Réza, la quarantaine, vit avec sa femme Haddis et leur fils d'une douzaine d'année dans une région rurale fertile au nord de l'Iran. Lui est pisciculteur, elle est directrice d'école secondaire, ayant donc un certain pouvoir local. Réza semble avoir un passé compliqué, mais a aménagé la ferme en un endroit assez coquet et confortable. Ils semblent en butte aux tracasserie et intimidations d'un riche voisin, un homme de main d'une compagnie privée de distribution d'eau, qui convoite leur domaine et cherche, de façon plus ou moins directe, à les faire partir. Excellent film, signalé par Abyssin dans son top, qui résonne de manière très forte avec l'actualité. Cela semble commencer comme une fable tchékovienne à la Nuri Bilge Ceylan, mais bifurque de manière inattendue vers un film noir tendu et rapide, quasi fullerien, voire même, par des élements de surnaturel qui densifient le sous-texte social, aldrichien
.
C'est assez différent du cinéma iranien "à dispositif" que l'on connaît chez Kiarostami et Farhadi, non seulement dans la forme mais aussi dans le sujet (mais un peu plus proche de la veine plus populiste, dans le bon sens du terme, de Panahi). Le film délaisse les intellectuels et artistes de Téhéran pour montrer le monde rural, même s'il y a là aussi un faux-semblant
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Comme le personnage n'a pas vraiment de psychologie fixe (au contraire des seconds rôles), la remise en cause du régime est étonnamment frontale et directe , sans recourir à des symbole et des métaphores : le ras-le-bol qu'exprime le film n'est pas feint. Je crois vraiment qu'il permet de mieux comprendre ce qui se passe actuellement.
Le titre est en fait trompeur, car il s'agît d'un beau portrait de groupe (le personnage de sa femme est superbe, et tout aussi important que celui du mari. D' une manière générale, les scène de couples sont très belles). Au fur et à mesure que l'intrigue avance, la psychologie du héros devient de plus en plus abstraite et creuse, le moteur de l'intrigue (tout comme le soucis de vérisme social et politique) est transféré de Réza à son entourage. Ce transfert va de pair avec la mise à jour progressive d'une forme de violence pré-politique, irréductible, chez Réza, qui semble combler le vide laissé par la circulation et dissémination de sa mauvaise conscience politique (qui est aussi une plongée dans son passé). Ainsi, le film va combiner plusieurs milieux, plusieurs espaces, plusieurs systèmes liés ensemble par un même mécanisme de domination et de corruption subi, mais qui permet des jeux de pouvoir et de dissimulation, quel que soit le rôle qu'on y joue. Il n'est pas sans rappeler les meilleurs moments de
the Wire, avec le droit (ou plutôt la jurisprudence, que la corruption finalement annule, sans changer les rapports de classe et de pouvoir) théocratique et la corruption à la place du trafic de drogue, et Réza ressemble finalement beaucoup au personnage d'Omar, le tueur que ses justifications éthiques rendent de plus en plus opaque, et finalement complètement impossible à cerner.
Il y a un point de pivot singulier entre la dimension "individualiste" et abstraite du film et celle relèvant de la mise en scène du collectif : des scènes où Réza se baigne dans sa douche, ou une mystérieuse grotte, avec ou sans son fils (qui subit le même processus d'effacement que le père, mais sous un angle tragique et arbitraire, là où chez le père c'est un pari politique pour acquérir une forme de pouvoir, à la fois contre et en plein milieu du système), d'une charge érotique trouble et menaçante qui amorcent un pas dans la direction du body-horror à la Cronenberg, et échappe ainsi au symbolisme trop illustratif.
C'est un film très riche, courageux et maîtrisé, sans doute un des trois meilleurs que j'ai vus de l'année passée.
Le film dialogue, malgré sa singularité, aussi beaucoup avec d'autres films iraniens récents, et pemet de comprendre que le mari du Client de Farhadi commet un acte très lâche et gravissime en balançant l'homosexualité d'un de ses élèves à la classe.