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MessagePosté: 01 Juin 2025, 19:00 
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1950. Anatole "Zsa-zsa" Korda, industriel énigmatique parmi les hommes les plus riches d’Europe, survit à une nouvelle tentative d’assassinat (son sixième accident d’avion). Ses activités commerciales aux multiples ramifications, complexes à l’extrême et d’une redoutable brutalité, ont fait de lui la cible non seulement de ses concurrents, mais aussi de gouvernements de toutes tendances idéologiques à travers le monde – et, par conséquent, des tueurs à gages qu’ils emploient.

Korda est aujourd’hui engagé dans la phase ultime d’un projet aussi ambitieux que déterminant pour sa carrière : le Projet Korda d’infrastructure maritime et terrestre de Phénicie, vaste opération d’exploitation d’une région depuis longtemps laissée à l’abandon, mais au potentiel immense. Le risque financier personnel est désormais vertigineux. Les menaces contre sa vie, constantes. C’est à ce moment précis qu’il décide de nommer et de former sa successeure : Liesl, sa fille de vingt ans (aujourd’hui nonne), qu’il a perdue de vue depuis plusieurs années.


Jusqu'à l'année dernière aucun film de Wes Anderson ne m'a jamais emballé. Probablement parce que je l'ai découvert tardivement en 2018 avec L'Île aux chiens, trop tard pour partager la hype de son début de carrière, nécessaire pensais-je pour supporter ses derniers opus mortifères et dévitalisés. Ça n'est qu'en découvrant Rushmore plus tôt cette année qu'il m'a enfin convaincu, mais dans un style beaucoup plus digeste, loin de son cinéma actuel de boîte à chaussures. Il n'empêche que malgré tout le mal que je pouvais penser de son cinéma, je conservais une certaine curiosité (voir un petit espoir) devant l'engouement qu'il continue de susciter chez certains critiques auxquels j'accorde encore foi. Au premier chef desquels la bande de Critikat, dont la couverture du festival du Cannes est chaque année plus complète, et dont la vidéo qu'ils ont pondu post projection de The Phoenician Scheme était peut-être ce que j'ai trouvé de plus convainquant cette année.



Et donc, je ne sais pas si cela vient d'une plus grande ouverture à son univers de ma part, ou d'une infime variation chez Wes Anderson, en fait probablement un peu des deux, je me suis très rapidement surpris à prendre beaucoup de plaisir devant son dernier film, que je pense assez nettement être celui que je préfère de son auteur, et de ce que j'ai vu de la compétition cannoise à ce jour de très loin le meilleur de toute la sélection (et donc comme il se doit nécessairement absent du palmarès). Pour ce qui est des thématiques absolument rien de neuf dans son univers, filiation et deuil sont une nouvelle fois de la partie. Sur la forme j'imagine que l'on pourrait également dire que l'on est dans la droite lignes de ses derniers (au moins depuis The Grand Budapest Hotel), même si j'y ai vu une rigueur qui ne m'avait pas sauté aux yeux auparavant (mais je n'exclue pas d'être passé à côté vu le peu d'intérêt que ses films précédents soulevaient en moi). C'est par contre dans le ton et la gestion de son casting que j'ai trouvé une vraie différence.

Fini les enchaînements de scénettes qui voient se défiler ses castings pléthoriques de stars, ici Benicio del Toro est pour ainsi dire de tous les plans (et aurait mille fois mérité le prix d'interprétation) ce qui assure une vraie ossature au récit (parfois confus, et dont globalement on se fout un peu). Quant au ton du film, que j'ai trouvé bien moins sentencieux et ampoulé que ses derniers, j'y ai trouvé une part d'auto-dérision qui permet de décompenser la rigueur de la mise en scène. Dès l'ouverture on est pris de vertige avec cette contre plongée zénithale et le ballet des infirmières qui s'affairent autour de del Toro dans sa baignoire. Mais rapidement Anderson va commencer à semer ses grains de sables qui viennent à intervalle irrégulier dynamiter ses soigneuses compositions, personnages que l'on expulsent hors champ par la droite ou par le haut, à l'inverse autres personnages qui entrent dans le champs par de léger travelling horizontaux, précision du montage qui se fait parfois (souvent) très abrupt, pour la première fois j'ai eu le sentiment qu'il cherchait à sortir de sa propre zone de confort, ou à tout le moins à en tester les limites. Sur la longueur ça produit un sentiment assez jouissif, à la fois riche d'expérimentations tout en étant extrêmement maitrisé, une œuvre très ludique que je n'exclue pas de revoir assez rapidement. Et peut être même me laisserai-je aller à revoir certains films plus anciens, afin de confirmer si c'est celui-ci l'anomalie ou moi qui suit définitivement passé à côté des précédents.


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MessagePosté: 01 Juin 2025, 22:06 
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(et donc comme il se doit nécessairement absent du palmarès)

Je ne comprends pas cette phrase...


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MessagePosté: 01 Juin 2025, 22:14 
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Qu’après Wang Bing l’année dernière et Serra il y a deux ans, les jurys cannois persistent à ne pas vouloir mettre les meilleurs films en compétition à leur palmarès.


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MessagePosté: 01 Juin 2025, 22:33 
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Je trouve au contraire le palmarès de cette année quasi parfait (un peu dans le désordre comme d'hab).


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MessagePosté: 02 Juin 2025, 10:47 
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J'ai eu un peu plus de mal à me faire à celui-là qu'à ses quelques films précédents. Tout simplement parce que le scénario est clairement moins bon. Même si toujours aussi ludique et surprenant, le fond de l'intrigue qui n'est qu'un prétexte ne fonctionne pas totalement (cette histoire de "cover the gap" m'est passé totalement au-dessus de la tête). Mais difficile de faire la fine bouche devant l'espèce d'espièglerie du cinéma de Wes Anderson, son aspect le plus primairement enfantin. Que ce soit le concpet même de la narration, aller voir différents personnages qui ont tous des noms de méchants de BD ou dans les scènes elles-mêmes (ce concours de paniers de basket, le combat final) il y a toujours cet étincelle de naïveté enfantine et cartoonesque qui à chaque film réinvestit un plaisir extrêmement primaire du cinéma. Et comme souvent chez lui c'est contrebalancé par une certaine violence suggérée (ou pas, étonnemment le film se fait à de rares occasions assez gore). Ici un rapport à la richesse et à l'argent tout en monstruosité larvée. Et plus intimement une vision de la mort qui rôde à travers des séquences en noir et blanc brèves mais qui évoquent Le septième sceau de Bergman, quelque chose d'assez nouveau dans son cinéma. C'est là où pour moi Wes Anderson est absolument passionnant, dans cette manière de faire toujours la même chose mais jamais la même chose. Dans ce côté muséal mortifère de plans symétriques et d'objets inanimées mais bouillonnant de vie et de curiosité (j'aime beaucoup l'idée que le personnage de Benicio del Toro est un passionné d'entomologie). Et comme toujours le travail artistique est à tomber, je me régale en permanence. Beaucoup aimé le décor final qui m'a rappelé ces livres géniaux pour enfants de Karina Schaapman, Sam et Julie, des récits de deux souris dans de petites cases construites en dur. Belle découverte aussi que Mia Threapleton, géniale dans le rôle de cette religieuse pas si pieuse qu'elle en a l'air.

J'en suis donc sorti légèrement déçu mais finalement plus j'y pense et plus je l'aime. Réception cannoise indifférente assez incompréhensible.

Sinon je sais pas qui a eu l'idée des sous-tirtres mais c'est désastreux, ils passent de haut en bas en s'arrêtant au milieu, changent de couleurs sans arrêt. Comme si le cinéma d'Anderson était si "différent" qu'on ne pouvait pas avoir des sous-titres "normaux".

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MessagePosté: 02 Juin 2025, 11:46 
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Citation:
Réception cannoise indifférente assez incompréhensible.


Je crois que l'expo Wes à la Cinémathèque avait déjà rempli notre cerveau d'images andersoniennes.


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MessagePosté: 03 Juin 2025, 19:15 
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non mais on est pourris gâtés hein.
c'est un mec unique au monde. un artiste extraordinaire dans le game actuel et dans l'histoire du cinéma tout court.
un type avec un univers aussi fort, personnel, original et créatif. qui évolue dans sa bulle, avec une régularité parfaite, et les moyens de ses ambitions.
il ne se renouvelle pas assez ? bah c'est incroyable. il y a dans ce film, après 30 ans de cinéma et dans un sillon déjà creusé, autant de joie et d énergie et de passion et d idées qu'a ses débuts. avec, en plus, les avantages de la maturité et de l expérience : les liens ont été coupés avec le mainstream, il se fait confiance à 100% et le tout avec une maîtrise à couper le souffle et des collaborateurs qui sont tous exactement sur sa longueur d ondes - gene hackman faisait malgré tout du gêne hackman dans la famille tenenbaum, mais ici il y a les performances magiques de benicio del toro et michael cera, ce sont des acteurs géniaux qui comprennent totalement son univers.

et le résultat c'est quand même du grand délire. de chaque instant. il y en a une à la cinémathèque et je ne sais pas ce qu'elle vaut mais le jour où il y aura une vraie belle grande expo des props et costumes des films de wes ce sera dingo. chaque détail de ce film est parfait et hallucinant. à l intérieur de cet univers qui n'appartient qu'à lui, en dehors de tout univers connu. et tout est cohérent. chaque boîte, chaque étiquette, la moustache des figurants, le motif des papiers peints, le design des fauteuils, chaque typo a chaque fois que quelque chose est écrit quelque part est réfléchie adaptée et parfaite. le design de chaque lettre. le moindre costume est parfait, du dessin au tissu choisi, le maquillage de la nonne est absolument parfait. il y a le truc d'un réalisateur qui doit prendre 10000 décisions par jour. lui il a des collaborateurs d un niveau totalement hallucinant, et prend 100000000 décisions par jour - pour exprimer une vision artistique totalement personnelle et créée à 100%, c'est intégralement filmé en studio et chaque accessoire est construit pour le film. c'est vraiment vertigineux, un bain dans lequel se plonger, du porn complet, un festin pour les yeux, et ce goût, ce soin, cette élégance, cette maîtrise de la beauté artistique sous toutes ses formes (les morceaux de classique du film sont immenses, son élégance verbale fait passer l anglais pour une langue sophistiquée…) est le signe d'un cerveau supérieur au sein d une civilisation extraordinaire.

on est vraiment pourris gâtés et totalement blasés pour voir ça et se dire « ouais, du wes anderson, quoi… ».

après, j'ai toujours eu un problème avec lui, qui était qu'il n y avait rien d'humain dans ses films. ma théorie c est qu'il a un trouble autistique, ce qui explique à peu près tout y compris son incapacité à créer un être humain doté d'émotions normales dans ses films. ça me gênait puis une fois qu il s'est affranchi de ce truc qui l emmerde manifestement - les émotions humaines - tout est allé mieux entre lui et moi. son film qui me touche le plus c'est un dessin animé sur l'amour pour un chien. dont acte.
la c'est un super équilibre. il y a cette intrigue dont on ne comprend la logique que dans les grandes lignes. ces personnages absurdes. ce ton de bande dessinée. mais la vie rentre tout de même, ça parle quand même d un monsieur qui ne vit que par et pour son travail, de la difficulté de transmettre quand on est comme ça, de la faible importance du lien biologique dans ces cas là. la vie passe aussi à travers ce déluge d humour, d'une manière ou d une autre il y a quand même une blague par plan, j'ai vraiment rigolé du début à la fin.

je crois que le film est sous apprécié parce qu il est pris comme une partie de l ensemble de son oeuvre. c'est doublement injuste. déjà parce que même pris dans l ensemble de son oeuvre, cette tornade d idees a 56 ans pour son 12eme film céest délirant, et c'est une pièce essentielle dans la grande maison qu'est son oeuvre, dans laquelle on peut se plonger et se repaître de chaque détail. ensuite, parce qu'en tant qu'œuvre prise toute seule c'est un spécimen qui fonctionnerait comme étant extraordinaire et unique au monde.

voila, j'ai usé et abusé des superlatifs comme le dernier des fans de beyoncé mais j'ai vraiment trouvé ça :
incr.


Dernière édition par FingersCrossed le 04 Juin 2025, 11:38, édité 2 fois.

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MessagePosté: 04 Juin 2025, 09:17 
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On n'avait déjà pas les majuscules, on perd désormais les apostrophes et les accents.. :|

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après j'attaque les voyelles, accrochez vos ceintures !


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MessagePosté: 04 Juin 2025, 09:48 
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Ca va être incr :o

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MessagePosté: 04 Juin 2025, 11:13 
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A ma grande surprise j'avais beaucoup aimé Asteroid City, donc j'irai voir celui-ci


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MessagePosté: 04 Juin 2025, 13:35 
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J'avais adoré Asteroid City également, je ne compte pas manquer celui-ci. J'admire à quel point WA continue d'inventer, de radicaliser sa mise en scène, quitte à laisser le grand public sur le carreau (alors que Grand Budapest Hotel avait connu un grand succès, le pic de sa carrière en terme de popularité critique et publique). Le passage à l'animation avec Fantastic Mr Fox a complètement décuplé son inspiration, ses possibilité. Avant ça, son univers reste, à mon avis, à l'état de brouillon.

Concernant Cannes, il faudrait arrêter d'envoyer ses films en compétition, il n'obtiendra jamais rien, pas de grand sujet, trop de légèreté apparente, loin du dolorisme minimum obligatoire pour figurer au palmarès.

Hâte de voir celui-ci.


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MessagePosté: 08 Juin 2025, 22:10 
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Et bah je serai un pourri gâté qui s'assume alors car voici un nième film de Wes Anderson qui m'aura gonflé. J'en ai marre de ces personnages inexpressifs, de ce monde sans vie tout le temps montré de la même manière. Oui il y'a du style et c'est pour ça qu'à chaque fois je ne résiste pas à y aller mais tout ça est tellement mortifère depuis quelques temps, la poésie d'un Life Aquatic me manque terriblement.

Au-delà des lourdeurs que malheureusement je trouve de plus en plus prononcées dans son cinéma, cette fois je n'ai rien compris ou en tout cas rien ne m'a intéressé dans cette histoire de "cover de gap" et son assemblage de petites saynètes qui m'ont juste tiré quelques sourires.

Dire que fut un temps j'étais tellement enthousiaste... Je n'y crois plus du tout.

1-2/6


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MessagePosté: 11 Juin 2025, 15:18 
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My wife made me do it.

Le double KO consécutif de The French Dispatch et Asteroid City sur mon envie de vivre avait eu raison de mon assiduité maso avec le cinéma de Wes Anderson (fragilisé déjà par l'étouffant Moonrise Kingdom) mais un concours de circonstances force notre situationship à perdurer, ma femme ayant un jour de congé et m'ayant proposé de choisir entre ça, le Kurosawa et le Klapisch.

Et c'est pas plus mal.

En effet, dès le départ, j'ai trouvé l'inscription du récit dans un genre nouveau pour le cinéaste - en l'occurrence le film d'espionnage - salutaire à plus d'un titre. Non seulement cela apporte un peu de fraîcheur mais surtout, on revient à quelque chose de plus ludique qui m'est nécessaire pour supporter les sempiternelles figures de style formelles du metteur en scène. Je trouve ses travellings millimétrés appropriés à ce type d'intrigues à base de plan soigneusement huilé.

Je me suis surpris à sourire ou pouffer plusieurs fois, relativement entraîné dans cette histoire, pourtant vaguement imbitable/inintéressante d'un pur point de vue McGuffinesque, grâce au rythme porté par une excellente composition musicale de Desplat (dont je n'aime généralement pas le travail).

Le fait qu'il s'agisse aussi de ce que l'auteur a fait de plus proche de The Royal Tenenbaums et Fantastic Mister Fox (et The Life Aquatic peut-être) autrement dit l'histoire d'un patriarche vaguement toxique et coquin et le rapport avec son enfant a sans nul doute également joué dans mon appréciation...même si le film confirme qu'Anderson, en s'enfermant de plus en plus dans sa mécanique, a perdu en humanité et tout son dispositif créé une distance qui empêche toute émotion réelle.
Il en va un peu de même pour le fond politique, indéniablement présent mais tout de même un peu superficiel.

Par conséquent, le film n'est pas déplaisant mais pas particulièrement nourrissant.

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MessagePosté: 11 Juin 2025, 15:48 
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Art Core a écrit:
le fond de l'intrigue qui n'est qu'un prétexte ne fonctionne pas totalement (cette histoire de "cover the gap" m'est passé totalement au-dessus de la tête)
Mickey Willis a écrit:
cette fois je n'ai rien compris ou en tout cas rien ne m'a intéressé dans cette histoire de "cover de gap"
Le "gap", c'est l'écart entre l'argent investi par les associés de Korda et le coût réel du projet. Le groupe de bureaucrates qu'on voit au début (celui qui fait espionner Korda par le personnage de Michael Cera) a fait artificiellement grimper le prix des rivets pour l'empêcher de mener à bien son projet en le rendant trop coûteux, ce qui oblige Korda à rencontrer chacun de ses associés pour leur demander une rallonge.

Je trouve pas que cet arrière-plan politico-financier soit un prétexte, un simple McGuffin, parce que le trajet des personnages, c’est de finir par différencier relations d’affaires et relations familiales. Tout le long du film elles se superposent et se confondent : la fille de Korda est prise "en période d’essai", sans qu’on sache si elle est à l’essai comme son assistante ou comme sa fille ; Nubar, le principal rival en affaires, est un demi-frère de Korda… Dans le tout dernier plan seulement, on voit Korda payer sa fille, qui lui rend la monnaie au centime près – et après enfin, ils peuvent entamer une partie de cartes, c’est-à-dire entrer dans une relation désintéressée, sans calcul, pour le simple plaisir du jeu et du temps perdu ensemble.
Il s’agit bien de "régler ses comptes" avec le père, comme toujours chez Anderson, mais il faut comprendre l’expression dans son sens littéral aussi. La famille y est souvent pensée comme une société commerciale : le père est lié à ses enfants par des contrats, des testaments, qui font d’eux des employés, des associés, ou des précaires sans contrat bien clair, et cet entrelacs d’accords instaure des rapports de concurrence et de soumission semblables à ceux qui existent dans le reste de la société. La limite entre la famille et le reste de la société est plutôt floue d’ailleurs : les liens biologiques n’ont pas grand sens dans cet univers où tout se négocie, y compris la filiation : la famille est toujours constituée d’enfants biologiques plus ou moins déshérités, d’enfants naturels reconnus ou pas, d’enfants adoptés par lot de 9, de demi-frères et sœurs nés de différents mariages ou d’infidélités… Ce qui fait que la figure paternelle se confond plus souvent avec celle du patron ou du chef de bande qu’avec celle du père biologique.

Pas mal de ses films se déroulent à la frontière : île déserte ("Moonrise Kingdom"), territoires envahis, colonisés ("The Grand Budapest Hotel", "Mr Fox", "The Phoenician scheme"), désert à la frontière de la Terre et d’une zone militaire ("Asteroid City"), eaux internationales ("La vie aquatique"). Ce sont souvent des lieux à la souveraineté disputée, on ne sait pas trop qui y fait la loi. La question du territoire et des droits qui y sont attachés est au centre d’un dialogue du film : Korda affirme qu’il n’a pas de passeport parce qu’il n’a "pas besoin de ses droits de l’homme", il n'est le citoyen d'aucun pays, il n'est pas un citoyen du tout. Qu’est-ce qu’il veut dire ? On peut y entendre l’arrogance du tycoon à la Orson Welles (références à Kane et Arkadin évidentes ici), qui veut faire ce qu’il veut sans s’embarrasser d’aucun droit (Korda construit un barrage géant en comptant sur une main d’œuvre d’esclaves, comme un pharaon). On peut aussi y entendre le scepticisme du contrebandier qui navigue entre hommes de loi et gangsters et ne se fait guère d’illusions sur la prétendue civilité des premiers. Sur ce point, "The Phoenician scheme" ressemble pas mal au Scorsese de "Killers of the moon", où, quand on veut buter quelqu’un, on l’envoie d’abord signer un contrat chez un notaire ou un avocat. Le droit n’est pas ce qui régule et pacifie les rapports humains : c’est une arme aux mains des plus forts, et dans le far west des montages financiers, Korda n'a pas l'air d'être le plus riche ni le plus puissant ; il a l'air d'un simple entremetteur entre politiciens et businessmen, tous plus ou moins mafieux. Le fait est qu'à la fin, il est battu par plus fort que lui, comme souvent chez Anderson. Ses figures paternelles sont souvent des espèces de bandits, des parasites, qui veulent se tenir à la frontière du monde domestiqué et du monde sauvage. Dehors, c’est le monde sauvage : c’est le domaine du non-droit où règnent le loup ("Mr Fox"), le requin jaguar ("Le monde aquatique"), on ne peut que l’admirer de loin, dans sa beauté et son mystère. Dedans, c’est le monde domestiqué : celui du droit et des affaires, entièrement quadrillé par des relations d’argent et de pouvoir. Il s’agit pour eux (les pères ou ceux qui passent pour tels) de se tenir à la lisière de ces deux mondes, de piller les richesses du monde domestiqué tout en conservant la liberté du monde sauvage. Avancer en zigzag à la frontière du quadrillage, moitié Monsieur, moitié Renard.

Durant tout le film, Korda négocie sur deux plans : d’un côté ce qui est écrit, ce qui est consigné dans le contrat, et de l’autre ce qui n’est pas codifiable, et qui se joue sur un coup de dés ou un coup de folie (une partie de basket, les sentiments de la cousine Hilda, une balle que Korda prend à la place d’un associé…). C’est de ces transactions pour le moins romanesques que surgit à la fin le barrage géant dont il dévoile la maquette : monument pharaonique de l’ère du capital et des empires et grotesque pyramide à sa propre gloire (comme le Xanadu de Kane). En apparence, ce barrage est un exemple de rationalité économique, de domestication de la nature ; et en même temps, c’est le hiéroglyphe où peut se déchiffrer le destin romanesque de Korda.
C’est devenu une habitude d’associer la mise en scène réglée au cordeau d’Anderson à l’idée de "maison de poupée", au plaisir de la miniaturisation, quelque chose d’enfantin, etc. Mais on s’étonne ensuite que cet univers enfantin soit traversé par tant de moments violents et cruels. Cette comparaison est trompeuse, je trouve : il vaudrait mieux associer ses films à un autre imaginaire : celui du cadastre, des organigrammes, des plans et des cartes géographiques… Ces représentations schématiques ont quelque chose de géométrique, de rationnel, d’ordonné. Mais quand on en déplie l'histoire, comme ici, on mesure ce qu'elles recouvrent de brutalité, de folie.
Film Freak a écrit:
une excellente composition musicale de Desplat (dont je n'aime généralement pas le travail)
Je n'ai pas toujours écouté attentivement la bande-son, mais la plupart du temps, c'est du Stravinsky qu'on entend : le générique est tiré de "Apollon musagète" et le leitmotiv qui court tout le long du film, c'est un passage de "L'oiseau de feu".


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