aka Une bataille après l'autre
Ancien révolutionnaire désabusé et paranoïaque, Bob vit en marge de la société, avec sa fille Willa , indépendante et pleine de ressources. Quand son ennemi juré refait surface après 16 ans et que Willa disparaît, Bob remue ciel et terre pour la retrouver, affrontant pour la première fois les conséquences de son passé…Au-delà de ma propre réévaluation relative de la filmographie de Paul Thomas Anderson à l'issue de ma rétrospective, ma curiosité était attisée par ce nouveau projet d'un cinéaste imprévisible que les spectateurs des projections-test qualifiaient d'improbable "comédie d'action" et dont les influences multiples, si l'on s'appuie sur les films qu'il a sélectionné pour sa carte blanche sur TCM, vont de
La Bataille d'Algers à
Midnight Run en passant par
A bout de course et
La Prisonnière du désert.
Et c'est effectivement ce cocktail molotov que l'on retrouve dans le film, qui n'est qu'une adaptation partielle de
Vineland de Thomas Pynchon, et pour lequel la formule un peu évidente sera de dire qu'il s’agit du film qu'
Eddington aimerait être, une radiographie d'un pays en proie à ses démons politiques, traitée avec humour et violence, lorgnant vers le western...mais en vrai, j'ai surtout pensé à
Avatar 2?
Que l'introduction - qui dure, je sais pas, 25 minutes? Une demi-heure? 35 minutes? impossible à dire tant c'est à la fois dense et rapide - parvienne à raconter à la fois le mouvement politique, le couple naissant, et la relation avec l'antagoniste à venir, à une allure endiablée qui ne va jamais à l'encontre de la clarté, n'est pas forcément étonnant, mais que ce même rythme soit semblablement maintenu pendant les 2h40 du film témoigne de l'incroyable commande qu'un réalisateur peut avoir sur son film. Le découpage coule tout seul, dissimulant les plus longues prises aux mouvements fluides dans un tout aux plans plus courts. Ça tient limite du tour de magie. C'est un peu l'énergie de
Magnolia appliquée à une sorte de
road movie et c'est parfaitement approprié. C'est pas
Mad Max Fury Road mais on a cette même impression que le film démarre et ne s'arrête jamais vraiment.
Et le plus fort, c'est que c'est précisément ce que raconte le film. Une bataille après l'autre. Le mouvement ne peut jamais s'arrêter. La réalité finit toujours par te rattraper, et je ne parle pas simplement de la mécanique du film qui voit le passé des personnages ressurgir et menacer leur présent, mais de ce que cette intrigue symbolise politiquement, que l'on ne peut tout simplement pas ignorer le monde dans lequel on vit, au risque d'en finir victime. C'est notamment en ça que le film m'a évoqué celui de James Cameron, c'est peu ou prou la même histoire d'un héros révolutionnaire de jadis devenu conservateur depuis qu'il est parent - une autre bataille - et de l'héritage de la lutte.
La grande réussite du scénario est d'incarner sa thématique au travers de l'action, suivant une génération chercher désespérément à rejoindre l'autre et faisant du film un voyage (régulièrement amusant mais qui évite savamment la satire facile) dans l'Amérique d'aujourd'hui et de ceux qui l'habitent, de ses peuples importés de force, immigrés volontaires ou simplement colonisés, des quidams que l'on ignore être des combattants en loucedé, de la jeunesse qui résiste comme ses aînés, et de ses croque-mitaines au pouvoir et leurs sociétés à peine secrètes dont un ogre particulièrement vrillé.
En adoptant cette forme, l'ouvrage se dépatouille mieux que ne le faisait
Inherent Vice d'une intrigue similaire (quête d'une jeune femme par un mec foncedé aux prises avec une caste de puissants), le propos politique étant moins dilué.
Leonardo DiCaprio tient techniquement le rôle du protagoniste mais son parcours le rend surtout témoin d'un monde qui a continué là où lui s'est arrêté. D'ailleurs, si le film exploite en partie son aura de héros de jadis, il me paraît tout de même un peu surcasté, n'ayant finalement pas grand chose à jouer - les révélations sont surtout Teyena Taylor et Chase Infiniti - et là davantage pour assurer le véritable hold up opéré par Anderson sur la Warner (175M$ de budget pour un gars qui n'a fait quasiment que des "bides", chapeau).
Et l'argent est là, dans l'indéniable scope (enfin VistaVision) du film, qui passe de scènes de guerre civile à une poursuite dans le désert revisitant avec une tension accrue les chevauchées et les duels de western dans un inévitable dénouement par le genre fondateur (sur l'époque fondatrice) des États-Unis, comme pour revenir à la source des maux qui rongent le pays, au péché originel américain, au début de la lutte (tout comme l'antagoniste est poussé à gommer le sien, lié à l'autre tache dans la fondation de la nation).
A l'arrivée, si le film n'est évidemment pas au niveau des retours panégyriques de la presse US, c'est tout de même un gros morceau enthousiasmant et touchant dans son regard plein d'espoir vers l'éveil de la génération suivante, qui aura sa propre bataille (ou est-ce sans cesse la même ?), comme en témoigne le choix de la chanson finale.