Mes 7 commandements pour faire grandir le cinéma français.
L'heure est venue pour moi de prendre des vacances, mais avant que je ne m'exile vers l'Ouest, j'aimerais faire part de ce qui, d'après moi, pourrait améliorer le cinéma français. Une analyse basée sur ce que j'ai pu observer au cours de cette année particulièrement intense, durant laquelle j'ai préparé mon moyen-métrage, ainsi que sur les nombreuses rencontres que j'ai pu faire à cet occasion. Comme certains le savent, je passe le plus clair de mon temps à scruter les évolutions du cinéma, qu'elles se trouvent à l'étranger où chez nous, et je ne peux m'empêcher d'analyser les causes et les conséquences des décisions prises par les poids lourds de notre industrie. Au delà des nombreux dysfonctionnements systémiques révélés, à raison, par Vincent Maraval, et du récent départ de Matthieu Kassovitz, je pense qu'il y' a de profondes inhibitions, névroses, blocages, liés à notre manière de penser et à notre psychologie. Il est temps de sortir de ce système archaïque et infantile, afin que le cinéma français puisse progresser à nouveau. Les grosses majors (Gaumont, Pathé...) n'ont aucun intérêt à ce que cette situation change, et rester chez soi à attendre que les choses évoluent n'apportera aucune modification. Voilà pourquoi je prend le risque de donner un coup de pied dans la fourmilière, dans l'espoir que cela suscite des réactions de la part de notre communauté, et puisse élever le débat.
Lorsque tous les marqueurs de notre industrie sont au rouge, et que moins de 11 films français ont dépassé le million d'entrée cette année, il convient de s'interroger sur ce qui pourrait être à l'origine des maux de notre cinéma. Ce dernier souffre en effet du syndrome de Peter Pan, à l'instar d'un adolescent qui refuserait de grandir, alors même que cette maturité est nécessaire pour que notre industrie franchisse un nouveau cap ; et pour cela, le cinéma français doit s'ouvrir.
1) Faire des films pour tous les publics : ce qui signifie proposer des expériences plus complexes et aller au delà des grosses comédies à répétition (Turfs, Astérix et compagnie...)
2) Changer notre façon de voir les choses : En tant qu'industrie, nous devons décider que la comédie et les drames sociaux ne sont pas la seule issue. Actuellement, nous sommes dans une situation où si l'histoire ne tourne pas autour de notre voisin ou d'un ami, les producteurs ne savent pas quoi faire. J'ai beaucoup de respect pour ces histoires là, mais je pense qu'il devrait aussi y avoir de la place pour un cinéma qui explore d'autres voies, notamment la science-fiction.
3) Mettre l'ambition au centre de tout : j'ai souvent pensé que les acteurs, techniciens et réalisateurs français étaient moins performants que leurs pairs américains, et que cela expliquait pourquoi la plupart de leurs films étaient meilleurs. Mais la réalité est que beaucoup d'acteurs majeurs de l'industrie manquent d'ambition, s'autocensurent ou se rabaissent ; il faudrait au contraire viser le meilleur pour chaque film et ne pas hésiter à tester des idées nouvelles ou des genres encore inconnus. Il faudrait arrêter avec la manie qui consiste à se sous-estimer pour ne pas paraître arrogant, et adopter l'attitude « sky limit » des américains. Tout est une question de volonté et d'ambition, mettre 100 millions de dollar dans un esprit médiocre donnera un film médiocre.
4) Se mettre rapidement au niveau en évitant le cloisonnement : C'est la suite logique du précédent commandement. Il n'est pas normal de considérer que moins de 5 films français sortent du lot, sur une production de plus de 200 par an, et pourtant c'est la triste la vérité. Je ne suis jamais sorti d'une projection française en me disant que c'était extraordinaire. La part des films français dans la consommation des moins de 25 ans représente moins de 10 % de ce qu'ils regardent, alors qu'elle devrait au moins représenter 50 %. La qualité visuelle et sonore de la majorité nos films n'est pas suffisante, il n'y a pas de soin apporté à l'étalonnage et à la musique pour que l'expérience globale soit plus intense. Les salles de cinéma ne sont pas équipées en THX et la plupart des films ne développe pas d'écriture sonore, essentielle à l'émotion et à la dramaturgie de certaines scènes. Beaucoup de réalisateurs US viennent de la publicité, où l'esthétique de l'image est poussée à l'extrême, tandis que les compositeurs tiennent un grand rôle dans la réalisation du film. Le son doit cesser d'être le parent pauvre du cinéma, car il offre autant d'émotions que l'image. Mettons l'accent sur des histoires ambitieuses, qu'avons nous à dire ? Montons nos films sur des scénarios intéressants, plutôt que sur des têtes connues, en arrêtant de sous-estimer le métier de scénariste. Cela vaut au cinéma comme à la télévision, les américains ont HOMELAND, Game of thrones, breaking bad, 24 heures chrono, How I met your mother, Sex and the city, True blood etc... Qu'avons-nous ?
5) Etablir de nouvelles relations avec Hollywood : Copier bêtement les films américains ne nous permettra pas d'atteindre leur qualité. Actuellement, certains films et séries françaises tentent de reproduire les schémas hollywoodiens en conservant les même méthodes de travail ; alors qu'il faudrait, à l'inverse, s'inspirer de la manière dont ils fabriquent les films pour les adapter aux histoires locales. Dans une plus large mesure, les 2 industries devraient plus et mieux travailler ensemble. Ce que fait actuellement Luc Besson, en investissant sur un Hollywood sur seine.
6) S'ouvrir aux talents du jeu vidéo et aux nouvelles technologies : Le monde a changé, on ne peut plus continuer à considérer que le jeu vidéo est un média pour enfants, quand le joueur moyen en 2013 à 35 ans. L'industrie interactive est devenue plus puissante que la nôtre, alors que le dernier Call of duty a rapporté 500 millions de dollars en une semaine. Les producteurs, réalisateurs et acteurs devraient s'intéresser à ce nouveau média en multipliant les collaborations et en surveillant de près cet univers : fréquenter des salons tel que l'E3, s'intéresser aux talents et artistes du jeu vidéo comme David Cage, Christophe Balestra, Hidéo Kojima, Warren Spector ou Shigeru Miyamoto..est la moindre des choses en 2013.
7) Responsabiliser le spectateur : S'ils veulent faire évoluer l'industrie, ils doivent soutenir les initiatives innovantes en les finançant. Le cinéma français doit permettre la cohabitation de toutes les approches, en allant du blockbuster au cinéma d'auteur en passant par la série Z. S'il veut grandir, le cinéma français doit sortir de sa bulle et ne pas être qu'un art. Il doit multiplier les rencontres et points de contacts avec d'autres acteurs et consommateurs : jeu vidéo, art, médias, musique, sport.
Et le spectateur tient une place importante dans tout cet écosystème : aller voir des films médiocres et vous en aurez encore plus, allez voir des films excitants et ambitieux et vous en aurez plus.
Soit nous continuons à attendre que la situation change pour nous, soit nous contribuons à la changer. J'aime ce média, mais je refuse de continuer à m'investir dans une industrie infantile, baignant dans ses certitudes.
Voilà ma vision, aux autres acteurs et créateurs de participer maintenant au débat...en espérant qu'il le souhaitent.
Yannick Morel
|