Toujours étonné par la capacité d'Art Core à s'appesantir sur des détails sans importances ou à faire des projections fantaisistes sur un film.
Sinon, tout bien réfléchi, Jack London, dont Martin Eden est l'alter ego, c'est la première rockstar, au sens de personnage qui dans le domaine du "spectacle" acquiert de son vivant un statut d'icône, qui s'est extirpé de sa classe sociale pour frayer avec les puissants, les nantis et les héritiers. La rockstar est une incarnation romantique du rêve américain dont les romans de Horatio Alger étaient à l'époque le pendant puritain et prosaïque. Cette lignée a prospéré, de manière plus ou moins heureuse, jusqu'à Kurt Cobain ou 8 mile. C'est pourquoi en voyant le film, j'ai pensé surtout aux récents
Leto et
The Beach Bum de Harmony Korine. Comme ces deux films, Martin Eden a l'ambition de présenter une matière vibrante, gorgée d'images diverses avant tout, pour rendre compte d'un sentiment d'exaltation romantique et de gueule de bois, une espèce de magma bouillonnant (qui remet aussi en mémoire le Bellochio de
Vincere), aux airs de long video clip. Ce qu'il y a d'émouvant dans le film, c'est qu'il met en scène une ambition d'écrivain qui n'aura plus jamais cours. Plus personne ne dira jamais "je voudrais être écrivain", en espérant s'enrichir et en même temps maintenir une forme d'authenticité et de sincérité. C'est ce que montrait d'une certaine manière le personnage anachronique du poète dans
The Beach Bum, incarnation d'une sorte d'archétype, l'écrivain, depuis longtemps révolu et dont ne subsiste plus qu'une sorte de fantasme qui continue de se dissiper mais exerce toujours une sorte de fascination peut-être précisément parce qu'il n'existe plus. Le personnage de Martin Eden est donc l'incarnation d'une illusion romantique qui s'est estompé en l'espace de quelques décennies à peine. Le film, pour illustrer cela, se sert à foison d'images d'archives, vraies ou fausses, variant les formats, créant une espèce de flou artistique par rapport à la temporalité, même si l'action se situe dans les années qui ont précédé le fascisme, plutôt conforme donc à la société décrite dans le roman de London, même si ça se passe ici en Italie. Il en joue avec un peu de facilité mais aussi un mérite certain.
Marrant de voir sinon que Martin Eden annonce à certains égards la pensée d'Ayn Rand mais y oppose une espèce de romantisme tragique (Jack London voulait s'en servir pour faire la critique de l'individualisme).
Art Core a écrit:
Mais j'ai été très dubitatif et finalement assez déçu par le dernier acte qui m'a semblé assez grossier et, pour tout dire, un peu raté. La transition entre les deux Martin Eden, celui qui n'y arrive pas et celui qui y arrive est bien trop brutale et surtout presque caricaturale. Retrouver Martin Eden en espèce de grand aristocrate déécadent dépressif suicidaire j'ai pas trop compris (sans parler de ce choix hyper bizarre des dents tâchées).
La transition ne m'a pas choqué. Le dégoût qui accompagne l'ascension social du personnage n'est-il pas présent dans le roman ? C'est un contresens d'en parler comme un grand aristocrate alors qu'il se contente d'occuper une espèce de palais. Les dents tachés marquent juste sa déréliction. On peut trouver ça con mais c'est juste un détail.
Art Core a écrit:
Impression que le film se sépare de la trajectoire profondément intime de Martin Eden pour rentrer dans quelque chose de plus trouble et surtout moins réussi.Dans le roman la désillusion de Martin Eden est très simple, il ne comprend pas pourquoi on le respecte maintenant qu'il a du succès alors qu'on le méprisait quand il n'en avait pas. Il a une incommensurable déception dans l'Homme, dans son semblable.
WTF, c'est exactement ce que le film dit, à défaut d'asséner.
Art Core a écrit:
Là c'est plus indistinct, comme une lassitude aristocrate de vivre où l'on brûle la vie par les deux bouts (ce duel). C'est vraiment différent (d'ailleurs la phrase qui revient souvent dans la fin du roman comme un leitmotiv funèbre "mais j'étais le même" n'est prononcée qu'une fois dans le film sans que ça devienne un sujet en soi.
Nawak. Et donc une phrase essentielle est prononcée qu'une fois dans le film au lieu d'être martelée, ce qui diminuerait son importance ? Par ailleurs, cette idée est suffisamment répétée, et c'est ce que l'histoire d'amour un peu niaisement illustre fort ostensiblement.
Art Core a écrit:
Comme l'idée qu'il a volé le poème de Brissenden qui est bien mal intégrée dans le film. D'ailleurs c'est aussi un autre point noir. L’œuvre de Martin Eden est, dans le roman, une œuvre qu'on connaît très peu mais qui semble avoir une vraie valeur, une vraie qualité alors que là dans le film on finit par se demander s'il n'est pas une espèce d'imposteur. Cela rejoint un autre problème, la question du travail. Dans le roman Martin Eden est montré comme un monstre de travail qui passe ses journées à lire et ses nuits à écrire. On ne le sent pas du tout dans le film. D'où cette sensation d'un écrivain au succès presque immérité.
Délire complet. Il est bien montré comme un bourreau de travail dans le film qui s'obstine à envoyer ses manuscrits qui sont systématiquement refusés. Je ne sais pas ce qu'il te faut de plus. Par ailleurs, Martin Eden est un alter ego de Jack London. Si on a bien ça en tête, on a encore moins l'idée farfelue qu'il est présenté comme un imposteur.
Art Core a écrit:
Et au delà de ça, la toute fin m'a semblé ratée. Le film propose une espèce de fuite presque onirique avec une entrée dans la mer laissant ouvert le sort du personnage qui m'a paru presque clichée. Et le groupe de noirs sur la plage, j'y ai vu une allusion aux migrants d'aujourd'hui et pour le coup je trouve ça maladroit
Comment peux-tu penser que la fin est ouverte alors que tu as bien lu le roman et tu sais ce qui s'y passe. Tu te mets dans la peau de quelqu'un qui ne l'a pas lu. Elle n'est à vrai dire pas si ambivalente que ça, plus lyrique certainement. Une allusion maladroite aux migrants ? Encore faut-il l'expliquer ? Ok si tu me dis que cette allusion est plus un détail cosmétique qu'autre chose pour un film où les choses n'ont finalement pas tant d'épaisseur que ça.
Baptiste a écrit:
Quand l'écrivain est attablé dans une petite salle comble et qu'un sinistre personnage se lève pour porter un toast, avant que l'assistant de Martin Eden ne lui dise "Nan mais il est pas en accord avec vos idées", je pense que c'est le fascisme italien.
Sans blague ? Mais vous matez les films ou vous êtes juste des ignorants historiques ? Les chemises noires sur la plage à la fin sont bien des fascistes italiens. Ce n'est même pas une allusion c'est comme un nez au milieu de la figure.