Vu une seule fois il y a une vingtaine d’années en fin de soirée chez un pote sur canal sat. Je me souviens l’avoir mis à l’époque dans le même panier que Tueurs Nés et True Romance, à savoir le thriller-à-couple 90’s déjanté et accablant qui demande une certaine endurance.
Comme Dune, il s’agit d’une adaptation de roman. Le romancier en question, Barry Gifford, collaborera à l’écriture de Lost Highway et un de ses autres romans sera adapté quelques années plus tard par Álex de la Iglesia (Accion Mutante, Le jour de la bête) avec Perdita Durango, personnage incarné ici par Isabella Rossellini et dans ce second film qui est techniquement un spin-off, par Rosie Perez. Dans mes souvenirs, il passait aussi en boucle sur les chaînes du câble à cette époque-là. Je l’avais lui aussi classé instinctivement dans la même catégorie.
Bref. Grosses flammes au générique, brutalité de la scène d’intro, gros riffs de métal honteux à des moments honteux. Bonne ouverture pour l’histoire d’un amour pur et sincèrement débile, avec ce fameux couple qui passe littéralement toute la première moitié du film soit à baiser soit à se chauffer pendant qu’une conspiration criminelle est mise en marche pour les séparer.
Sans réelle surprise, c’est un de ses films pour lesquels Lynch rechigne le moins à expliciter ses intentions, « a picture about finding love in Hell. » Et ça résume bien le truc. L’enfer dont il s’agit, c’est le même depuis Blue Velvet : prédation criminelle, dont le marquer principal est toujours une volonté de contrôle physique et mental par la violence sexuelle infligée aux femmes (le sérail de Mr. Reindeer, variation sur le One Eyed Jacks de Twin Peaks, mais aussi le trauma de Lula, l’infâme buck breaking que Bobby Peru lui fait subir etc.). C’est aussi le monde au sens large, comme montré dans la scène d’une recherche de station de radio qui diffuserait enfin de la musique plutôt qu’une litanie d’atrocités insupportables. Frank Booth incarnait déjà la menace d’une contagion du mal, présenté par Dorothy comme une maladie qu’il avait placé en elle. Dans Wild at Heart (magnifique titre, magnifique image poétique lancée par Lula en pleurs), c’est la pandémie. Et le seul remède, c’est l’amour.
Niveau antagonistes, c’est un régal. Marietta, en termes d’abject, n’a rien à envier aux autres monstres de la filmographie de Lynch. Un monument de déviance, de vice et de cruauté, en contraste radical avec la greluche attachante qu’est sa fille (chaud de faire incarner la paire par une vraie dyade mère/fille… qu’on retrouve d’ailleurs brièvement dans Inland Empire avec le même courant souterrain de menace et d’envie autour de la sexualité). Avec les sœurs Durango (incontournable Grace Zabriskie, qui incarne une version bas-fonds de Marietta, et Rosselini, donc, en plus discète et vicieuse) on a là une magnifique brochette de féminité toxique spectaculaire qui consacre une nouvelle fois l’approche équilibrée du réalisateur, loin de la masse matrixée.
La B.O. tue, les numéros musicaux aussi. L’avalanche de baise et de conversations sur l’oreiller me fatigue assez vite, et l’intersection entre la simplicité, le simplisme même, de Saloir et Lula (même si Laura Dern est, comme toujours, incroyable à chaque instant, et Cage fait du cagecore), le cadre de l’adaptation (donc moins d’idées originales) et la volonté affichée, par les références au Magicien d’Oz, d’évoquer une ambiance de conte contribue, comme Dune, à circonscrire Lynch dans un cadre qui fait parfois pré-défini. Mais il y a régulièrement des moments incroyables, outre la scène d’intro : la séquence de va-et-vient entre la conversation en bagnole du couple et le lancement de la conspiration de leurs adversaires ; les flashs de l’incendie ; l’accident de bagnole, si dramatique ; la rengaine de Sailor sur sa veste en peau de serpent ; Harry Dean Stanton constamment à la ramasse ; le cow-boy et l’homme d’affaire au motel ; tout le braquage, entre la gueule impossible de Willem Dafoe, la réaction de Sailor à sa chute, les blessés qui rampent dans leur propre sang…
L’impression d’ensemble, c’est que Lynch est encore dans son high comico-sexy du démarrage de Twin Peaks, peu de temps avant la descente infernale entamée par Fire Walk With Me qui durera jusqu’à Inland Empire. Ca finit bien, c’est mignon, c'est même carrément beau et malgré la noirceur ambiante il y a encore de la place pour une naïveté enfantine (on y voit d’ailleurs le seul enfant depuis celui aperçu de dos dans Blue Velvet, avec le même sens, et il faudra attendre 2017 pour qu’ils réapparaissent de manière plus ambivalente). Très fort et attachant.
_________________ Looks like meat's back on the menu, boys!
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