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MessagePosté: 24 Juil 2023, 09:40 
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Ça fait sens, bien vu pour le terme bouillonnement et l'image jointe, et merci pour la réponse !

Je suis en train de lire Les milles yeux de Brian De Palma, et je me rends compte de mon erreur, à priori c'est pas Holly dans la scène de filature comme je le disais ci dessus. Alors je suis d'accord avec Gontrand, je ne comprends pas bien l'attitude de Gloria, j'aurais trouvé ça logique que ce soit Holly...

Et autant j'ai souris un peu malgré moi durant le plan de Body Double, autant pour Blow Out, pas du tout ?


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MessagePosté: 24 Juil 2023, 22:26 
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C'est une bonne remarque mais j'interpréterai ce formalisme esthétique comme étant l'inverse d'une manifestation d'une libido irrépressible.


Le personnage de Jake Scully est claustrophobe, mais cette phobie est liée à une forme d'abstraction. ll n'y a pas un lieu plutôt qu'un autre qui suscite ses crises d'angoisse, il les éprouve aussi bien dans l'atmosphère sombre de la tombe du tournage que dans le souterrain qui va vers la mer où la lumière est blanchâtre. Par ailleurs, il n'est pas non plus attiré par les espaces vastes, la liberté ne le rassure pas. Il fait preuve d'un goût pour la promiscuité et le voyeurisme, et est sexuellement plutôt timoré et fétichiste malgré son métier. Cela donne en fait l'impression que la claustrophobie est un milieu qu'il s'est créé, une forme de mauvais foi existentielle, un mode de fonctionnement plutôt qu'une limite.

Plutôt que la claustrophobie, il semble en fait terrorisé par l'idée de changement de milieu et c'est l'inconnu plutôt que l'enfermement qui est une menace, ou plutôt que l'inconnu le regarde et le connaisse déjà : c'est de la lumière au-delà du tunnel, ou bien du fait d'être regardé de l'extérieur enfermé que provient la peur, plutôt que du tunnel lui-même. Il fantasme l'extérieur (la nature?) comme l'autre qui le désire immobile, l'enfermement est une intention de l'extérieur, abstraite et purement psychologique. Lorsqu'il embrasse (de but en blanc, sans relation préalable) la vraie Gloria Revelle (ou plutôt, lorsqu'elle l'embrasse) lors de la scène de souterrain, la caméra tournoie autour d'eux, neutralise l'espace, se décolle de l'espace, et le remet sans qu'il ne marche, par un trucage, à l'entrée du souterrain. C'est donc que l'enfermement est tout aussi bien le lieu de sa jouissance.
C'est bien-sûr un faux claustrophobe (et une fausse mer, une fausse peur).

Il est par ailleurs obligé de supposer que ce qu'il convoite est inaccessible, mais possède une nature pourtant identifiée dès le début, et nettement séparée de son milieu de départ. La séparation entre l'intérieur et l'extérieur est toujours explicite et tranchante, à la fois massive et conventionnelle, le basculement entre la tombe et l'atmosphère du plateau tournage au début et à la fin du film est à chaque fois brutal : une lumière latérale qui arrive , en même temps que la voix du réalisateur - un flash, une briéveté empathique quand les sources d'angoisses sont lancinantes et répétitives.
D'où peut-être l'idée d'une mer démontée, mais dont le rivage serait carré, rectiligne et taillé à la serpe : le caractère brutal de la coupure est l'indice d'une altérité à la fois irréductible et programmée. La netteté géométrique de la séparation entre les milieux permet aussi à De Palma de créer une sorte d'économie psychique où l'altérité érotique des femmes pour Scully et l'extériorité du milieu urbain de Los Angeles sur la ville elle-même sont complètement identifiées. Singulièrement, il qualifie l'homme menaçant d'Indien alors que rien dans sa physionomie ni ses vêtements ne justifie ce nom - c'est un fantasme, alors que le criminel réel est bien ancré dans la géographie post-moderne de Los Angeles en étant propriétaire de la Chemosphère.

A l'inverse, le simulacre fonctionne chez De Palma comme une rationnalisation et une réduction de l'altérité, il rend le monde familier et introduit du dialogue et de l'échange : le personnage de Mélanie Griffith, qui le trompe, est bavard et terre-à-terre, presque fraternel, alors que celui de la vraie Gloria Revelle est fiévreux et incohérent (et satisfait trop vite et trop complèment Scully). On le voit aussi dans le gag de l'actrice qui précise qu'elle a ses règle, pour le rassurer de quelque chose qui serait plus terrifiant que le faux sang (mais en même temps intégrable dans les conventions bourgeoises): la mort jouée n'a pas besoin d'être expliquée, car elle n'a pas de conséquence, quand dans la réalité la moindre blessure est perçue comme un risque.

Pour Frankie Goes to Hollywood, je ne pense pas que le film les ait lancés. Ils étaient originaire de Liverpool, et produits par Trevor Horn, bien ancrés dans la culture britannique et leurs des textes sont plutôt anti-américains. Mais leur présence introduise une touche gay (que De Palma filme comme sulfureuse voire décandente - il est vrai que le texte n'est pas particulièrement subtil) dans le film, fonctionnant comme un adjuvant assez gratuit.
Le clip originel de Relax vaut le détour, mais va plutôt chercher dans l'esthétique de Cruising de Friedkin, avec une touche de Derek Jarman. D'une manière général leurs clips (ainsi que ceux de Holly Johnson, leur chanteur, quelques années après - le groupe n'a pas duré longtemps) sont des plus intéressants et témoignent d'un imaginaire très cinématographique . Celui de Welcome to the Pleasuredome est un vrai court-métrage pas si éloigné dee l'atmosphère films de Greenaway et il me semble que De Palma a emprunté un peu la situation de Snake Eyes (un film permanent, autour d'une scène circulaire, qui cature et en même temps dilue le meutre pour un public qui doit lui aussi être figuré, qui d'une certaine façon est la télé) à celui de Two Tribes (malheureusement bien d'actualité)


https://www.youtube.com/watch?v=pO1HC8pHZw0

https://www.youtube.com/watch?v=lrnvPCSP6Q8
(grosse influence de Georges Clinton palpable là)

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 25 Juil 2023, 10:04, édité 1 fois.

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MessagePosté: 25 Juil 2023, 10:04 
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C'est toujours bien de mettre en perspective ce qui relève d'une simplification. Jake Scully est claustrophobe, mais la mise en scène de sa claustrophobie est particulière. Le film raconte bien qu'il est resté coincé derrière un frigo en jouant à cache-cache (sardine en VO) d'où le trauma d'enfance produisant sa phobie. Aussi parler des pulsions (libido ou pulsion de mort) ne veut pas dire que les hommes les réalisent sans frein; chez Freud il est même toujours martelé que les hommes sont mus par les pulsions mais les dévient, les transforment, les répriment, systématiquement. L'art serait sublimation des pulsions, les fétichismes leurs perversions etc. Ce qui est intéressant chez De Palma c'est qu'il a tendance à élargir ces questions sur le plan politique, et en tant que "commentaire" souvent sardonique du cinéma comme activité symbolique, etc.

De Palma son père trompait sa mère, et il a effectivement suivi son père médecin pour prouver l'adultère, planqué une boîte devant son cabinet qui prenait des photos mécaniquement pour capter les entrées et les sorties. Ce que remet en scène le plus clairement Pulsions (Dressed To Kill). Ses films rejouent mais modifient et diffractent ce souvenir d'enfance, ici il voulait la plus longue scène de filature possible (plus longue que celle de Vertigo), sans qu'elle soit ennuyeuse, d'où les nombreux artifices qui la ponctuent.


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MessagePosté: 25 Juil 2023, 10:31 
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Chez Freud la pulsion est proche de la notion de phénomène en philo, c'est l'intériorisation par le corps d'une énergie (electrique) reçue du monde extérieur. Elle vient du dehors (qu'elle masque, c'est un représentant) et non du sujet. En étant détournée et transformée elle joue pour le sujet un rôle génétique (elle devient une fonction plutot qu'une signification, comme si les deux devaient forcement se compenser). Mais bizarrement elle n'est pas reliée à une représentation du systéme nerveux central, mais liée à ce qu'il appelle le frayage, finalement le fonctionnent des nerfs (perçus presque comme des capteurs).
Avant l'introduction du conflit surmoi/moi, je ne crois pas qu'il y ait chez Freud de notion d'un système psychique central dont les composant ont des fonctions différenciées.

Par contre, massez finement, dans l'essai sur le narcissisme, il présente le psychotique comme une personne dominée par le surmoi plutôt que les pulsion, dont les délires et tentatives de personnifier le monde et les choses est une forme de vocalisation du surmoi, comme s'il était traumatisé par la conscience du fait que la morale ne se traduit que par des énoncés, n'a pas d'équivalent matériel objectivable, transformant a son tour celle-ci en poussée destructrice pour le sujet.

Il me semble que j'ai oublié de dire un truc que Trevor Horn (peut-être que les voix féminines, jusqu'au beuglement, mais invisibles et mécaniques de Video Kills the Radio Stars ont raisonne avec une forme de misogynie chez de Palma - dans ce film les femmes sont les mieux placées pour simuler leur féminité et personne ne remarque que Mélanie Griffith sacrifie son propre désir pour maintenir celui de Jake Scully, hypocrite acteur porno qui veit continuer à jouir de la même manière comme dans la solitude)

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MessagePosté: 25 Juil 2023, 15:52 
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Sans vouloir exagérément tartiner, ce me semble une lecture par trop transcendantale de Freud, non les pulsions ne peuvent être rabattues dans la notion de phénomène, non la place du sujet chez Freud n'est pas celle-ci, pour ça qu'on le catégorise chez les penseurs modernes.

Derrida tente une opération similaire (de rabattre une pensée moderne dans la tradition philosophique para-ontologique) dans la question du frayage, de l'inscription mémorielle, dans son commentaire de la métaphore freudienne du bloc-notes magique - rien d'autre que l'ancêtre technique constitué d'un fin bloc de résine (ou de cire) et de deux feuilles, cirée et de celluloïd, des ardoises magiques, sur lesquelles on peut tout effacer et réécrire à l'infini (la feuille de celluloïd), bien que les traces soient durablement conservées (dans la résine ou la cire). Freud dans ses Huits études sur la mémoire et ses troubles, qui contient ces courtes Notes sur le bloc-notes magique (1925) évoquait les neurones, donc une composante du système nerveux central, bien qu'il recourt principalement à l'expression "système Pc -Cs" (préconscient-conscient).

Mais De Palma n'est pas freudien et je ne veux pas l'y réduire. D'ailleurs Müller qui pestait contre les films à trauma peut se réjouir de ce film où le trauma est ridicule (coincé derrière un frigo) et où le traumatisé est manifestement le dindon de la farce.


Dernière édition par Cyniquotron le 25 Juil 2023, 16:13, édité 1 fois.

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MessagePosté: 25 Juil 2023, 16:10 
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Il y a quand-même des métaphores bizarres, opaques et maladroites, mais aussi suggetives, sur les pulsions chez Freud, dans un texte de la métapsychologie, il compare les motifs pulsionnels partiellement refoulés (mais pour cela accessibles à l'analyse)...aux métis de peau. Avec l'idée qu'elles ne peuvent révéler que leur origine, comme malgré elles. Il introduit également une notion de légitimite/illégitimite dans le destin des pulsions (elle trouveraient leur fin dans la reconnaissance du sujet), et formule l'accés à la conscience comme un quasi-droit concédé ou dénié à la pulsion, introduisant en même temps une notion de légalité et d'échec dans le devenir des pulsions, une quasi affectivité eprouvée par la pulsion elle-même. Une transformation de la pulsion qui n'est d'ailleurs pas tout à fait leur sublimation

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MessagePosté: 25 Juil 2023, 17:19 
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Cyniquotron a écrit:
D'ailleurs Müller qui pestait contre les films à trauma peut se réjouir de ce film où le trauma est ridicule (coincé derrière un frigo) et où le traumatisé est manifestement le dindon de la farce.


Pas vu, mais le depalmaposting en ces terres est suffisamment riche et intriguant pour piquer ma curiosité.

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