Et voilà, (le rattrapage de) Game of Thrones, c'est terminé. Moi qui étais ultra-sceptique devant une bonne partie de la saison 1, je suis frustré d'en avoir fini avec cet univers jusqu'à l'année prochaine. Je me rappelle qu'au bout de cinq-six épisodes, je m'étais plaint de la lenteur et de l'atmosphère de la série, et Film Freak m'avait dit qu'effectivement, si même au bout de 5 épisodes je n'accrochais pas, il valait peut-être mieux arrêter les frais. Mais finalement, j'ai un peu continué et dans mon souvenir, ce sont les deux épisodes juste après qui m'ont converti à une certaine attente impatiente de la suite.
La série est entourée d'un tel prestige, de tels éloges, que ce soit sur internet ou chez la plupart de mes potes, que je m'attendais à vraiment être ébloui. Et c'est vrai qu'après trois saisons, je ne peux que me rallier à la bruyante majorité: cette série va dans certains domaines plus loin qu'aucune série ne l'a jamais été. Cette foi en la construction patiente et éclatée d'un univers cohérent et riche est peut-être ce qui ressort comme la chose la plus impressionnante. Quelle série peut se payer le luxe d'être aussi lente dans l'avancée du scénario et pourtant attirer autant de spectateurs? Certes j'ai cru comprendre qu'internet foisonnait de plaintes post-épisode hebdomadaire face à cette lenteur. Et j'ai moi-même souvent pesté contre ce qui me semble même toujours aujourd'hui assez pénible, cette construction scénaristique qui nous donne seulement deux trois scènes d'une minute par intrigue à chaque épisode; et comme la scène-étalon de GoT est le dialogue -souvent remarquable dans sa façon de vulgariser des enjeux philosophiques, politiques et sentimentaux- on ne peut que comprendre les détracteurs qui souhaiteraient plus d'action.
Mais, cela fait partie de l'identité de la série, d'autant plus qu'apparemment, les bouquins eux-mêmes, écrits par quelqu'un qui connaît bien le format série, sont comme ça. Et c'est cette même longue, très longue construction de plusieurs intrigues parrallèles qui parfois se rejoignent qui nous fait, à certains moments, jubiler; le projet du générique s'incarne sous nos yeux comme (presque?) jamais cela n'avait été fait à la télévision ou au cinéma, créer un univers aux dimensions infinies. Infinies car comme l'univers, les limites de ce monde ne cessent de s'étendre au lieu de se contracter, il y a toujours plus de personnages, toujours plus d'intrigues, toujours plus de villes à explorer, et cette profondeur de l'espace est doublée d'une profondeur dans le temps, qu'elle aille chercher dans le passé -toute l'histoire du Trône de Fer, qui a des conséquences directes- ou dans le futur -l'histoire est d'autant plus vertigineuse que le spectateur sait que derrière la querelle des rois, il y aura l'arrivée des sauvageons, et derrière elle, l'arrivée des Marcheurs blancs. Je ne vais pas nier que la construction patiente de cet univers riche n'est pas parfois un peu longue, mais cette difficulté, qui devrait écoeurer le grand public, ne le fait pas -ou dans des proportions réduites, mais l'avenir en dira plus sur ce sujet- pour la simple raison qu'elle le rend au centuple, en faisant monter chez le spectateur une euphorie propre aux grandes sagas et aux oeuvres littéraires exigeantes.
L'heroic fantasy vise souvent à créer des mondes vastes, à grand renfort de magie, de monstres, de combats et de personnages épiques. Mais comme le disait quelqu'un plus haut, GoT fait passer le genre à l'âge adulte, ce genre qui malgré Tolkien était trop souvent tombé dans l'adolescence et tous les excès que celle-ci exige. GoT est adulte, non seulement par la complexité des intrigues mais aussi par la maturité du traitement des personnages. A ce titre je trouve que le début de la série est raté, il n'arrive pas du tout à nous faire pressentir cette maturité, peut-être parce qu'on a affaire à Ned Stark qui, en ne voulant pas "play the game", en restant simplement un valeureux guerrier, caricatural du héros moral, est très peu en accord avec la plupart des personnages de la série (y compris ceux de sa propre famille), beaucoup plus ambigus et intéressants, beaucoup plus humains que lui finalement. Les scènes les plus fortes de la série sont effectivement les dialogues, ciselés non seulement pour nous impressionner lorsqu'il le faut (ces moments que certains ici appellent "badass") mais aussi pour nous rendre les personnages humains, trop humains, même ceux qui nous étaient présentés comme d'absolues raclures.
Et c'est fait au moyen d'un procédé tout simple qui est à mon avis la plus grande beauté de la série, qui est de montrer la cohabitation voire la coopération forcée de personnages qui n'ont rien à voir entre eux. Je ne parle même pas de la cohabitation d'ennemis, ça à la limite c'est plus classique, mais vraiment, d'arcs scénaristiques totalement inattendus parce qu'on n'aurait jamais cru que tel personnage devrait interagir avec tel autre, mes préférés étant Jaime/Brienne, Arya/Tywin, Tyrion/Sansa, Arya/"Chien", mais j'en oublie. Dans cette liste apparaît d'ailleurs deux fois Arya mais ce n'est pas un hasard, c'est vraiment mon personnage préféré (allez, à égalité avec Tyrion, comme tout le monde, et Jaime arrive pas loin derrière), héroïque, rebelle mais intelligent et qui laisse de la place aux autres pour exister, qui même créé à lui tout seul le personnage d'en face en en faisant ressortir les bons et mauvais côtés en seulement quelques scènes, qui n'est pas le prototype du héros demi-dieu tout lisse comme Ned et Robb Stark, qui enfin doit se construire non seulement dans la douleur du combat face à un ennemi identifiable, mais aussi par toutes sortes d'alliances impromptues et de malices spontanées.
La série aime placer ses personnages dans des situations d'inconfort, faisant par exemple s'éparpiller la bonne famille Stark, là où je m'attendais à ce qu'on nous la présente comme une famille unie dans l'adversité, à coup de scènes chiantes montrant leurs relations d'honneur et de fierté d'appartenir à cette noble maison, etc., tout le décorum social si ennuyeux dans l'heroic fantasy que j'ai pu lire. L'exil de Jaime Lannister est là aussi exemplaire, on croit comme en 14 que ça va durer quelques semaines, et finalement, le personnage met deux saisons à rentrer, perdant au passage sa main et la partie la plus superficielle de sa dignité, mais gagnant une profondeur insoupçonnée. Autre exemple, et peut-être le plus emblématique, la façon dont Daenerys pourtant de noble naissance est forcée à partir de zéro, pour finalement faire grossir le nombre de ses alliés par la force de son caractère. Cet arc a ses longueurs, mais j'aime comment il se pose en contrepoint oriental du reste de l'action, c'est très dépaysant, ses aventures avec les Dothrakis, à Quart et les autres cités dont je ne me rappelle plus le nom, contribuent pleinement à cette richesse d'un univers qu'on a soif d'explorer.
Je l'évoquais rapidement avec cette parenthèse sur le côté "bad ass" de certaines situations, mais j'aime aussi dans cette série, de manière un peu coupable, la même chose qui faisait mes délices dans le shônen manga: les rapports de force guerriers (certes approfondis dans GoT par la géopolitique) entre différents personnages qui nous sont présentés comme, disons-le comme ça, SUPER BALEZES. Tel seigneur balèze va trouver à qui parler dans tel autre, avant que tel chef de la garde, tel assassin professionnel, tel membre d'une confrérier cachée, étende à l'infini les prétendants au titre de plus balèze de la série. Quelques noms en vracs de personnages qui, quand ils se sont mis à fight, m'ont impressionnés et me font douter que quelqu'un puisse les challenger: Jaime, la Montagne, le Chien, le mercenaire de Tyrion, Brienne, les trois conseillers et gardes et le chef d'armée de Daenarys, Ned et Robb Stark, le professeur d'Arya, son étrange sauveur ("un homme"), le chef d'armée des sauvageons, Jon Snow, Stannis, le chef de la fraternité sans nom, etc. J'ai comme l'impression que la série aime, comme tel excellent mangaka, à entretenir l'excitation propre à ces rapports de force purement guerriers. Notamment en gardant le mystère qui nourrit cette excitation puissance mille. Jaime battu par Brienne? Il vient de passer de nombreux mois enchaîné dans la boue et est en partie menotté. Le chef de la fraternité sans nom battu par le Chien? Ses multiples resurrections l'ont affaibli. Etc. La série ménage avec malice un certain suspense sur cette question, et je m'en régale.
La grandeur de la série est cependant assez souvent mise en danger par sa propension à la complaisance, que ce soit dans les scènes de cul ou dans la violence. Les deux sont en soi utiles pour dépeindre un univers mi-civilisé, mi-sauvage, mais rien n'excuse la nature ou la longueur de certains plans. Pour le cul, l'exemple le plus récent est ce plan de haut sur le corps de la meuf de Robb Stark, tellement putassier qu'on a envie d'insulter les créateurs de nous prendre pour des cons. Pour la violence, l'exemple le plus récent se trouve dans ces scènes nombreuses et rallongées de torture de Théon; même si cela contribue à la rédemption christique qui va probablement s'ensuivre, il y a un manque de finesse (gros plan sur un doigt coupé en deux, franchement...) qui fait presque pitié parce qu'un grand cinéaste, par ailleurs, pourrait par le pouvoir de la suggestion faire beaucoup plus dans le terrifiant tout en laissant aux personnages une certaine dignité. Pénible à voir. Le bouquin doit évidemment avoir sa part de responsabilité, puisque c'est parfois même dans les péripéties et les retournements de situation que cette cruauté gratuite est à l'oeuvre. La fin de l'épisode 9, où Robb et son armée se font massacrer, m'a choqué comme rarement. Cela fait bien sûr partie de la noirceur de la série, qui va très loin dans la description de la perversité et du glauque propres à l'humain, il y a plein de scènes et de personnages d'anthologie, la violence psychologique de cette série est assez incroyable. Mais ici, c'est exagéré, tant dans la mise en scène -ce plan sur Robb Stark qui dit "Mother" avant de se faire embrocher est à la limite du ridicule- que dans sa place dans le scénario. On sent que l'auteur a voulu se débarrasser de quelques personnages-clés, a voulu en mettre plein la gueule du lecteur/spectateur, dire qu'aucun personnage ni arc scénaristique n'est à l'abri du chaos, mais est-ce ici crédible, bien amené? Je reste très dubitatif.
Cette complaisance est pour moi le seul obstacle à l'accession de GoT au statut de potentiel chef d'oeuvre. Au-delà de ça, il faut quand même suivre où tout cela va. Je suis curieux de voir comment l'auteur a géré son histoire. Si c'est vrai que les producteurs prévoient sept saisons, c'est que l'auteur s'est lâché sur la construction de ses multiples intrigues pour encore quelques temps. Mais il va bien falloir à un moment donné les resserrer pour une intrigue finale ultime à la manière de LOTR. Ca risque d'être assez délicat, et c'est à ça qu'on pourra juger la série entière. On peut seulement dire pour l'instant que GoT est passionnant à suivre, par sa richesse toujours renouvelée doublée d'une profondeur philosophique surprenante, incarnées dans beaucoup de superbes séquences, bien aidées par la magnificence des décors et une belle galerie d'acteurs. Vous me direz, c'est déjà pas mal.
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