Bon, comme je siège aussi régulièrement en commission, comme je connais aussi bien l'envers que l'endroit du décor, je me sens un peu obligé de répondre.
Qui-Gon Jinn a écrit:
Tom a écrit:
Demande de subvention avec matériel visuel, et non seulement écrit, c'est séduisant sur le papier, n'est-ce pas vouloir de force mener le cinéma vers un horizon (formel, maniéré) qu'il n'a forcément à être ? Est-ce que c'est pas partir vers un autre diktat ? Ou peut-être laisser à chacun le soin de présenter son projet via le matériel qu'il souhaite ?
Sachant que le cinéma c'est d'abord des sons et des images, ça me dépasse totalement qu'on ne demande que de l'écrit. Je pense qu'encourager/obliger à montrer des images en pousserait certains à dépasser l'horizon littéraire/mental dans lequel ils enferment parfois leurs films.
J'ai toujours en tête les superbes courts métrages de Godard, qu'il envoyait en commission lorsqu'il préparait un long métrage... C'est une question importante, la présence d'images dans les dossiers de demande d'aide : d'autant plus, vous vous en doutez, en matière de documentaire. Il y a cette espèce de mauvaise foi, dans ce domaine, à devoir prétendre n'avoir tourné aucune image, alors même que le documentaire est nécessairement une étude sur un monde vivant et en mouvement : toute image de repérages peut nécessairement finir dans le montage final. Depuis quelque temps, les commissions aspirent de plus en plus, d'ailleurs, contre toute logique, à ce que le dossier d'un documentaire ressemble à un dossier de fiction. Il faut qu'il y ait des personnages, un scénario, des situations, un script réellement, et l'annonce d'une mise en scène qui singerait la fiction, toutes choses tout à fait aberrantes, qu'on retrouve même hélas lors des palmarès de festivals, sur les films achevés : on n'aime jamais tant un film documentaire que lorsqu'il nous fait oublier qu'il en est un, que lorsqu'on pourrait jurer que c'est de la fiction. L'apparition du 5D a d'ailleurs renforcé cet abord-là, d'un film léché de partout, avec travellings, flous artistiques, caméra transparente, personnages forts filmés jusque dans leur lit, ce qui a par ailleurs ce quelque chose de télévisuel que je trouve pour ma part absolument répugnant, et qui de toute façon me semble s'opposer même à l'approche documentaire (où d'ailleurs l'on voit souvent des mecs s'adonner au documentaire court métrage et qui, afin de préparer leur venue au long métrage de fiction, qui est en somme leur objectif, qui n'ont aucune considération pour le documentaire, prouver leur valeur cinématographique comme on prouve sa force de frappe, à grands coups de dispositifs monumentaux, de travellings flottés sur coussins d'air, etc.).
Je lis en ce moment ce très grand livre hélas méconnu :
Cinéma et Anthropologie, de Claudine de France, livre remarquable, peut-être le plus grand livre que j'aie lu sur la question documentaire.
Elle pose justement ces problèmes, auxquels elle répond avec le lexique de l'anthropologie et qui m'a permis d'en prendre conscience : sur un de mes films que j'estime le plus (je dirai pas lequel on s'en fout) j'ai eu une castagne mémorable, qui m'a beaucoup marquée, avec une des personnes que je filmais, qui ne supportait pas que j'emploie le mot "personnage" lorsque je parlais du film. Au début je ne comprenais pas, mais par la suite, ça m'a tout de même travaillé. Claudine de France, revenant donc au lexique de l'anthropologie, escamote ce terme de personnage, qui effectivement n'a de sens réel qu'en fiction, pour celui d'agent, ce qui me paraît assez pertinent. Avec cette notion d'agentivité s'ouvre la question de la mise en scène : filmer le réel, c'est se trouver confronté à la mise en scène du réel, à divers titres. Ainsi, il y a la mise en scène quotidienne de l'agent, qui joue son rôle social ; puis il y a la mise en scène de l'agent qui se sait filmé et modifie cette mise en scène en fonction de cette connaissance ; et puis il y a la mise en scène que l'auteur imprime à ce qu'il filme, par l'angle de vue et tutti quanti.
Mais bon, je me vois bien déposer un dossier en commission et écrire "agent" : on se foutrait de ma gueule. Donc j'écris personnage, j'utilise la connaissance acquise au Conservatoire Européen d'Ecriture Audiovisuelle pour constituer les dossiers hyper-narratifs attendus et je ferai mon film ensuite.
J'ai appris, avec le temps, qu'un dossier et un film sont deux choses bien différentes, deux exercices finalement distincts.
Néanmoins, je ne peux nier que passer un temps fou à écrire un film pour qu'une commission l'accepte permet aussi de se poser des questions neuves et précises et il m'arrive que ces questions me servent ensuite. C'est un drôle de machin. Pour autant, je continue à jongler entre films "pas écrits" (çàd pas écrits pour les commissions, improvisés, mais extrêmement écrits en vérité, au tournage comme au montage, et même en préparation en vérité) et films "écrits" (pour les commissions) car nécessitant financements.
Citation:
Ceci dit, j'ai vu récemment uelques commissions qui encourageaient vivement de faire des moodboards (le mot à la mode du moment) ou autre. Et ça faisait partie des revendications de la SRF. Donc les choses changent.
J'en ai eu un une fois en commission, c'était absolument calamiteux. Je ne sais pas du tout quoi faire de cet objet. Ou alors j'en ai eu un mauvais, c'est possible, mais enfin ces pages d'assemblages simplistes et hasardeux d'images d'inspiration c'est affreux. Je préfère à la rigueur un teaser, mais je sais que c'est tendu : quiconque a siégé ou déposé en commission sait que l'emploi d'images tournées est à double-tranchant : aucune commission ne le préfère ni ne le conseille réellement. Il est de notoriété publique que personne ne sait vraiment regarder ça : faut-il voir ça comme un brouillon ? comme un truc fini ? comme un truc à part ? Finalement c'est le même problème qu'avec les films précédents : faut-il les joindre ? Faut-il considérer qu'un auteur fait le même film toute sa vie ?
Au final, j'en mets très rarement, sauf si c'est vraiment impressionnant. Un auteur que je produis a cette capacité, de faire des trailers qui sidèrent pas mal et annoncent un truc fort. D'autres ne savent pas faire ça par avance, sont meilleurs dans le feu de l'action, alors on fait autrement, on se contente du texte. Souvent aussi, je compense par la mise en page (je fais toutes les mises en page de tous nos films : pour l'un d'eux je sais que la mise en page a beaucoup fait, qu'on avait inventé quelque chose de très fort visuellement qui explicitait mieux le film que quoi que ce soit d'autre ; mais parfois aussi on nous dit : oh c'était tellement bien mis en page qu'on avait l'impression que vous aviez embauché un mec exprès pour, du coup ça veut dire que vous aviez déjà les moyens, alors hein, votre aide à l'écriture... SIC ... en somme : pour chaque projet, on réinvente la manière de vendre à la commission, car après tout c'est aussi beaucoup ça : de la comm').
Tom a écrit:
Le court-métrage obligatoire, ce serait pas mal oui. Pourtant j'en suis très peu friand, je trouve souvent que c'est pas passionnant, mais c'est aussi peut-être parce que c'est un format qui n'a pour seul auditoire que le festival, et la dimension de carte de visite que ça implique. Remettre le court entre les mains d'un public, en faire le support de discussions et de réactions critiques de la part du public comme de la presse, ce serait peut-être bénéfique, oui.
Ben moi j'en doute, ouais, ça rejoint ce que je disais : on ne fait pas le même film toute notre vie. Si on a un projet en rupture ou au moins différent du précédent, alors que faire ? Va-t-on être jugé toute notre vie sur nos travaux précédents ? Autant que possible, j'évite de joindre les films précédents, sauf si c'est en connexion directe. Le book de l'auteur me semble suffire.
Citation:
Tom a écrit:
Est-ce qu'ils reçoivent tant de projets alternatifs - et si c'est le cas, est-ce que c'est projets sont convaincants ?
C'est toujours l'excuse qu'on entend: "On adorerait soutenir un film d'horreur, mais les scénarios sont tous nazes".
Après, il est évident que la majorité des gens dans ces commissions n'ont pas la "culture" nécessaire pour reconnaître un bon projet d'horreur, ça j'en suis convaincu.
J'ajouterai que Paul Otchakovsky-Laurens, qui présidait l'an dernier l'Avance sur recettes, le dit tout haut: les autres membres de la commission étaient clairement réfractaires au film de genre.
Ouais alors ça je peux me baser que sur ce que je connais : dans la commission où je siège, c'est l'inverse. On fait toujours passer les films de genre, ne serait-ce que pour les booster, prouver qu'on peut soutenir du genre. Des fois (souvent) c'est d'ailleurs contre toute logique : il y a une comédie, elle pue du fion, mais c'en est une, soutenons-là. Pour tout dire, hormis le film de Z, je n'ai pas souvenir d'un film de genre prometteur. J'ai lu quantité de trucs mal branlés, mal fichus, pas pensés, pas écrits. C'est quand même ça, avant tout, le métier de lecteur en commission : lire de la merde. Et de la merde, on en bouffe au kilomètre, c'est désespérant. Je veux dire, de la merde carabinée : des trucs pas écrits, pas relus, des fautes à chaque ligne, des personnages qui changent de nom au fil des pages, des V1 mal mélangées avec des V4, des films adaptés à telle ou telle région qui, à force de copier-coller, se déroulent aussi bien dans la Creuse qu'à Marseille, des trucs tellement illisibles qu'à la troisième lecture tu n'as toujours pas compris de quoi il en retourne, des notes de mise en scène où on t'écrit textuellement : "Je souhaite que ma mise en scène soit stylée", enfin des trucs vraiment aberrants où tu as envie de convoquer la production pour leur demander s'il leur arrive de seulement lire ce qu'ils envoient.
Et le pire dans tout ça, c'est qu'à chaque commission, on a un certain nombre de films à retenir. On peut avoir moins de bons scénarii que de films à soutenir, c'est très fréquent. Alors on soutient quand même, le moins pire. On n'a pas le choix. Si c'est pas dépensé, ça disparaît et l'année suivante la commission aura moins de blé que l'année d'avant. (C'est aussi pour ça que j'aurai toujours un immense respect pour Amalric qui, en 2004, décida de ne pas remettre de prix à Clermont-Ferrand vu la nullité de la sélection : putain, fallait le faire, chapeau.)