Attention, Bob's School of Writing puissance 1000.
(au passage, je vais mettre les "vrais" spoilers en balises hide mais je vais parler librement de choses vues dans les 3 premières bandes-annonces donc, lisez à vos risques et périls)
Exercice périlleux que cet
Episode VII qui ne peut se contenter d'être un bon film mais qui doit rassurer tout le monde, des fans qui ont vu le premier film de la saga en salles en 1977 aux enfants néophytes dont ce sera le premier film de la saga, des déçus de la prélogie aux actionnaires de Disney qui espèrent voire les 4 milliards de dollars dépensés pour le rachat de Lucasfilm justifiés, pour ne pas dire rentabilisés. Et au milieu de tout ça, les artistes Kathleen Kenney, Lawrence Kasdan et J.J. Abrams doivent y trouver leur compte.
Pourquoi ce récapitulatif de cette non-mince affaire? Pour bien situer le défi qu'Abrams & Co ont relevé et remporté haut la main.
Mais aussi pour donner une explication aux quelques imperfections du film, indéniables, qu'elles se situent au niveau du calibrage vis-à-vis du passif de la série, du fan service ou des défauts récurrents dans la filmographie du metteur en scène. J'y reviendrai.
Dès l'annonce du projet, avec les premières déclarations caressant la majorité des fans dans le sens du poil, évoquant un retour à la pellicule, aux décors en dur, la présence des personnages de la trilogie originale dont l'esprit serait recherché ici, allant jusqu'à s'inspirer de croquis non-utilisés de Ralph McQuarrie, il y avait de quoi craindre un film dont la seule ambition serait de coller au plus près à une recette. George Lucas a commis bien des erreurs sur sa prélogie, il ne se reposait pas sur ses lauriers. Il y avait des clins d'oeils aux précédents, du fan service pur, mais aussi des prises de risque qui lui auront valu nombre de
"c'est pas Star Wars ça" et autres
"Yoda il ferait pas ça" de la part des puristes. La mythologie campbellienne laissait place à une allégorie politique plus marquée, au grand dam de bien des aficionados.
Je vois de nombreuses critiques se réjouir qu'Abrams & Co ont réussi à retrouver l'esprit des originaux mais pour ma part, je n'en doutais pas. J'étais davantage préoccupé de savoir s'ils réussiraient à trouver quelque chose à raconter. Je suis donc ravi de pouvoir dire que les successeurs de Lucas ne se sont pas attaqué à cette suite sans proposer un point de vue. C'est en cela que le départ de Lucas, remplacé par une génération qui a grandi avec ses films, est la meilleure chose qui pouvait arriver à
Star Wars. Il ne s'agit pas simplement de se débarrasser du trop-plein de bestioles et de CGI (et de bestioles en CGI) mais d'arriver avec une vision différente. Abrams est un fan? Alors les personnages le seront aussi.
Et avec cette simple idée, le film trouve tout son sens.
En revêtant un aspect méta qui participe non seulement à l'aspect ludique général mais qui apporte une profondeur à la relecture assumée des modèles,
The Force Awakens amène une réflexion sur le culte de la nostalgie, celle-là même qui a animé le cinéma d'Abrams (son
Star Trek déjà mâtiné de
Star Wars, sa suite en hommage au plus célèbre méchant de la saga,
Super 8 en hommage à Spielberg) et qui guide présentement l'industrie cinématographique (américaine) qui engendre depuis quelques années ce type de suites/reboots/remakes/adaptations à foison.
En effet, Finn (John Boyega) et surtout Rey (Daisy Ridley) vivent dans un monde où Han Solo et Luke Skywalker sont plus que des célébrités, ce sont des figures mythiques. Ils sont les spectateurs. La guerre passée et les Jedi sont devenus légende, évoqué par un Han Solo qui n'est plus gouailleux et incrédule mais vieilli et croyant. La Force?
It's all true. Déjà dans
Super 8 les héros étaient de jeunes cinéphiles pour qui le fantastique devenait réalité par le biais du cinéma (c'est en visionnant leur court métrage en 8mm - leur film de Zapruder - qu'ils découvraient l'existence du monstre). Et en face, on a Kylo Ren (Adam Driver), un méchant qui, tel un fan avec ses produits dérivés, fétichise le casque de Darth Vader, autant la croix gammée du néo-nazi qui s'accroche aux symboles d'antan que le symbole de la saga
Star Wars en soi.
Là où on attendait une nostalgie exploitée en mode
fan service, on a de la mélancolie et une dénonciation du fanboyisme. C'est couillu de la part des scénaristes d'incarner ça de cette façon.
Si les premières scènes du film peuvent faire peur en recyclant vraiment point par point celles du film de 1977
, l'écriture a tôt fait de renouveler ou de détourner les archétypes dont elle s'inspire ainsi que les codes du monomythe. Poe Dameron (Oscar Isaac) est un peu Leia mais aussi Han Solo, version engagé et Errol Flynn, Finn est un Han Solo flippé, Rey autant Luke que Han, etc. Un
hero's journey se substitue à un autre et le film devient très vite l'anti-
damsel in distress movie, comme un mantra narratif, enquillant les scènes où l'héroïne demande à ce qu'on lui lâche la main, prouve qu'elle n'a pas besoin qu'on vienne la libérer et prend son destin en main. Avec
Mad Max Fury Road, c'est l'autre blockbuster en mode "la femme est l'avenir de l'Homme" dans une année marquée par des personnages féminins forts, complexes et/ou intéressants (
Inside Out,
Crimson Peak,
Tomorrowland,
Mission : Impossible - Rogue Nation).
Par conséquent, l'aventure se fait ludique à plusieurs niveaux, qu'il soit métatextuel ou textuel. Dans le souffle général et dans la mise en scène, aux relents une fois de plus davantage spielbergiens que lucassiens,
The Force Awakens est d'une classe et d'une énergie folle. À l'instar de
Mission : Impossible III et
Star Trek, le film témoigne encore une fois de l'obsession d'Abrams pour les fuites en avant non-stop au rythme effréné. Ça ne s'arrête quasiment jamais, quitte à emprunter de gros raccourcis dignes des scénarios de Kurtzman & Orci. Le hasard fait toujours bien les choses dans la façon dont les personnages tombent les uns sur les autres et le développement de certaines trames s'avère un peu précipité.
Il y a quelques morceaux de bravoure qui font preuve de bonnes idées dans leur représentation. Je pense notamment à tous ces plans larges durant la séquence avec le Millenium Falcon sur Jakku, alternés avec des plans qui nous plongent dans la subjectivité de la poursuite (ce long plan qui concluait le premier teaser)
Il manque sans doute un set-piece (surtout que celui avec les rahtar, qui réduit à des cameos les acteurs de
The Raid, n'est pas fou).
Et il n'y a pas que le récit qui est divertissant. C'est un film avec beaucoup d'humour et à ce titre, il est véritablement exemplaire. Pas de Jar Jar, pas de peluches. BB8 est utilisé à merveille et jamais omniprésent. C-3P0 a peut-être la meilleure introduction d'un ancien personnage de tout le film et est vite maintenu à sa place. Le
comic relief du film ne s'appuie jamais sur des gags faciles mais plutôt sur un humour vaguement post-moderne (sans tomber dans du Joss Whedon non plus). Et c'était déjà présent dans un gag de 1977 (quand deux Stormtroopers de garde discutent et l'un demande à l'autre
"t'as vu le nouveau VT-146?"). Si la structure calquant le squelette des précédents films peut sentir le calibrage, l'humour vient toujours naturellement.
C'est en grande partie grâce aux acteurs. Ford a vieilli mais assure toujours autant mais je pense évidemment aux nouveaux venus, tous absolument géniaux dans des rôles géniaux. J'aimais déjà Boyega, j'adore Isaac et je suis tombé amoureux de Daisy Ridley. Et de leurs personnages. J'avais qu'une envie : qu'on se débarrasse des vieux et qu'on me donne plein d'aventures avec ces nouveaux personnages. Derrière la comédie, il y a une vraie dramaturgie. Prenant bien soin de ne pas se noyer dans le tourbillon de sa Mystery Box, Abrams dresse en quelques traits les origines de ses protagonistes, orphelins en quête d'une famille typiques de l'auteur, et en lieu et place des héros sans peur et sans reproches de la trilogie originale, il y a ce trio de personnages en proie à la peur. Finn et Rey donc, refusant l'appel à l'aventure comme il se doit, mais également Kylo Ren, un antagoniste bien moins maître de soi que Darth Vader. On n'est pas dans les blockbusters post-11 septembre d'il y a 10 ans (
War of the Worlds,
Batman Begins et...
Revenge of the Sith, tous sortis en 2005) mais il m'est difficile de ne pas voir une résonance actuelle dans le film. Outre le Premier Ordre, qu'on peut apparenter à toute montée du fascisme, qu'il s'agisse des nazis d'antan ou de l'extrême-droite d'aujourd'hui, il y a, encore et toujours, l'opposition entre le Côté Clair et le Côté Obscur de la Force qui n'a plus d'analogie politique mais religieuse. Et dans cette optique, Kylo Ren fait figure d'islamiste radicalisé.
The Force Awakens est un passage de témoin, tantôt ludique mais surtout tantôt inquiet, d'une génération à une autre. Un retour jouissif dans un univers toujours aussi séduisant, dans son terreau thématique riche, dans ses personnages secondaires qui te peuplent un monde (parfaite Maz Kanata! intrigant Supreme Leader Snoke! charismatique Captain Phasma et effrayant General Hux même si on les voit peu) dans sa direction artistique, dans les sons de Ben Burtt. Le seul qui m'a un peu déçu, c'est John Williams. Où est le
"Duel of the Fates" de ce film? Son
"Across the stars"? Son
"Battle of the Heroes"? Et je parle que des films de la prélogie là...
En tout cas, après cet Episode VII qui remake les trois précédents (le début calque l'entrée en matière du IV, le milieu calque la deuxième moitié du V et la fin calque celle du VI) en un seul film pour opérer la transition, j'ai hâte de voir ce que va en faire Rian Johnson! Son
Episode VIII peut aisément être
L'Empire contre-attaque de ce nouveau
Nouvel espoir.
Déjà-vu a écrit:
Bientôt, la plus longue critique de l'histoire du forum par Film Freak.
Lol. Bien vu.