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MessagePosté: 09 Juil 2019, 16:22 
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Pas trop d'idées préconçues sur le film avant de le voir hier sur Arte. Peut-être parce qu'il n'a pas eu trop de postérité, ce qu'il doit à son aspect circonstanciel qui fait qu'on lui reproche aujourd'hui d'être un mélodrame racoleur, d'un didactisme excessif, quand il n'est pas tout à fait dédaigné.
C'est l'attaquer sur un terrain tout autre que celui du cinéma alors que ce qui frappe, dès le générique qui se charge d'illustrer ce sentiment d'amour fraternel exprimé dans le nom de la ville, c'est le filmage vibrant, comme palpitant de Demme, en équilibre fragile entre la sensiblerie et la sensibilité. Ce dont on se rend compte pourtant in fine, alors qu'il arrive à son terme, c'est que le film ne joue pas du tout la carte du chantage émotionnel, ainsi qu'en témoigne le jeu de Denzel Washington, limité mais qui parvient à donner l'impression que son personnage reste comme au seuil de l'amitié qui le lierait à son client.
Le jeu de miroirs entre les discriminations subies par les afro-américains et par les homosexuels est beaucoup plus subtil que ce à quoi on pourrait s'attendre, n'est explicité qu'à une seule reprise dans le témoignage d'une collaboratrice de Tom Hanks, et Denzel Washington se définit tout au long du film comme l'avocat et père de famille qu'il est et non par sa couleur de peau - ce qui fait bizarre, avouez, à une époque où on prend toujours bien soin d'appuyer dessus, signe d'une certaine régression dans les représentations au nom d'un certain progressisme.
Pas de véritable climax finalement, en accord avec la relative discrétion dont le film fait preuve, mais des prouesses de cinéma et de scénario comme cette scène de plusieurs minutes où le personnage de Tom Hanks traduit un air d'opéra auquel il s'identifie pendant quelques minutes, ou une scène dans la bibliothèque qui opère le rapprochement entre l'avocat et son client. Les sommets émotionnels du film ont lieu en dehors du tribunal, ce qui le rend beaucoup moins manipulateur qu'on a pu le dire.
Le film exprime sans doute assez bien une psychose liée au sida dont ceux qui n'ont pas vécu l'époque ont peut-être peu idée : l'espèce de mélange de peur et de répulsion à la simple idée d'être en contact avec quelqu'un atteint du sida et qui m'a rappelé cette anecdote racontée par le biographe de Gore Vidal, pourtant gay, sur sa peur d'être contaminé en voyant Noureev, d'ailleurs mort en 1993, se baigner dans sa piscine.


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MessagePosté: 09 Juil 2019, 22:57 
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Tiens on l’a découvert en même temps alors.

Paradoxalement c’est un plutot mauvais film de tribunal, les échanges n’ont rien de tranchant, ça se répète même assez, et la scène de délibération d’ailleurs est soit inutile soit bâclée (voir les deux).

au point où j’ai été étonné du verdict, tant j’ai eu l’impression que le procès n’avançait pas, et surtout pas a l’avantage de Hanks. C’est peut-être là que le film verse dans un sentimentalisme malheureux, j’ai eu l’impression que le film, comme avec les jurés, nous poussait à nus apitoyer sur le sort de ce mourant en pleine décomposition sans réellement chercher à nous attacher à l’homme derrière


Par contre c’est vrai que je m’attendais à ce que le film en rajoute sur le parallèle avec les noirs, finalement il est très sobre à ce sujet et tant mieux !


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MessagePosté: 09 Juil 2019, 23:12 
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Comme tu le signales, ton avis fait état d'un paradoxe et, à mon avis, d'une contradiction. Tu reproches au film de ne pas être assez efficace, spectaculaire dans sa partie procès, ainsi qu'un manque de progression dramatique et ce qui te surprend en fait, signe de tes réflexes de spectateur, semble être l'absence de rebondissements du procès, dont le verdict, pourtant logique, t'étonne.
C'est une vision très paradoxale également puisque la contrepartie de ce manque de dramatisation est pour toi un "sentimentalisme malheureux", vision biaisée peut-être par des attentes inculquées de longue date par le cinéma hollywoodien et auxquelles le film de Demme se soustrait de manière fort intéressante pour justement ne s'en tenir qu'à l'humain, avec cette idée un peu vertigineuse, que c'est la maladie et la mort qui contribuent à rendre à ce jeune avocat brillant et ambitieux, ainsi qu'à tous les gens présents au procès, leur humanité.


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MessagePosté: 10 Juil 2019, 07:11 
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Je l'ai vu à sa sortie, au cinéma du village qui venait de rouvrir. L'impression qu'il m'en reste est biaisée par la chanson de Springsteen qui tournait en boucle à la radio et sur MTV (la B.O., qui contenait aussi un inédit de Neil Young, fut un succès commercial - c'était pour moi aussi la première fois que j'écoutais ces deux artistes, qui renouvelaient là leur public), cela rappelait l'esprit du Band Aid mais avec quelque-chose de plus sobre (ce type d'electro pop à message consensuel et triste où l'on sent l'influence de Brian Eno est vraiment la musique de l'époque, même Souchon avait un -bon- titre comparable à propos d'un immigrant, avec le même type de clip : C'est déjà ça. Ce genre musical a complètement disparu aujourd'hui, il correspondait peut-être à une aspiration de la classe moyenne en crise en conciliant un message moral et sophistication de l'esthétique), du moins en apparence (au contraire du Band Aid il fallait dire au public que l'on ne représentait pas l'autre mais quelque-chose d'intermédiaire entre l'autre et lui-même).

J'ai lu récemment une critique plutôt positive de l'époque dans les Cahiers du Cinéma. Selon eux, l'homophobie du personnage de Denzel Washington (le film date d'ailleurs de la même année que Malcolm X) compensait le fait, que comme juriste, il exerçait le même métier que le malade : "grâce" au maintient de ce préjugé pendant tout le film, le droit était à la fois l'instrument moral d'une réparation et une technique psychologiquement neutre

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
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MessagePosté: 10 Juil 2019, 08:34 
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bmntmp a écrit:
et auxquelles le film de Demme se soustrait de manière fort intéressante pour justement ne s'en tenir qu'à l'humain, avec cette idée un peu vertigineuse, que c'est la maladie et la mort qui contribuent à rendre à ce jeune avocat brillant et ambitieux, ainsi qu'à tous les gens présents au procès, leur humanité.


Alors disons que cette idée, si c’est réellement celle de Demme, ne me plait pas tellement.

D’ailleurs je souligne ce paradoxe justement car j’ai plutôt bien aimé le film, tandis que la partie « procès », qui est centrale, n’a pas tellement d’intérêt à mes yeux. Mais oui la rédemption du personnage à travers sa déterioration et sa mort me gêne un peu, s’il était resté en meilleur forme pendant le procès il (et donc les homosexuels, puisque c’est de ça dont il est question finalement, dans le procès et dans le film) serait jugé autrement ?


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MessagePosté: 10 Juil 2019, 09:56 
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Fair enough. Juste une précision, il n'y a pas de rédemption d'un personnage homosexuel, qui n'est pas le genre de Demme, de la même manière qu'on m'a pas un film sur la rédemption morale d'un trader ou d'un avocat cynique à la A propos d'Henry mais il y a l'idée sous-jacente, commune à bien des oeuvres humanistes, que la maladie redéfinit des priorités. Il y a un côté doloriste qui a pu susciter des débats mais qui n'est pas trop souligné à mon sens (on n'est pas dans l'ignoble The Leftovers) et qui est indissociable de ce qu'était cette maladie mortelle à l'époque où le film a été fait. Son objet n'est pas tant l'homosexualité en tant que telle qu'une forme de reconnaissance, qui passe par la douleur et la mort.
C'est pourquoi on a d'un côté par un exemple un homosexuel qui ne se reconnaît pas dans le film parce que certains aspects de l'expérience homosexuelle sont édulcorés, ce qui est lui faire un faux procès. Il lui reproche d'ailleurs cette distinction très nette que fait le personnage de Hanks entre sa vie professionnelle et sa vie privée, qui fait qu'elle reste un mystère pour le spectateur.
Citation:
The movie's single most awful moment comes when Tom gushes to these assembled relations--after warning them that bad things might come out about his private life (he once went, horror of horrors, to the baths and a gay porno theater) and learning that, surprise, they are with him 100%--"Gosh, I love you guys."

Il met en rapport deux scènes qui ont lieu à cinquante minutes d'intervalle : La réunion de famille où Hanks dit à sa famille que certains éléments de sa vie personnelle seront exposés à la vue de tous lors du procès et si tout le monde est ok avec ça. Bien sûr, ses proches font preuve en effet d'un soutien inconditionnel tout le long du film. Puis vient cette scène où les avocats adverses fouillent dans sa vie personnelle pour le décrédibiliser et où il admet avoir eu une relation sexuelle un jour dans un cinéma porno. Manipulation de la part de Demme ou malhonnêteté de la part du critique plus haut ? Compliqué dans la mesure où Hanks ne semble pas éprouver de culpabilité par rapport à cet épisode, que le film ni personne ne semblent le juger de ce point de vue mais qu'il est en vrai en même temps que sa douleur, marquée par sa difficulté à s'exprimer, est ce qui semble l'absoudre auprès de tout le monde. Donc oui, je comprends que ce soit discutable, mais il y a un côté subjectif dans la critique que dépasse l'idéalisme de Demme.
Un autre avis très émouvant sur le film : https://birthmoviesdeath.com/2017/05/02 ... l-me-a-man
et qui reprend justement, d'une manière compréhensive, les critiques formulées dans l'article que je cite un peu plus haut.


ça m'intéresserait de voir les nuits fauves, sorti un an plus tôt, pour comparer.


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MessagePosté: 10 Juil 2019, 10:33 
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Il y a presque la même scène dans Green Book
, avec un sens opposé, pour montrer l'humanité du personnage du chauffeur(un recul sur ce que Scorsese filme dans Taxi Driver en montrant une coupure entre la situation et sa symbolique morale et le complexe psychologique, son catholicisme le rend paradoxalement plus sensible à cette différence).

Cela dit l'époque n'était pas forcément plus éclairée que l'ère MeToo quand on pense aux campagnes qu'on dû affronter Georges Michael, Hugh Grant ou même Clinton (mais actuellement ce voyeurisme concerne toute monde car la vie privée est devenue une sorte de média).

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MessagePosté: 10 Juil 2019, 12:06 
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Ouais pour Green Book. Les deux films ont pas mal de points communs et suscitent un peu le même genre de critiques.
Je ne vois pas bien la comparaison que tu fais avec Taxi Driver par contre.


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MessagePosté: 10 Juil 2019, 12:29 
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Oui c'est complexe dans Green Book, la scène est improbable, mais rend le personnage du col bleu avancé politiquement : un traitement populiste (deplacé dans le passé) d'une réalité qui dans le présent ne l'est pas

Pour Taxi Driver le centre du film est quand-même le moment où de Niro invite - et perd - Cybil Shepherd dans un cinéma porno, ce qui le fait basculer complètement dans la folie christique.. La scène n'a pas de connotation moralisante, car de Niro confronte Cybil Shepherd au fait que le salut est déjà un scandale et lui reproche de ne pas être jusqu'au bout une Marie-Madeleine.

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MessagePosté: 10 Juil 2019, 13:08 
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Jamais revu depuis so sortie au cinéma. Je l’avais trouvé au mieux très moyen et assez hypocrite, mais sans doute nécessaire.

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MessagePosté: 10 Juil 2019, 13:26 
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Disons qu'on se demande si la compassion éprouvée envers Tom Hanks serait la même s'il n'appréciait pas l'opéra.


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MessagePosté: 10 Juil 2019, 13:34 
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J'avoue que le raisonnement m'échappe : pourquoi le fait que Hanks apprécie l'opéra incite-t-il davantage à la compassion ?


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MessagePosté: 10 Juil 2019, 13:57 
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bmntmp a écrit:
J'avoue que le raisonnement m'échappe : pourquoi le fait que Hanks apprécie l'opéra incite-t-il davantage à la compassion ?


Le type est quasi « l’homo parfait », qui n’a commis qu’une incartade dans sa vie et est atteint du sida.

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MessagePosté: 10 Juil 2019, 14:00 
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Merci Billy Budd


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MessagePosté: 10 Juil 2019, 14:13 
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Ce genre de raisonnement en dit plus long sur les préjugés des gens (qu'ils soient hétéros ou non) que sur le film.
Ce que tu appelles l'unique incartade de sa vie se présente de la façon suivante dans le film : l'avocate adverse lui demande "Have you ever had sex with anyone in that theater?" et il répond "once", ce qui ne veut pas dire qu'il n'était pas un adepte de pratiques sexuelles considérées comme un peu aventureuses. Il se borne à répondre à la question de l'avocate. D'ailleurs le film passe avec mansuétude sur le fait qu'il était avec son compagnon incarné par Antonio Banderas à cette époque.

Pour ce qui est de l'opéra, au début, on comprend, de manière quasi subliminale, qu'il en est passionné dans une scène avec Antonio Banderas chez eux, où l'on entend un morceau en fond sonore, ce qui fait tout d'abord correspondre son personnage à l'archétype du gay raffiné (raffiné n'exclut pas forcément, comme chacun sait, une certaine forme de dépravation). Mais ce n'est pas seulement quelque chose qui le définit comme quelqu'un d'éduqué, de poli, de cultivé, image qu'il aurait aussi renvoyée s'il avait aimé les Beatles ou Madonna ou si le film n'avait tout simplement pas évoqué ses goûts musicaux.
La scène avec l'air d'opéra qui vient peu après est un tour de force dans la manière dont il tire l'opéra de la simple référence cosmétique et sociologique pour jeter un pont entre Andréa Chénier et le sort du personnage et faire résonner l'expression d'un sentiment profond : il n'est plus question d'homosexualité mais de la mort. C'est comme si l'opéra était un esprit qui, à travers les siècles, s'exprimait à travers Tom Hanks. La référence culturelle est comme transcendée pour atteindre à une vérité humaine et universelle.

Combien de films pratiquent la citation pour ne rien en faire que de la décoration ? (D'ailleurs Denzel Washington, qui est censé être le stand-in du spectateur moyen n'en a rien à battre de l'opéra).


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