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MessagePosté: 17 Oct 2019, 21:56 
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Quand Martin Scorsese fait un film comme Le Loup de Wall Street, avec cette virtuosité narrative qui renvoie évidemment aux Affranchis et à Casino, retrouvant un sens du rythme qui manquait à Shutter Island et Hugo Cabret, il est facile de l'aimer, de s'y lover confortablement. Ça c'est le Scorsese qu'on connaît et qui nous régale. Et en même temps, Le Loup de Wall Street apparaît, au bout de 45 ans de carrière, comme le genre de film que le cinéaste pourrait réaliser les yeux fermés. Ses deux précédents étaient moins convaincants mais avaient le mérite d'être différents. À l'annonce du projet, de la réunion de Scorsese et de son premier acteur fétiche, de leurs tentatives de sortir Joe Pesci de sa retraite, et ce pour un nouveau film situé dans le milieu du crime organisé, il y avait à la fois de quoi se réjouir et de craindre la redite. Il n'en est rien. Quand The Irishman renvoie aux Affranchis, c'est pour mieux s'en démarquer. Pour mieux le désacraliser même. Les contes de Scorsese ont toujours été moraux, ses protagonistes finissant toujours condamnés pour leur hédonisme criminel, mais son dernier opus se fait plus désabusé que jamais. Hanté par la mort, The Irishman est un ouvrage dense qui voit Scorsese revisiter le genre qui a fait sa renommée avec le regard rétrospectif d'un homme plus proche de la fin que du début. L'épopée subjective et touchante d'un homme à tout faire des coulisses de l'Amérique.

Dès le premier plan qui rejoue le plan-séquence des Affranchis dans un hospice, le ton est donné. L'inévitable voix off qui démarre alors se transforme presque littéralement en divagations d'un vieil homme parlant tout seul, Frank Sheeran dit "L'Irlandais", relatant à qui veut bien l'entendre la légende de sa vie, de simple livreur de barbaque congelé à Judas de la pègre, croisant le destin de certaines figures-clé de l'Histoire des États-Unis, comme un Forrest Gump de la mafia. Pour autant, ce rise & fall est défait de tout le glamour propre à ce type de récit. Jamais Frank - ou ses "collègues" - ne jouit ni ne se complaît dans une quelconque vie de luxe comme pouvaient le faire Henry Hill, Ace Rothstein ou Jorda Belfort. Au contraire, le film montre dès le départ comment le crime organisé s'apparente à un vulgaire métier. Ce n'est pas pour rien que la branche des mafia italo-américaine et juive spécialisée dans les assassinats était surnommée "Murder Inc.", comme s'il s'agissait d'une entreprise comme une autre.

Le livre dont est tiré le film s'appelle I Heard You Paint Houses, qui se traduit littéralement par "j'ai entendu dire que vous peigniez des maisons" et servait d'euphémisme pour décrire l'acte de tuer quelqu'un, couvrant les murs de la maison de sang. Une expression de main d'oeuvre qui sied parfaitement aux exécutions de Frank, dépourvues de quelque émotion que ce soit, et toujours brusques, montrées à chaque fois en un plan large, rendant la chose tristement froide et banale. Quand Frank nous explique quelle arme choisir parmi l'arsenal posé sur son lit, il n'y a aucun fétichisme, la réflexion est purement utilitaire. Les BO sous forme de juke box auxquelles Scorsese nous a tant habitué cèdent ici la place à des musiques douces et lentes qui s'étirent sur plusieurs scènes comme pour illustrer la routine d'un simple employé, suivant les ordres de ses supérieurs comme il le fait depuis la guerre au cours de laquelle il était déjà un criminel. La pègre a intégré l'industrie, la société et la politique et Frank a toujours été le bon petit soldat de ce système.

Un système violent qui ne peut donner que des fins violentes, comme dirait Shakespeare. Chaque figure de la mafia que croise le chemin de Frank est accompagnée d'un carton indiquant son nom mais également la façon dont il mourra, comme un memento mori. Même lorsqu'il met un peu plus d'emphase sur un meurtre, Scorsese éloigne sa caméra de l'action pour montrer les fleurs du magasin d'à côté. En un sens, la couronne à poser sur la tombe était déjà là. Un road trip sert d'ancrage narratif récurrent au gigantesque flashback narré par Frank mais ce voyage ne peut avoir résolument qu'une seule destination finale possible. The Irishman est une marche funèbre. D'ailleurs, on ne vous dira pas qu'il faut à tout prix, comme pour Roma d'Alfonso Cuaron, voir le film sur grand écran mais il est nécessaire de regarder en une fois les 3h30 de métrage tant la durée et le rythme font partie intégrante de ce que le film raconte. C'est pas un film qui se regarde en plusieurs fois (comme tous les films en fait #jdcjdr). Il faut sentir le temps passer comme Frank sent sa vie passer, dépasser celles de ses proches. À ce titre, le choix de garder les mêmes acteurs pour jouer leurs personnages à différents âges est tout à fait justifié. Voir les mêmes acteurs, ces mêmes acteurs qui étaient magnifiés dans Les Affranchis et Casino, vieillir et se décrépir sous nos yeux sur toute la longueur du film est des plus parlants. La technologie de rajeunissement numérique n'est pas toujours convaincante (il aurait fallu utiliser une doublure pour le corps de Robert De Niro quand il est censé avoir 40 ans parce qu'il est tout trapu, j'arrivais limite pas à savoir quel âge il était censé avoir jusqu'à ce que Joe Pesci l'appelle "kid") mais se prête en fin de compte assez bien à l'illustration d'un souvenir fantomatique de gens déjà morts (perso, j'étais davantage gêné par les faux yeux bleus de De Niro).

De Niro abandonne la plupart de ses mimiques pour un jeu d'une humilité émouvante tandis que Pesci surprend avec une performance toute en retenue dans un contre-emploi de mafieux calme. Face à eux, Pacino peut se permettre plus d'effusions en Jimmy Hoffa mais laisse petit à petit poindre les fêlures derrière la fougue. Quand ces petits vieux se mettent à se chamailler pour des histoires de retard ou de shorts ou qu'ils débattent sur l'achat d'un poisson, l'absurdité a tôt fait de rappeler leur humanité et donc leur mortalité. Ils ont beau avoir leur pyjama de vieux remonté jusqu'au nombril, l'un se drape toujours dans son orgueil, l'autre n'aura que sa culpabilité. L'inexorable cheminement de la dernière heure entérine le propos de Scorsese, montrant une fois de plus un protagoniste en proie au doute, avant de troquer le 35mm pour un numérique d'une clarté qui ne pardonne pas, à plus d'un titre. Mis à nu par une image d'une froideur clinique, Frank nous est alors montré comme l'a toujours vu sa fille dans les rares aperçus de sa vie domestique délibérément effacée de cette réminiscence subjective : seul et inexpiable.

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MessagePosté: 18 Oct 2019, 09:09 
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Film Freak a écrit:
mais il est nécessaire de regarder en une fois les 3h30 de métrage tant la durée et le rythme font partie intégrante de ce que le film raconte. C'est pas un film qui se regarde en plusieurs fois (comme tous les films en fait #jdcjdr).


Exercice difficile quand on est chez soi...pour un film aussi long. C'est aussi pour ça que je regrette de ne pas pouvoir le voir en salle même si je suis équipé d'un projo.


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MessagePosté: 18 Oct 2019, 10:13 
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Cantal a écrit:
Film Freak a écrit:
mais il est nécessaire de regarder en une fois les 3h30 de métrage tant la durée et le rythme font partie intégrante de ce que le film raconte. C'est pas un film qui se regarde en plusieurs fois (comme tous les films en fait #jdcjdr).


Exercice difficile quand on est chez soi...pour un film aussi long. C'est aussi pour ça que je regrette de ne pas pouvoir le voir en salle même si je suis équipé d'un projo.
J’ai presque envie de dire: exercice encore plus facile, non ? Car tu peux pisser, manger, commenter...

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MessagePosté: 18 Oct 2019, 10:24 
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Qui-Gon Jinn a écrit:
Car tu peux pisser, manger, commenter...


Des choses qui te déconcentrent du coup. Sans compter les appels, les messages etc


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MessagePosté: 18 Oct 2019, 10:29 
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Moi je lance le film à 21h30 et je peux te dire que je peux le voir d'une traite sans problème, personne m'appelle et m'interrompt (à part si ma fille se réveille).

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MessagePosté: 18 Oct 2019, 10:33 
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Cantal a écrit:
Qui-Gon Jinn a écrit:
Car tu peux pisser, manger, commenter...


Des choses qui te déconcentrent du coup. Sans compter les appels, les messages etc


Clairement, j'ai adoré le film mais chez moi c'est quasi sûr que j'aurais fait une pause à 2 heures pour pisser (même si j'avais eu moyennement envie) ou me chercher une verre d'eau... Alors qu'en salle t'es coincé, et en l’occurrence la durée participe à l'ambiance du film.

Bon je dis ça mais j'ai bien dû réussir à regarder Le Guépard sans pause. Disons qu'il faut vraiment se dire qu'on se met en mode séance, et si l'expérience de la salle disparaît un jour, on aura plus de mal à s'y astreindre.


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MessagePosté: 18 Oct 2019, 11:20 
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Qui-Gon Jinn a écrit:
Cantal a écrit:
Exercice difficile quand on est chez soi...pour un film aussi long. C'est aussi pour ça que je regrette de ne pas pouvoir le voir en salle même si je suis équipé d'un projo.
J’ai presque envie de dire: exercice encore plus facile, non ? Car tu peux pisser, manger, commenter...

Moi j'aurais préféré le voir au cinéma, J'AURAIS PU SI (1/576)


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MessagePosté: 18 Oct 2019, 11:53 
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Déjà-vu a écrit:
Moi j'aurais préféré le voir au cinéma, J'AURAIS PU SI (1/576)
T’aurais pu si tu m’avais RT.

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MessagePosté: 18 Oct 2019, 12:16 
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Même pas


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MessagePosté: 18 Oct 2019, 14:27 
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Film Freak a écrit:
The Irishman

Chanceux tiré au sort à la cinémathèque ?


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MessagePosté: 18 Oct 2019, 15:17 
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Il aurait écrit sa critique pendant la séance et l'aurait publiée une heure avant la fin du film alors.


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MessagePosté: 18 Oct 2019, 17:00 
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Cantal a écrit:
Qui-Gon Jinn a écrit:
Car tu peux pisser, manger, commenter...


Des choses qui te déconcentrent du coup. Sans compter les appels, les messages etc

Ça s'appelle le mode avion, frérot.

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MessagePosté: 18 Oct 2019, 17:01 
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Jerónimo a écrit:
Cantal a écrit:
Qui-Gon Jinn a écrit:
Car tu peux pisser, manger, commenter...


Des choses qui te déconcentrent du coup. Sans compter les appels, les messages etc


Clairement, j'ai adoré le film mais chez moi c'est quasi sûr que j'aurais fait une pause à 2 heures pour pisser (même si j'avais eu moyennement envie) ou me chercher une verre d'eau... Alors qu'en salle t'es coincé, et en l’occurrence la durée participe à l'ambiance du film.

Bon je dis ça mais j'ai bien dû réussir à regarder Le Guépard sans pause. Disons qu'il faut vraiment se dire qu'on se met en mode séance, et si l'expérience de la salle disparaît un jour, on aura plus de mal à s'y astreindre.

Une paise pipi c'est pas mater le film en deux ou trois fois/jours.

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MessagePosté: 26 Nov 2019, 23:26 
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Bon, en mode émotif...

Mais qu'est-ce qui s'est donc passé ce soir? J'essaie encore de comprendre pourquoi mes larmes ont coulés non-stop pendant les 30 dernières minutes de THE IRISHMAN, dernier film de mafia par Martin Scorsese, alors que ce genre cinématographique me laisse habituellement froid. Peut-être parce que le film donne l'impression d'être le dernier et grandiose tour de piste d'acteurs légendaires vieillissants (De Niro, Pacino, Pesci) et qu'il n'auront probablement pas la chance d'être réunis de façon aussi éclatante dans une autre production. Peut-être aussi parce que cette réunion au sommet avec le réalisateur Martin Scorsese (lui même en route vers ses 80 ans) crée une sorte de mise en abyme qui prend corps d'une superbe façon dans un récit sur la ténacité poussée à travers les années et la détérioration. C'est l'angle d'approche audacieuse qu'a pris Scorsese pour réinventer sa recette. Pas d'étincelles, mais des rayons et leurs derniers scintillements. Ici, le crime organisé n'est pas romantisé, ni héroisé, on nous montre plutôt sa banalité à travers des personnages un peu tristes qui subiront l'usure du temps. Rarement aura t-on vu regard aussi introspectif sur la mafia et la corruption. D'un côté, ceux obsédés par le pouvoir jusqu'au châtiment programmé, de l'autre ceux qui absorbent silencieusement les conséquences par fraternité en dépit de leur véritable famille. Tout ça dans une fresque échelonnée sur 25 ans qui permet de voir évoluer des personnages de la jeunesse à la putréfaction (Scorsese osant même étirer le récit jusqu'à l'hospice).

En recréant numériquement les traits iconiques du visage de jeunesse de Robert De Niro pour les opposer à ceux bien réels et usés du Robert De Niro d'aujourd'hui, le film participe à déconstruire de façon émouvante les images iconiques et les mythes que le cinéma a créé autour de la mafia. C'est d'ailleurs peut-être ce regard presque funèbre qui a causé chez moi ces débordements lacrymaux inattendus (alors que le film est très loin d'être sentimental et ne cherche jamais à tirer des larmes). The Irishman n'est-il pas témoin de la carrière entière de De Niro, et de celle de Scorsese? Il se pourrait donc que ma torsion du coeur ait été causé par cette impression rare d'avoir assisté à une projection importante, celle d'un chef-d'oeuvre testamentaire qui fait le bilan de toute une oeuvre (ooh, il y aura sûrement d'autres projets pour Scorsese, mais difficile d'envisager qu'il pourra faire un film aussi puissant que celui-là avant son champ du cygne). Probablement l'un des films les plus fort de la décennie, et l'un des plus forts du réalisateur point. En tout cas, une fermeture de parenthèse grandiose aux années 2010 aussi bien qu'au cinéma de mafioso de Scorsese. Un très très grand film qui sauve de justesse cette ère cinématographique un peu tiède.

À voir sur un grand écran de cinéma par obligation! Car découvrir ce film sur Netflix à travers un écran d'ordi serait de la plus haute tristesse. THE IRISHMAN appartient de toute façon à une autre époque, celle où le grand écran diffusait de grands films populaires intelligents à un public encore réactif.

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MessagePosté: 26 Nov 2019, 23:38 
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Erik Vonk a écrit:
À voir sur un grand écran de cinéma par obligation! Car découvrir ce film sur Netflix à travers un écran d'ordi serait de la plus haute tristesse. THE IRISHMAN appartient de toute façon à une autre époque, celle où le grand écran diffusait de grands films populaires intelligents à un public encore réactif.


Genre on a le choix...

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