement l'intensité d'un désir sur la valeur de l'objet désiré, et Mastroianni reste toujours extérieur à cette logique, dans laquelle Maria Schell a déjà, avant que le film ne commence, sombré.
Il m'a semblé que le film est "picturalement" (mauvais mot et peut-être mauvais angle d'attaque, mais quand-même) est très influencé par Velasquez , notamment quand il montre la famille de Maria Schell, dans le flash-back extraordinaire sur l'atelier, où il recréée
les Fileuses ( la scène de la danse rappellle également le Triomphe de Bacchus, tout comme celle de la danse), sans que le lien ne soit clair
Mais aussi
Peut-être qu'il ya chez Visconti comme chez Velasquez ,une articulation entre deux idées opposées : il existe destin filé par des parques, déterministe, tragique, intentionnel mais illisible, car les parques elles-mêmes faillibles et partiellement conscientes, moralement oublieuses, mais restent des ouvrière techniquement douées : l'idée de destin ésotérique et prévu par un autre transforme paradoxalement le temps en technique. L'autre idée est la fuite du temps et l'evanescence "phénoménologique" du monde matériel et naturel, libre et précaire , ouvert et injustifié , dans lequel la mémoire est plus originelle que le sens et les valeurs, mais peut les dériver. Chacun de ces ordres, considéré séparément, pemet de représenter des silhouettes humaines de façon lointaines et passagère, au sein d'une action , mais lorsqu'ils se recontrent, se croisent, indiscernables, on a comme dans le portait d'Urbain VIII ou la scène de la danse des Nuits Blanches, le cadre où peut s'inscrire, autonome, le visage.
Le film représente une vision de l'amour qui, initialement, à l'échelle de 1957, pouvait apapraître abstraite et extérieure au champ social, mais qui finalement, à l'heure de Facebook et d'Instagram voire #metoo , est devenue commune et diffuse, et socialement située dans la bourgeoisie. Séparation mais intensité égale du tragique de l'histoire et de celui de la vie privée, la première relevant d'une logique de témoignage (les autres et finalement la société elle-même sont des instances d'enreigistrement), la seconde de l'expérience : la seule chose qui se choisit est la sexualité, qui devient un enjeu politique, mais en somme aussi une lutte pour ce que l'on a déjà, comme l'amour réciproque mais différé de Schell pour Jean Marais.
Ce qui m'a semble le plus poignant dans le film, c'est peut-être de voir le personnage de Clara Calamai, qui continue directement l'histoire des
Amants Diaboliques (qui n'en déplaise à Baptiste, est un film énorme, dépasser le film noir américain sur son propre terrain dans l'Italié de 1943, filmer de cette manière en extérieur avec des camérias énormes, choisir finalement de défendre le personnage du mari assassiné, qui échappe au fascisme par sa faiblesse, ce n'est pas insignifiant).
Dans le DVD Carlotta, deux interviews intéressantes du décorateur Piero Tosi (qui commente de manière vertigneuse l'animosité qui existait entre Pasolini et Visonti, mais aussi leur ressemblance psychologique, en réinsistant sur l'inceste dans les Damnés) et d'un critique appelé Vieri Razzini, qui émet l'hypothèse, qu'il présente lui-même comme contestable, que le retour au réalisme magique et l'abandon du néo-réalisme était peut-être une manière de rompre avec l'esthétique souhaitée par le Parti Communiste après la répression de Budapest, et finalement l'expression d'une foi déçue et morte).
Mastroianni est immense dans ce film, j'ai l'impression que l'interieur de la pension est d'ailleurs le même décors que celui qui servira quelques années plus tard pour son appartement dans "Mariage à l'Italienne" de de Sica. Là encore, comme avec Clara Calamai, les deux personnages semblent se prolonger l'un l'autre : le film paradoxalement le plus sociologiquement explicite fonctionnant comme le secret de la comédie tardive.