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MessagePosté: 09 Fév 2022, 11:36 
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Je suis d'accord avec toi sur le début qui pose une ambiance mais la suite du film désamorce tant d'idées et de tension qu'on peut en venir à se demander si elles étaient présentes en premier lieu.
Un des aspects qui m'agace le plus c'est aussi la façon dont Cantet dépeint le héros comme un gamin : quand il est sommé dans le bureau de la maison d'édition, c'est comme s'il était appelé dans le bureau du proviseur pour avoir gravé une croix gammée sur une table ; le déjeuner chez sa mère ; la tête de chien battue quand il va chez son mentor. Il y a une propension à déresponsabiliser et infantiliser le personnage qui finit par déresponsabiliser et infantiliser le propos, je trouve.

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MessagePosté: 13 Fév 2022, 02:54 
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Je mettrais aussi 3.5/6. C'est plus intéressant que Chez Nous de Lucas Belvaux qui avait une ambition politique comparable ( lors de la campagne présidentielle précédente). Le début et la scène de la fête où tout se retourne sont pas mal. Cela m'a fait penser à une scène très proche d'Under the Silver Lake. Le personnage de Cantet investit le Paris intellectuel et le pouvoir idéologique de la même manière, à la fois jalouse et mélancolique, que celle par laquelle le personnage de Mitchell se positionnait dans le mythe du cinéma hollywoodien des seventies. Le jugement moral circule avec le désir entre les génerations (comme souvent chez Cantet). Le couple cesse d'être un enjeu dès lors que ce jugement est consolidé, car il ne concerne que des rapports internes à une même génération. Il représente avant tout un matériau pour l'enregistrement du fils par le père, qui est le vrai rapport érotique.
Quelques réticences devant des maladresses. Le film oppose l'expérience d'une aliénation politique et sociale (la banlieue) à celle de l'étrangeté à soi-même, plus romanesque et bourgeoise, comme si une même personne ne pouvait pas faire l'épreuve en même temps de ces deux frustrations. Il tend dès lors à critiquer la spéculation mediatique et la récupération politique tout en ne se prononçant pas sur l'essentialisation des identités et des mémoires, qui est le piège dans lequel est tombé le personnage, jamais nommée. Cette essentialisation est dans le film neutre et innocente, car elle relève du symbole plutôt que des intentions. Ainsi le film s'epuise après la métaphore sursignifiante de la bouteille d'Ice Tea pétillant qui explose, comme si le fait de trouver la métaphore adéquate rendait les rapports sociaux caducs, c'est d'ailleurs à ce moment que le film perd son mojo comme le dit Arnotte.

Il y a aussi l'idée, que l'on trouve souvent chez Cantet, que le discours sociologique et le témoignage, la question de la mémoire et du politique, ne sont légitimes qu'en prennant place après une catastrophe qui les devance (ici la chute du Capitole vers la roche tarpéienne du personnage. La concurrence du marasme economique de la Ciotat et de la tentation homicide du jeune dans l'Atelier, avec sa sexualité comme fonction intersticielle placée entre ces deux pôles).
Une tendance aussi à abandonner les personnages familiaux dès qu'ils trouvent un double dans l'ordre culturel. Ici la mère qui est concurrencée par le personnage d'ailleurs peu identifié d'Anne Alvaro, autre figure maternelle, mais plus trouble, qui annule le parcours de la mère. Cela introduit une dialectique contestable entre un personnage qui éduque son enfant pour qu'il soit reconnu par un autre, comme si le parent était placé par essence hors de la société, dans une préhistoire qui la prépare. Il y a aussi l'idée que la mère est défaite car la compréhension qu'elle offre à son fils ne lui permet pas de trouver une place, elle ne suffit pas, elle est elle-même finalisée par une loi (le mot est dans le film, dit par ce personnage) qui n'est pas elle, à laquelle il faut être initié (ce qui est toujours le sujet de Cantet). Objet trop rationnel d'un désir, la reconnaissance est toujours défaite par ce qui la déborde, une blessure à laquelle on s'adapte. Le consensus politique est la fiction de croire ce désir aussi rationnel que son objet (s'il l'est réellement il n'est que le complexe d'Oedipe, un savoir sur soi complet mais impuissant). Mais finalement Zemmour fait fond sur la même logique, en présentant son parcours et son identité comme une atténuation voire un revers de son programme. Le film n'a pas un angle fort là-dessus, car la colère qu'il montre finement ne peut pas être à la fois une réaction et l'essence secrète du réel.

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 13 Fév 2022, 22:10, édité 3 fois.

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MessagePosté: 13 Fév 2022, 12:35 
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Bêtcépouhr Lahvi a écrit:
Vieux-Gontrand a écrit:
il partait de l'idée sur le personnage s'échappait à lui-même et il le défendait (mais sur un mode négatif : cette absence à soi-même est ce que les dominants déniaient au personnage
Donc de la culture de l'excuse des sciences sociales, on est passé à la culture de l'excuse des sciences psychologiques ?
Remarque, là au moins on tient un passionnant sujet pour les chercheurs en sciences psychosociales des générations à venir.

Et plus que Meklat, c'est l'intelligentsia intra-périf qu'est au bout du rouleau pour ne serait-ce qu'avoir l'idée de faire un film là-dessus.


On ne peut pas lui reprocher de verser dans la culture de l'excuse (il est vrai sans l'avoir vu...).

Le film est au contraire très dur avec son personnage, il présente une forme d'impuissance intellectuelle (ou, pour le dire autrement, de débilité) qui lui est propre comme une occasion ratée et paradoxale de basculer dans une sorte de grande politique post-identitaire (et post lutte des classes), dont il serait à la fois le prophète et la nécessaire victime expiatoire.

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MessagePosté: 13 Fév 2022, 13:20 
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+ comme souvent chez Cantet le personnage n'a pas de père (ici) ou un père faible (l'Emploi du Temps, l'Atelier), comme si la fonction paternelle était remplie par le réalisateur qui évince le père réel.
Il y a une ressemblance très forte entre la scène de la soirée et de la réunion chez l'éditeur, et le mythe du banquet primitif de Freud. On inverse volontairement les polarités morales et la culpabilité pour choisir un nouveau patriarche. Ce remplaçant n'est pas le meurtrier du père, celui-ci préfère devenir écrivain (Homère) pour Freud : l'esthétique est le pouvoir qui ne parvient pas à se débarasser de sa culpabilité. Celà est d'ailleurs presque dit dans le film avec la tirade sur les écrivains morts du personnage qui rappelle Virginie Despentes. Et le personnage a un côté Ulysse qui ne parvient pas à rentrer chez les siens, sinon en échangeant ce retour contre la reconnaissance de son nom .

Il est dès lors assez logique* (mais trop programmatique) que le film se termine sur l'agression du petit frère, qui est le boulet qui empêche cette élection (admirant précisèment ce qu'il faut oublier pour devenir chef). Il lui reproche involontairement de ne pas pouvoir remplacer son père mort.

*mot très souvent prononcé dans le film

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