The Scythe-Meister a écrit:
Je réponds plus factuellement mais tu oublies une chose importante : les terroristes ciblés sont les preneurs de décision, pas ceux qui font la besogne. Les scènes de leur quotidien ne sont pas seulement pour les montrer comme des êtres humains, mais, de manière plus sombre, pour les montrer comme des hommes socialement installés, protégés, loin des conflits qu'ils pilotent.
D'où la présence du palestinien que rencontre Avner : il est l'agent de ces hommes-là, tout comme Avner, dans une position différente, est l'agent d'Israël. Ils sont ceux qui payent le prix d'actions dont ils ne contrôlent pas les enjeux (et dont on peut douter qu'ils les choisissent).
En effet, c'est bien que tu le soulèves. Et le film nous montre assez bien que les terroristes et les têtes qui les dirigent sont deux mondes, pourtant liés par des morts horribles. Les premiers deviennent inhumains à forcer d'exécuter la sale besogne, et les autres continuent à vivre en famille paisiblement (c'est là que je me rends compte que la famille de Louis représente bien cette aspect. La douce vie familiale continue, alors qu'en toute neutralité on donne des noms qui vont mener à des assassinats et au chaos).
Sinon, je trouve ce passage de ton texte assez juste.
The Scythe-Meister a écrit:
De fait, jamais le film ne cherche à nous faire ressentir de la pitié pour les terroristes, à l'exception du Palestinien. Ou seulement la pitié que l'homme mérite dans sa mort - et c'est sans doute l'un des thèmes du film. Ce quotidien n'est pas une exigence de pitié, il est une première explicitation de la rupture entre l'individu et le symbolique dont je parlais, qui mènera Avner à se désolidariser de sa mission (le terroriste qu'Avner perçoit au début comme un assassin, au mieux comme un soldat, est en fait un bourgeois qui vit planqué en occident, et par effet de miroir, renvoie à sa propre hiérarchie). Ca plus le rapport à la mort et à l'assassinat, etc. En un sens, quand tant de choses sont en jeu, je comprends que Spielberg répète...
En fait, comme je le disais, tout fonctionne bien sur papier. Ce sont les manières un peu pataudes de Spielberg qui me gênent un peu. Je comprends que tu puisses adorer le film, et je te donne raison sur les points que tu as soulevé. Je te donne raison parce que j'ai déjà adoré ce film dans le passé, et j'ai déjà ressenti ce que tu y vois. Mais à force de le revoir, peut-être que je n'y vois que les manières.
The Scythe-Meister a écrit:
La réplique du film qui explicite presque littéralement son propos et qui en plus ouvre la dernière partie, c'est quand Carl dit à Avner à l'hotel : "You do any terrifying thing you're asked to do, but you have to do it running. You think you can outrun your fears, your doubts. The only thing that really scares you guys is stillness."
Parlant de manière qui pose problème, cette réplique que tu cites est bien sûr assez forte hors contexte. Mais je trouve qu'elle apparaît plaqué dans le film. Elle aurait pu être plaqué à n'importe quelle autre moment de la seconde moitié du film et l'effet aurait été le même. Elle n'y est pas inséré logiquement, mais aléatoirement. Si bien que ça semble poseur au sein du film.
Et je ne pige toujours pas le personnage de Ciaran Hinds qui semble avoir tout compris dès le début. Il a une longueur d'avance sur Avner, et on dirait qu'il s'amuse avec lui, le provoque de façon un peu condescendante, comme s'il représentait la conscience d'Avner. Mais qu'est-ce qui le pousse à continuer? Les personnages sont un peu insondables. Et je continue à penser que Spielberg se refuse à nous les rendre sympathique dans le but de ne pas déstabiliser le spectateur par leurs actions. J'arrive donc à ce passage de ta réponse:
The Scythe-Meister a écrit:
Il n'est pas question de déshumanisation ni de sacrifice social. Ce n'est pas le récit d'une évolution psychologique, c'est le récit d'une compréhension.
The Scythe-Meister a écrit:
Munich, c'est l'histoire d'un agent (secret) qui, devant la facticité de son action, se rend compte de sa vacuité, et comprend qu'elle supporte un monde dénué de sens et de valeur. Il n'y a pas de psychologie ni de morale en jeu. Le fait qu'Avner existe très peu comme personnage importe peu, car il est l'enjeu d'un processus de compréhension, pas d'un processus psychologique.
Je crois que le malaise du film vient de là. Spielberg nous refuse le processus d'identification classique envers les personnages (basé sur l'évolution psychologique à l'intime) pour que l'on demeure à l'extérieur d'eux, pour qu'on les observe. Mais Spielberg n'a jamais été ce type de réalisateur, et ça se sent à certains moments. Il hésite. Bien sûr, étant ce qu'il est il n'a pu se départir totalement des tactiques de manipulation classiques qui consistent à venir chercher l'émotion du spectateur afin de l'impliquer dans le récit (le E.T. phone home répété chez Avner). En ce sens, le film est un peu bipolaire. D'un côté le film s'adresse à notre intellect, et de l'autre à nos émotions les plus basses. Le film observe de façon clinique, tout en dirigeant notre regard avec insistance, tout en jouant les codes du polar à suspense. Il est là le malaise.
Malgré tout je crois qu'à l'époque de la sortie du film, Spielberg osait énormément. Il a essayé beaucoup de trucs, et tout le mérite est là, même s'il rate la cible à certains niveaux (cette scène de baise répété sous un angle mortifère vers la fin est une bonne idée, mais exécuté de façon un peu ridicule. Le va et vient en plan quasi subjectif est assez vulgaire). Je crois aussi que c'est un peu ma faute si je n'arrive plus à l'apprécier. J'ai découvert dernièrement Zero Dark Thirty et j'ai été sous le choc. Je crois que je n'ai jamais vu un film grand public qui réussissait à ce point à ne pas diriger et encadrer le regard du spectateur avec insistance. Peut-être ça s'est fait avant, mais pas dans un film de studio j'ai l'impression. Du coup, je revois les films sortis avant avec un peu de douleur et d'agacement. Peut-être remis dans son contexte, j'arriverai à ne plus être agacé par Munich. Mais une chose est sûr, le film ose beaucoup de truc, et soulève des tas de questions pertinentes malgré ses manières pataudes.