C'est une bonne remarque mais j'interpréterai ce formalisme esthétique comme étant l'inverse d'une manifestation d'une libido irrépressible.
Le personnage de Jake Scully est claustrophobe, mais cette phobie est liée à une forme d'abstraction. ll n'y a pas un lieu plutôt qu'un autre qui suscite ses crises d'angoisse, il les éprouve aussi bien dans l'atmosphère sombre de la tombe du tournage que dans le souterrain qui va vers la mer où la lumière est blanchâtre. Par ailleurs, il n'est pas non plus attiré par les espaces vastes, la liberté ne le rassure pas. Il fait preuve d'un goût pour la promiscuité et le voyeurisme, et est sexuellement plutôt timoré et fétichiste malgré son métier. Cela donne en fait l'impression que la claustrophobie est un milieu qu'il s'est créé, une forme de mauvais foi existentielle, un mode de fonctionnement plutôt qu'une limite.
Plutôt que la claustrophobie, il semble en fait terrorisé par l'idée de changement de milieu et c'est l'inconnu plutôt que l'enfermement qui est une menace, ou plutôt que l'inconnu le regarde et le connaisse déjà : c'est de la lumière au-delà du tunnel, ou bien du fait d'être regardé de l'extérieur enfermé que provient la peur, plutôt que du tunnel lui-même. Il fantasme l'extérieur (la nature?) comme l'autre qui le désire immobile, l'enfermement est une intention de l'extérieur, abstraite et purement psychologique. Lorsqu'il embrasse (de but en blanc, sans relation préalable) la vraie Gloria Revelle (ou plutôt, lorsqu'elle l'embrasse) lors de la scène de souterrain, la caméra tournoie autour d'eux, neutralise l'espace, se décolle de l'espace, et le remet sans qu'il ne marche, par un trucage, à l'entrée du souterrain. C'est donc que l'enfermement est tout aussi bien le lieu de sa jouissance.
C'est bien-sûr un faux claustrophobe (et une fausse mer, une fausse peur).
Il est par ailleurs obligé de supposer que ce qu'il convoite est inaccessible, mais possède une nature pourtant identifiée dès le début, et nettement séparée de son milieu de départ. La séparation entre l'intérieur et l'extérieur est toujours explicite et tranchante, à la fois massive et conventionnelle, le basculement entre la tombe et l'atmosphère du plateau tournage au début et à la fin du film est à chaque fois brutal : une lumière latérale qui arrive , en même temps que la voix du réalisateur - un flash, une briéveté empathique quand les sources d'angoisses sont lancinantes et répétitives.
D'où peut-être l'idée d'une mer démontée, mais dont le rivage serait carré, rectiligne et taillé à la serpe : le caractère brutal de la coupure est l'indice d'une altérité à la fois irréductible et programmée. La netteté géométrique de la séparation entre les milieux permet aussi à De Palma de créer une sorte d'économie psychique où l'altérité érotique des femmes pour Scully et l'extériorité du milieu urbain de Los Angeles sur la ville elle-même sont complètement identifiées. Singulièrement, il qualifie l'homme menaçant
d'Indien alors que rien dans sa physionomie ni ses vêtements ne justifie ce nom - c'est un fantasme, alors que le criminel réel est bien ancré dans la géographie post-moderne de Los Angeles en étant propriétaire de la Chemosphère.
A l'inverse, le simulacre fonctionne chez De Palma comme une rationnalisation et une réduction de l'altérité, il rend le monde familier et introduit du dialogue et de l'échange : le personnage de Mélanie Griffith, qui le trompe, est bavard et terre-à-terre, presque fraternel, alors que celui de la vraie Gloria Revelle est fiévreux et incohérent (et satisfait trop vite et trop complèment Scully). On le voit aussi dans le gag de l'actrice qui précise qu'elle a ses règle, pour le rassurer de quelque chose qui serait plus terrifiant que le faux sang (mais en même temps intégrable dans les conventions bourgeoises): la mort jouée n'a pas besoin d'être expliquée, car elle n'a pas de conséquence, quand dans la réalité la moindre blessure est perçue comme un risque.
Pour Frankie Goes to Hollywood, je ne pense pas que le film les ait lancés. Ils étaient originaire de Liverpool, et produits par Trevor Horn, bien ancrés dans la culture britannique et leurs des textes sont plutôt anti-américains. Mais leur présence introduise une touche gay (que De Palma filme comme sulfureuse voire décandente - il est vrai que le texte n'est pas particulièrement subtil) dans le film, fonctionnant comme un adjuvant assez gratuit.
Le clip originel de Relax vaut le détour, mais va plutôt chercher dans l'esthétique de Cruising de Friedkin, avec une touche de Derek Jarman. D'une manière général leurs clips (ainsi que ceux de Holly Johnson, leur chanteur, quelques années après - le groupe n'a pas duré longtemps) sont des plus intéressants et témoignent d'un imaginaire très cinématographique . Celui de Welcome to the Pleasuredome est un vrai court-métrage pas si éloigné dee l'atmosphère films de Greenaway et il me semble que De Palma a emprunté un peu la situation de Snake Eyes (un film permanent, autour d'une scène circulaire, qui cature et en même temps dilue le meutre pour un public qui doit lui aussi être figuré, qui d'une certaine façon est la télé) à celui de
Two Tribes (malheureusement bien d'actualité)
https://www.youtube.com/watch?v=pO1HC8pHZw0https://www.youtube.com/watch?v=lrnvPCSP6Q8(grosse influence de Georges Clinton palpable là)