Forum de FilmDeCulte

C'est dommage que Rivarol ait été récupéré par l'extrême-droite, ses mémoires qui sont un récit de la révolution sont assez géniales et s'appliquent à n'importe quel cycle politique, quand bien même il ne se terminerait pas en révolution sanglante. On se rend compte que sa position vaguement conservatrice est un centrisme, annonçant Tocqueville.

Maniac de Benjamin Labatut. Lecture un peu miraculeuse puisque trouvé dans la boîte à livre de l'immeuble et séduit par le pitch je me suis lancé sans trop savoir si j'irai au bout et au final on frôle le chef-d'oeuvre. Divisé en trois parties chacune consacrée à un génie scientifique dont le travail de l'un a nourri le travail du suivant de Paul Ehrenfest à John Von Neuman (la partie la plus longue du livre) et Lee Sedol, pas vraiment scientifique mais joueur de go totalement génial. C'est à la fois une plongée dans psychée complexe et souvent très sombre de ces hommes hors du commun et en même temps une espèce de traversée ultra flippante d'une certaine évolution qui va des mathématiques à l'intelligence artificielle la plus poussée en passant par toutes les expériences atomiques. Le livre est d'ailleurs (du moins sa partie centrale) un companion piece idéal au Oppenheimer de Nolan, traversant la même période, croisant les mêmes personnages et donnant une autre perspective sur tout ça.
Vraiment trouvé ça brillant, émouvant, flippant, impressionnant (John Von Neuman était limite surhumain, le CV du mec est absolument surréaliste) et dont l'idée de narration qui peut paraître artificielle (tout le livre est raconté par les différents témoins de ces personnages dans une réinvention de leur parole) fonctionne très bien parce qu'elle nous met au niveau des gens qui racontent le génie, dans une témoignage à la fois admiratif, pédagogique et plein d'incompréhension.
La dernière qui raconte un tournoi de jeu de go contre une intelligence artificielle (dont j'ignorais totalement l'existence) est construite comme un thriller super efficace.

Vraiment bluffé grand livre où j'ai appris plein de choses mais qui est parvenu à m'émouvoir, à me surprendre et à sans cesse prendre de la hauteur par rapport à ses multiples sujets.

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CroqAnimement votre

Ok, ajouté sur ma lettre au père Noël.

Le dernier cours de Bourdieu.
La partie sur le rapport entre Manet et Mallarmé est très belle. L'auto-identification de Bourdieu à Manet assez étrange (un prophète matérialiste qui fait de la révolution une Aufhebung plutôt qu'une rupture, et conserve finalement les institutions en en renouvelant le personnel, les identifiant de manière un peu hégelienne l'état à une totalité transformée, finalement contrainte d'influencer le réel par la contestation dont elle est l'objet. Il s'agit d'agir sur la valeur d'agents sociaux existants, et non de les supprimer ou remplacer - la révolution produit non une condition mais une légitimité) - et n'est pas sans rappeler celle de Sartre avec le Tintoret.

C'est aussi intéressant pour percevoir tout ce qui sépare Bourdieu du marxisme (qu'il voit comme une herméneutique), et une forme d'antagonisme radical qu'il trace entre la sociologie et "le social " : la première est moins une discipline que la saisie d'une forme de causalité immanente dans le réel, à la fois objective et masquée, pratiquement une ontologie transformée en texte, le second est déjà une chosification et est critiqué comme une illusion voire une image (l'opposition a un caractère platonicien au fond - hum là-dessus Bruno Latour n'a pas tort).

Mais ce qui est agaçant c'est le ton tous des cons sauf moi : tout le monde est flingué et n'a pas vu ce qu'il a enfin compris, Foucault, Barthes, même Zola (mais pas Fumaroli son collègue par exemple).
Il présente par exemple au début de manière très positive les thèses qui ont l'air super intéressante de T.J. Clark, un historien marxiste (britannique et pas américain comme le dit Bourdieu), de sensibilté debordienne, qui s'est intérressé à Courbet et Manet, avant de le démonter lorsqu'il expose dans la seconde partie le détail de sa thèse (la froideur et les différeces d'échelles dans entre les personnages d'un même plan des toiles Manet correspondrait à une forme d'aliénation dans le capitalisme ne touchant non plus les prolétariat et les classes subalternes, mais la grande bourgeosie au pouvoir elle-même) - comme s'il avait lu entretemps et tout récemment le livre et en avait été déçu.

Cette violence polémique, gratuite et stérile (même s'il s'agit peut-être d'humour et non de mégalomanie), me semble un travers des intellectuels français (et une parodie d'engagement politique), tandis qu'il semble y avoir eu au contraire dans le champ anglo-saxons une discussion riche et respectueuse entre T.J. Clark et Michael Fried, pourtant apparemment aux antipodes l'un de l'autre tant dans l'approche que la sensibilité politique.
Mais c'est riche.

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.

Jean-Paul Sartre