Ca fait une semaine que je l'ai vu, et ce film m'accompagne encore tous les jours. Pourtant pendant que je le regardais je me suis souvent dit que Kechiche faisait encore preuve d'auto-indulgence, avec sa maintenant traditionnelle demie-heure de trop. Mais peut-être que les visages (et les culs !) des personnages me hanteraient moins s'il avait moins fait durer les scènes.
Encore une fois l'amour du réal pour la jeunesse, ses élans, ses égarements, sa beauté, éclate à chaque plan. La manière qu'il a de montrer la dynamique d'un groupe, avec ses locomotives gesticulantes, mais aussi ses satellites observateurs, en retrait, comme évidemment le héros-reflet d'AK, est époustouflante. J'avais été cueilli par l'esquive et par la graine et le mulet, un peu moins par les autres, mais celui-ci m'a particulièrement touché. Peut-être est-ce parce que je me reconnais dans cet Amin placide, en retrait, qui s'épanouit dans le groupe mais reste toujours à la frange, et qui est particulièrement nul pour approcher les filles. Peut-être parce que ça flatte une nostalgie moisie de cette période où moi aussi j'avais 20 ans, et où je suivais un groupe d'excités partout sans en faire partie complètement. En tout cas, l'attendrissement de Kechiche pour ces enfants, la façon dont il montre leurs choix, leurs revirements, sans jugement (sauf éventuellement pour Tony), c'est magistral et c'est beau.
On pourrait lui reprocher quand même ce héros trop lisse, trop parfait, beau comme un camion (OK l'expression est plus des 70s que des 90s), relativement intello, patient avec sa mère, gentleman et responsable, protecteur parfois.
Lohmann à propos du héros a écrit:
son côté très cérébral peine à être incarné.
Justement on le découvre, ce mec discret, par contraste avec la fureur de la jeunesse autour de lui . Ce personnage me touche alors même qu'il ne fait rien, est toujours en retrait, désinvesti, même si son regard et son sourire montrent qu'il aime être là et qu'il aime tous ces jeunes cons. Le perso est construit comme au pochoir, il est ce qui reste quand la cavalcade des cagoles et des relous est passée, celui qui ramasse les morceaux de la gamine brisée, celle qui a fait l'erreur de tomber dans les bras du beau-parleur Tony.
Comme Marlo je crois que la scène bien longue de la boîte finit par ramener les filles (Ophélie, mais aussi je pense la blonde Céline) à leur juste mesure, après une idéalisation bien compréhensible.
Les vingtenaires sont métastables : ils se cherchent, essaient des trucs et des gens, et se définissent en tant qu'individus par mimétisme dans le groupe, mais aussi par contraste. C'est de la philosophie de comptoir, mais elle est superbement mise en images par Kechiche, qui n'a pas fini de nous éblouir.