Tonton a écrit:
Déjà-vu a écrit:
Bravo et merci pour ton texte Müller, en particulier ce paragraphe :
Citation:
Film courageux enfin parce qu’il traite des violences sexuelles comme de la menace d’un anéantissement mutuel. Leland est possédé par un incube, ce qui pourrait être interprété comme une simple allégorie qui serait alors particulièrement maladroite, puisqu’elle le disculperait au nom d’une pirouette poético-freudienne. Mais l’incube en question (le fameux Bob) souhaite aussi posséder Laura. Il s’agit par conséquent d’un personnage à part entière, avec ses propres motivations, pas seulement d’une métaphore : Laura est la victime de Leland qui est la victime de Bob. Anéantissement mutuel donc, mais aussi global, bien au-delà des limites du foyer, de la ville de Twin Peaks et du monde sensible — thème qui sera plus amplement exploré dans la saison 3 dont le film donne bien plus le ton que les deux saisons initiales : la destruction d’une personne y équivaut au risque de celle de l’univers.
Si vous avez un peu de temps, pourriez-vous élaborer là-dessus, ça m'intéresse. Merci.
L'infliction de violences sexuelles est toujours le marqueur d'une absence d'empathie de la part de l'agresseur. Toujours. Autant la violence tout court, parfois même la plus radicale, peut être légitimée d'un point de vue humain (je parle pas du point de vue légal) envers par exemple quelqu'un qui t'agresse, agresse un proche, tente de s'introduire chez toi etc., autant les violences sexuelles sont systématiquement un marqueur de profond dérangement psychique. C'est un indicateur infaillible de désensibilisation à l'autre en tant qu'humain à part entière. L'absence d'empathie est un des symptomes, entre autres, de ce qu'on appelle les troubles de la personnalité.
Leland Palmer est présenté comme un père qui viole sa fille depuis plusieurs années, dans des moments où il est possédé par un incube. Si la série et le film sont très ambivalents quant au fait que Leland soit conscient ou non, lorsqu'il est possédé, de ce qu'il fait à sa fille, ils sont au contraire très clairs concernant la perception de Laura : elle ne voit que Bob dans ces moments, jusqu'au moment où elle découvre, pendant l'acte, qu'il s'agit en fait de son propre père.
Mais tout l'arc de Leland est celui d'un père déchiré entre l'amour qu'il a pour sa famille, et le souvenir, ou le rêve, de ce qu'il a fait à Laura, ou plutôt de ce que Bob, qui a une volonté propre, lui a fait faire et qui le hante. Leland n'est pas un personnage d'agresseur sexuel dénué d'empathie, qui prend plaisir, sans honte ni remords, à imposer des rapports sexuels à sa propre fille. Donc il subit de plein fouet les conséquences psychologiques de la violence sexuelle qu'il inflige sous l'emprise de Bob qui le force à faire ça : Leland s'effondre donc en miroir de sa fille. C'est particulièrement flagrant dans la série, où il se met à divaguer, à regresser et suscite l'incompréhension agacée des autres. Même si dans le film il est présenté comme une figure terrifiante, il y a deux ou trois moments où Lynch le filme en train d'être "dépossédé" par Bob : sa posture s'affaisse, son visage se décrispe et il se met aussitôt à pleurer. Leland n'a pas la personnalité d'un violeur, il n'a pas cette absence d'empathie qui permet de passer à l'acte et de continuer. La souffrance que Bob lui fait infliger, il la subit lui aussi.
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