Jack Delroy, présentateur vedette d'un talk show phare des années 70, lutte désespérément contre la baisse d'audience. Le soir d’Halloween, pour une émission spéciale en direct, il décide de consacrer ses segments à des phénomènes occultes et paranormaux.Enfin !
(je vais spoiler)
Enfin autre chose que de l’enfilage de métaphores éclatées sur le trauma, les familles dysfonctionnelles ou la société indifférente.
Enfin des gens qui ont compris que la culture populaire américaine recèle déjà suffisamment d’items captivants et terrifiants en eux-mêmes sans qu’ils n’aient besoin de symboliser quoi que ce soit d’autre.
Ce qu’on appelle, à défaut de mieux, le « complotisme » est de nos jours vu comme une sorte de parasite qui s’attaque à l’information et à des esprits influençables (ces gens qui ne contractent pas en sont en bon exemple récent, ou encore les boomers MAGA avec QAnon). On en oublie qu’aux US il s’agit aussi et surtout d’un marché qui a pignon sur rue, qui s’alimente de et qui alimente la culture mainstream (Richard Belzer de
Law & Order a écrit plusieurs livres sur les OVNIs et l’assassinat de JFK), et que ça a un statut beaucoup plus ambivalent qu’en France. Pour ma part, si R.L. Stine et Stephen King m’effrayaient quand j’étais ado, mes lectures d’adulte les plus terrifiantes sont dues à Peter Levenda et sa trilogie
Sinister Forces,
The Ultimate Evil de Maury Terry et
Weird Scenes Inside the Canyon de David McGowan, trois auteurs qui ont disséqué la face cachée de la contre-culture des années 60 et 70, les rapports incestueux entre services de renseignements, groupes sectaires type Scientologie et Process Church et complexe militaro-industriel, la
satanic panic… Bref, à défaut d’y croire ou non, ce qui n’est pas la question, je trouve ce
deep lore fascinant au possible, trop rarement exploité au cinéma (le seul exemple qui me vient est l’excellent
Banshee Chapter).
Autant dire que les références dès l’entrée en matière aux rassemblements Bohemian Grove m’ont fait passer en mode Di Caprio qui pointe du doigt sa télé.
Late Night with the Devil denote déjà par la maîtrise de sa forme : mi
found footage (avec ouverture narrée par Michael Ironside), mi faux-documentaire dans ce 4:3 implacable. Sans compter le travail sur le grain de l’image, délicieux, et qui laisse entendre que l'équipe est aussi sensible au courant de l'
analog horror qui fourmille sur internet, et qui dépasse régulièrement le cinéma d'horreur par la droite en termes d'effets et d'inventivité (et qui est, pour le coup, très influencé à la fois par Lovecraft, décidémment aussi incontournable qu'indésirable et gênant, et bien sûr le potentiel horrifique des théories du complot). Tout ce qui relève de la reconstitution (costumes, décors, références etc.) est impeccable. En voyant la BA (et Shudder en estampillage), j’avais cette crainte du huis clos un peu trop sûr de lui qui risquait de vite devenir répétitif et étouffant, mais il n’en est rien. Très vite on est en territoire gonzo, sans non plus que ça vire au grotesque. On pouvait craindre aussi que David Dastmalchian (qui co-produit), habitué aux seconds rôles de type bizarre, n’aie pas l’envergure pour porter un film, même de série B. Il n’en est rien non plus, il tient à merveille l’exercice de style du présentateur dont l’émission vrille en direct.
La dynamique de plateau, nécessaire à ce que le dispositif fonctionne, assure également : le personnage de Dastmalchian, comme tous les présentateurs de talk-show, a un
sidekick/faire valoir et un orchestre. Les invités suscitent spontanément puis entretiennent le conflit : un medium, un sceptique calqué sur le vrai James Randi (qui promettait une récompense financière à quiconque apporterait la preuve de l’existence d’un phénomène paranormal), la gamine possédée accompagnée d’une chercheuse universitaire. Tous sont suffisamment nuancés, et ont assez de secrets pour éviter toute platitude dans la caractérisation.
Bien sûr, au-delà des éléments horrifiques, et rien que via le titre du film, ce qui se joue aussi c’est la mise en évidence de l’aspect profondément faustien du show business, notre propre télé-évangélisme pour une culture de masse sécularisée. Amusant d’ailleurs qu’il s’agisse d’une co-production émiratie (le côté Grand Satan, tout ça machin). Le propos est incarné à la hauteur des ambitions et des moyens du film.
A la fois sinistre et stimulant, puisant de manière acérée et intelligente dans un terreau fertile, il s’agit là d’une excellente et rafraîchissante surprise.