Je suis du club de ceux qui ont jamais rien vu de la série. Effectivement, le film fonctionne pour le non-fan : non seulement parce qu'il suit une ligne plutôt indépendante, mais aussi parce qu'il parvient à faire sentir les moments où on opère un lien vers les éléments de la série passée. Pas sûr, néanmoins, de ressentir émotionnellement ce que ça implique (à part pour l'apparition de Nymoy, ultra-charismatique) : sous le torrent de fun béat, on sent que le projet reste celui de l'emboîtement continuel avec la saga (un peu comme ça pouvait être le cas dans
Star Wars III) - ce sera donc le récit de la constitution malgré tout, envers et contre tout, de cette équipe. C'est en tout cas le seul but valable que je trouve à ce scénar de voyage dans le temps à la fois un peu maigre et assez confus : jouer à cache-cache avec la possibilité que ce vaisseau, et sa saga, puissent ne pas voir le jour, me semble être une ligne d'horizon plus valable que les motivations chiantes d'un méchant transparent.
En tant que néophyte, qui ne voit pas assez de cet univers pour pouvoir m'intéresser à ses dimensions politiques ou utopiques, il ne me reste qu'un point d'accroche : Spock. A la fois pour son drame personnel (tiraillé entre deux mondes, entre l'envie de rester logique et les pulsions émotionnelles), et pour l'amitié presque interdite, et donc complice, qui le lie au capitaine humain - malheureusement pas à la hauteur (Chris Pine, mignon sans plus, qui s'invente un côté badass auquel on croit pas une seconde... je vois pas comment on peut avoir envie d'être ami avec une telle caricature d'aspirant yankee). Pour le coup, je trouve Abrams pas assez investi sur ce plan-là : on ramasse les miettes de la trajectoire de Spock à l'état de micro-scènes, au milieu d'un flux continuel sans respiration ni grands moments, parfois même sans véritable raison d'être (les bestioles des glaces, la plongée sur la foreuse... tout ça sonne un peu comme de l'action sans but). J'aurais préféré voir toute cette équipe apprendre à travailler ensemble et se lier, et non simplement s'envoyer des vannes en mode gimmicks, en ne nous donnant que l'avant-goût d'une émotion ici noyée dans un chaos de stimulis.
C'est justement la face la plus aimable du film : son côté space opera jusqu'au boutiste. De l'opéra littéralement : son et lumière. L'élan de dé-kitchisation, qui passe entre autres par un amour du bordel et du détail vériste (Chris Pine le sang au nez avec ses deux bouts de mouchoir, la caméra qui s'amuse à zoomer maladroitement à travers les SFX, le flare qui rentre accidentellement dans le champ...) trouve un miroir assez paradoxal dans un goût très clair pour l'abstraction (tableaux illisibles réduits à des sons, à des formes, à des couleurs, jusqu'à cette matière rouge dont la décharge graphique constitue un bien curieux climax). Cette explosion des éléments à l'écran (qu'encourage les multiples scènes de débris et ruines spatiales) pourrait permettre de varier justement, de faire le yoyo entre l'intimité de personnages que ce chaos met scénaristiquement en danger, et le ravissement de ces tableaux abstraits (un peu le même principe que chez Bay d'ailleurs, même si c'est autrement). Plus clairement : le lyrisme visuel et le lyrisme (souhaité) de cette histoire pourraient chercher à fonctionner ensemble, et à ne faire qu'un.
Mais ce rapport, Abrams ne le travaille pas tant que ça : à part pour l'ouverture, qui parvient assez bien à faire dialoguer les deux pour en déduire une puissance émotionnelle, ça se réduit souvent à une simple cohabitation. Sous ses airs de divertissement fun et rollercoaster, j'ai parfois l'impression que le maître à bord satisfait d'une part ses envies formelles (mener à bout la logique merveilleuse d'un
Star Wars, comme
Super 8 ira continuer le style Amblin), et d'autre part l'auto-défi d'un scénario devant méthodiquement reconnecter à chaque élément à la saga. Mais rien qui cherche réellement à faire fleurir un film à part entière, qui en l'état se contente d'abriter ces deux projets.