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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 02 Oct 2024, 13:22 
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Armand - Emmanul Bove

Troisième roman de Bove que je lis et troisième fois que j'adore. Tout petit roman se déroulant sur 48h et racontant tout simplement la rencontre entre un homme devenu bourgeois et un de ses anciens amis sans le sou le roman est d'une précision et d'une acuité psychologique comme j'en ai rarement lu. La manière de décrire chaque geste, chaque regard, chaque parole est d'une minutie renversante. Une page pour décrire comment le personnage quitte ses vêtements et se met au lit sans bruit pour ne pas réveiller sa compagne. Ca paraît fastidieux mais c'est passionnant parce que dans chaque mot, chaque phrase se dessine toute la complexité humaine, toute la singularité du personnage (qui reste très peu lisible, qui n'exprime finalement que très peu ses sentiments). Tout est décrit dans les gestes et dans la manière d'être un corps dans le monde. J'avais lu des comparaisons entre Proust et Bove et sans être du tout un spécialiste de Proust là ça m'est effectivement apparu comme évident dans cette écriture précieuse mais en même temps presque exclusivement descriptive. Ce moment où le personnage allongé pleure et réalise que la peau de ses tempes est plus fine que celle de ses joues et que donc il ressent plus les larmes que lorsqu'il pleure debout, c'est tout bête mais ça m'a bouleversé. Vraiment très grand même si d'une certaine manière décevant d'un pur point de vue romanesque.
J'ai choppé à Gibert un receuil de tous ses romans donc je vais poursuivre mais un auteur qui rentre sans problème dans mon panthéon personnel.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 02 Oct 2024, 14:15 
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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 04 Oct 2024, 07:19 
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L'unique roman de de De Chirico, écrit directement en français (superbement) au moment du surréalisme, un des livres préférés de Perec.
Fou et drôle, une sorte de Lautréamont trop paradoxal et contemplatif pour parvenir à une vraie cruauté, ou de Zarazousthra écrivant le Guide Michelin de la Mayenne. Difficile de cerner de quoi cela parle, malgré une forme d'évidence. De visions dans un bâtiment sérieux mais mélancolique, qui ressemble à un Consulat d'Allemagne à Melbourne. De délire auquel la solitude donne une apparence de rigueur et de sobriété. De sollipsisme déçu de s'ennuyer malgré son foisonnement et qui fini par regretter de ne pas rejoindre le monde. Dès la première phrase.


Tout ce qu’il y a de dur dans le monde : les pierres de la terre, les os des hommes et des animaux, semblait à jamais disparu ; une grande vague, grasse et irrésistible, d’une tendresse infinie, avait submergé toute chose et, au milieu de ce nouvel Océan, le navire d’Hebdomeros flottait immobile, toutes voiles pendantes

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 07 Oct 2024, 07:28 
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Dérision bienvenue du fascisme et des guerres africaines de Mussolini dans le livre de De Chirico (écrit en 1929). Derrière les visions et l'humour l'angoisse est bien là, et bien formulée (le fascisme comme christianisme renversé, en concurrence avec l'antique dont il voudrait faire son signe). Pas sans lien avec Salammbô voire certains Guyotat.

Livre étonnant.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 09 Oct 2024, 10:20 
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Quelques lectures.

Libra, Don DeLillo

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L'assassinat de Kennedy vu par DeLillo.

J'en avais touché quelques mots plus haut, mais mon enthousiasme initial est un peu retombé. J'ai vraiment pris mon temps pour le finir.
J'ai adoré tout ce qui touchait à Lee Harvey Oswald (le passage qui me reste le plus du bouquin est d'ailleurs son incipit) et à sa famille, j'ai aimé la richesse documentaire du truc, et DeLillo reste un styliste de premier ordre.
J'ai par contre été beaucoup moins convaincu par toute la dimension complot du bouquin, qui empile les complices interchangeables sans grand intérêt, incapable de vraiment donner du poids à cette droite américaine anticommuniste qui se sent trahie par son propre gouvernement. Du coup, c'est un bouquin qui se lit par à-coups, les plages d'ennui concernant le complot succédant au portrait brillant d'un homme qui voulait simplement qu'on le remarque.

J'en attendais plus après 40 merveilleuses premières pages, même si je reviendrai sans doute à DeLillo.

Dans la chaleur de la nuit, John Ball

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Court roman policier qui a inspiré le film de Norman Jewison de 1967. Un meurtre est commis dans une petite ville de Caroline du Sud et c'est un policier noir qui mène l'enquête.

C'est clairement le bouquin d'un progressiste américain qui fait la leçon aux Sudistes, et en cela, c'est un document historique de premier ordre, son didactisme maladroit (avec un personnage principal d'une perfection qui confine au ridicule) étant excusé par la force de son message (c'est écrit en 1965, au beau milieu des pires années de la ségrégation).
Malheureusement, c'est franchement mal écrit (les dialogues sont atroces), l'enquête au centre de l'intrigue n'est pas très intéressante, les personnages sont plats, avec en point d'orgue la romance la plus inutile et la plus nulle du monde, et c'est difficile de se passionner pour ce qui est clairement un roman de gare mineur qui ne doit sa survivance historique qu'à son message.
Bref, aussitôt lu, aussitôt oublié.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 13 Oct 2024, 13:05 
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En effet, l'été c'est la maladie, c'est le fièvre et le délire et les sueurs exténuantes, les lassitudes sans fin. L'automne, c'est la convalescence avant que ne commence la vie (l'hiver). «Oui, pensait Hebdomeros,cela parait étrange, cela me force à discuter avec mes semblables au risque de passer pour un détraqué et de sentir ensuite dans mon dos les moqueries des logiques, de ceux qui croient posséder la clef des causes et les effets et la table des valeurs pour quelque-chose en ce bas monde. Et pourtant, je suis sûr que cela n'est pas ainsi ; ce ne sont que des mauvaises habitudes et des faux mouvements que l'humanité, depuis son enfance, a coutume de faire, qui ont faussé la route à la vérité, ou qui plutôt , la cachant, l'entourrant de brouillard et de buée, la ternirent, lui conférant la couleur des objets qui l'entourent sur la terre, de sorte qu'elle se confond avec l'ambiance, et que l'homme distrait passe à côté d'elle, comme le chasseur passe, le fusil en bandoulière, auprès de la caille immobile qu'il n'aperçoit pas car la couleur de son plumage se confond avec celle du terrain où elle est posée.»

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 14 Oct 2024, 09:06 
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Armand - Emmanul Bove

Troisième roman de Bove que je lis et troisième fois que j'adore. Tout petit roman se déroulant sur 48h et racontant tout simplement la rencontre entre un homme devenu bourgeois et un de ses anciens amis sans le sou le roman est d'une précision et d'une acuité psychologique comme j'en ai rarement lu. La manière de décrire chaque geste, chaque regard, chaque parole est d'une minutie renversante. Une page pour décrire comment le personnage quitte ses vêtements et se met au lit sans bruit pour ne pas réveiller sa compagne. Ca paraît fastidieux mais c'est passionnant parce que dans chaque mot, chaque phrase se dessine toute la complexité humaine, toute la singularité du personnage (qui reste très peu lisible, qui n'exprime finalement que très peu ses sentiments). Tout est décrit dans les gestes et dans la manière d'être un corps dans le monde. J'avais lu des comparaisons entre Proust et Bove et sans être du tout un spécialiste de Proust là ça m'est effectivement apparu comme évident dans cette écriture précieuse mais en même temps presque exclusivement descriptive. Ce moment où le personnage allongé pleure et réalise que la peau de ses tempes est plus fine que celle de ses joues et que donc il ressent plus les larmes que lorsqu'il pleure debout, c'est tout bête mais ça m'a bouleversé. Vraiment très grand même si d'une certaine manière décevant d'un pur point de vue romanesque.
J'ai choppé à Gibert un receuil de tous ses romans donc je vais poursuivre mais un auteur qui rentre sans problème dans mon panthéon personnel.


Moins de 100 pages, voici la quintessence de l'écriture bovienne. Le souci maniaque du détail comportementaliste atteint ici une espèce de paroxysme : le moindre geste, en apparence insignfiant, se voit chargé d'un poids dramatique tellement exagéré qu'il en devient presque comique. C'est ce qui tire aussi l'écriture bovienne de sa propension à la grisaille des plus accablantes.

Citation:
"Nous restâmes ainsi quelques instants sans que je l’invitasse à entrer, sans qu’il prononçât un mot. J’étais gêné de ne pas porter de chapeau ni de pardessus, d’être chez moi devant lui encore dehors.
Enfin je m’effaçai. Il se retourna parce que chaque fois qu’il quittait un lieu il craignait d’oublier quelque chose, puis il entra. Les rôles m’apparurent un instant renversés. Il habitait l’appartement. Je lui rendais visite."


Citation:
"Je fermai les yeux avec l’espoir que dans l’obscurité je changerais, que ma détresse n’était que passagère. Mais j’avais les yeux ouverts derrière les paupières. La lumière jaune qui les traversait, très faible, me rappelait que le lustre était encore allumé. À cause de ce même désir qui me fait mordre les biscuits entiers de manière qu’ils me révèlent le demi-cercle de mes dents, je fermai les mains avec force pour que mes ongles laissassent une empreinte sur ma chair."


Ces espèces de jeux de miroir, dans une espèce de limbe, présentées par une langue faussement simple, sont extraordinaires.
Et cette inclinaison pour la mécanique des fluides :

Citation:
"À cause de nos corps, des étoffes déployées, des papiers-tentures, il faisait tiède dans l’appartement. J’allumai une cigarette. Au lieu de monter, la fumée, comme une buée, roula jusqu’au lit, s’étala contre les glaces en même temps que son image. Elle était grise. Le ciel était gris. Ce que je touchais, surtout le fer, la porcelaine, le marbre, était humide. Des femmes traversaient la cour. Le pain qu’elles portaient était enveloppé, malgré la pluie, dans du papier de soie."


Le lyrisme à la Perec, en moins distant, des listes de souvenirs finales est lui aussi extraordinaire.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 14 Oct 2024, 09:39 
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Oui extraordinaire. Il m'en reste énormément.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 26 Oct 2024, 09:21 
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Beaucoup aimé Anéantir de Houellebecq. J'en savais pas grand chose, et finalement j'étais "chez moi" avec ce regard sur la maladie, la vieillesse, les institutions dédiées à leur prise en charge et surtout sur ce que tout ça dit sur notre culture qui est déjà morte. Sans compter les références à Kaczynski. Roman plus long que les précédents, mais ça se lit toujours vite, toujours avec cette fluidité de roman de gare (dont l'auteur assume maintenant ouvertement l'influence, et même la superiorité sur la littérature "sérieuse" notamment d'après-guerre et c'est très bien comme ça). Cette longueur lui permet aussi d'assumer plus de tendresse simple et premier degré (Maryse l'aide-soignante, l'évolution du couple formé par Paul et Prudence), d'autant plus simple que plus rien ne tient vraiment, que ce n'est plus seulement la vie qui est fragile par nature, mais maintenant les gens à force d'être perdus (le regard porté sur le suicide d'un personnage, sans trop d'empathie, m'a paru très fort, loin des sentiers battus et des clichés, beaucoup plus proche de ce que les proches peuvent ressentir réellement). Ca et là, bien sûr, toujours ce talent pour se moquer des profils fictionnels dont quasiment tous les autres ont l'habitude de faire des héros. Et ça reste bien sûr très drôle par moments. Emouvant et intelligent. Il peut se permettre d'en faire son dernier.

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Looks like meat's back on the menu, boys!


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